Par Charlie Lledo, Maître de conférences à l’Université de Reims

Qu’est-ce qu’une pratique commerciale trompeuse ?

Depuis une directive du 11 mai 2005, la protection des consommateurs est assurée par des règles identiques dans toute l’Union européenne. À ce titre, il est interdit aux professionnels d’induire les consommateurs en erreur sur les caractéristiques des produits achetés. La règlementation vise donc à renforcer la confiance des consommateurs dans la fiabilité des informations transmises par les professionnels.

Ce n’est pas la première fois que les éditeurs de jeux vidéo se trouvent placés sous le feu des projecteurs du fait de leur comportement envers les consommateurs. Des voix s’élèvent depuis longtemps contre la pratique des loot boxes, pochettes surprises dont le contenu est aléatoire, achetées par les joueurs afin d’acquérir des biens virtuels qui leur permettront de personnaliser leur avatar ou de déverrouiller de nouvelles fonctionnalités. Le problème saute aux yeux : les plus fragiles risquent de miser de grandes quantités d’argent dans l’espoir d’acquérir l’objet cosmétique de leurs rêves ou une arme puissante qui les fera progresser plus rapidement… La tromperie est d’autant plus évidente que le jeu lui-même peut être gratuit – on parle de freemium, extrêmement rentable pour son éditeur. Aussi, assimilant les loot boxes à des loteries, la Belgique et les Pays-Bas interdisent depuis 2018 la sortie des jeux proposant ce genre de contenu. Le droit chinois, quant à lui, favorise la transparence et donc le renforcement de l’information des consommateurs.

Le défaut d’affichage des prix in-game en euros constitue-t-il une pratique commerciale trompeuse ?

Partant de l’exemple des loot boxes, on comprend qu’un jeu vidéo n’est plus nécessairement un produit fini dont le contenu est intégralement accessible dès l’achat. Le pullulement des microtransactions va également en ce sens. En effet, il arrive de plus en plus fréquemment que des biens virtuels clairement identifiés doivent être débloqués par le joueur moyennant le paiement d’une somme d’argent dans une « boutique » intégrée au jeu – l’in-game store. Si, sur le principe, cette pratique n’a rien de répréhensible car le hasard n’y a pas sa place, ce sont ses modalités qui interrogent. Il s’avère que les achats in-game requièrent bien souvent de convertir de l’argent réel en monnaie virtuelle, seule prise en compte au moment d’afficher le prix des biens virtuels. Est-ce là une pratique commerciale trompeuse ?

La question mérite assurément d’être posée, car l’article L. 121-3 du Code de la consommation instaure une prohibition des omissions trompeuses au détriment des consommateurs. Cela signifie qu’il est interdit à un professionnel de dissimuler volontairement une information susceptible de déterminer le comportement des consommateurs. Or, il semblerait que tel est bien le cas ici : afficher le prix en monnaie virtuelle uniquement empêche le consommateur d’effectuer la conversion en argent réel, ce qui lui donne l’impression de payer moins cher.

Ceci est d’autant plus grave que, bien souvent, ces pratiques visent des enfants mineurs, dotés d’un discernement assez faible et ne connaissant pas toujours la valeur de l’argent. En outre, le communiqué de presse commun à la CLCV et l’UFC-Que Choisir révèle que les packs de monnaie virtuelle sont dimensionnés de telle manière que, après l’achat du bien virtuel désiré, des unités monétaires résiduelles demeurent dans le portefeuille du joueur… ce qui l’incite ainsi à acquérir davantage de monnaie virtuelle afin de procéder à d’autres achats ! Ainsi, le système est pensé pour que le défaut d’affichage des prix en euros pousse les joueurs à dépenser toujours plus d’argent.

Il existe donc des éléments sérieux faisant douter de la conformité au droit européen de l’affichage des prix dans la seule monnaie virtuelle du jeu. Toutefois, les interrogations entourant ces monnaies dépassent largement ce sujet, et la Commission pourrait saisir l’occasion d’encadrer de manière plus complète leur utilisation.

S’agit-il du seul problème soulevé par l’utilisation des monnaies virtuelles ?

Certainement pas. Se pose tout d’abord la question de savoir si les droits des joueurs sur leur portefeuille virtuel sont bien assurés. Il apparaît que tel n’est pas le cas : dans l’hypothèse de la fermeture des serveurs d’un jeu en ligne, ses conditions générales d’utilisation prévoient fréquemment que l’argent virtuel ne sera pas restitué aux joueurs. Il en va de même en ce qui concerne les biens virtuels acquis au moyen d’argent réel. Le contentieux dirigé en ce moment aux États-Unis à l’encontre de l’éditeur Take-Two Interactive du fait de l’arrêt des serveurs de son jeu NBA 2K 22 illustre l’acuité du problème.

Il faut ensuite savoir que, le plus souvent, les droits des joueurs sur la monnaie et les biens virtuels sont qualifiés de simple licence d’utilisation octroyée par l’éditeur. C’est le principe du magic circle : ce qui fait partie du jeu n’existe que dans le jeu. Pour autant, ce n’est pas une fatalité. Ainsi, les juges néerlandais n’hésitent pas à reconnaître un véritable droit de propriété des joueurs sur les biens virtuels acquis au moyen de leur argent. Il devrait alors être impossible de les spolier à l’arrêt des serveurs. Ne voit-on pas apparaître, dès lors, l’épure d’une protection renforcée des joueurs : droit à une information détaillée sur le « vrai » prix des biens virtuels avant l’achat ; reconnaissance d’un droit de propriété sur ces biens après l’achat ?