Groupes de besoins au collège : niveaux de compétences ministérielles et niveau scolaire des élèves
Le 28 novembre, le Conseil d'État a annulé les groupes de niveau, estimant que leur mise en place devait passer par un décret, et non par un arrêté du ministère de l'Éducation nationale. Cette annulation ne prendra effet qu'à la rentrée prochaine.
Par Antony Taillefait, Professeur de droit public à l’université d’Angers, Cofondateur et codirecteur depuis 2005 du Master II interuniversitaire « Management et droit des organisations scolaires (M@DOS) »
Quelle mesure était contestée devant le Conseil d’État ?
En direction de l’École les politiques publiques sont souvent hésitantes et rarement incontestées. Le « choc des savoirs » est de celle-là. Fin 2023, l’un des ministres de l’Éducation nationale (bientôt un 5ème en moins d’un an) regrette que les enquêtes Pisa (Programme International pour le Suivi des Acquis) et Timss (Trends in International Mathematics and Science Study) mettent au jour une dégradation des résultats scolaires des élèves.
Parmi les mesures relevant de ce « choc des savoirs », l’une d’entre elles a été davantage contestée que les autres. Des « groupes de niveaux » sont mis en place, groupes d’élèves que l’ultime ministre de l’Éducation nationale a requalifiés en « groupes de besoins ». Les enseignements communs de français et de mathématiques sont de la sorte organisés en groupes pour l’ensemble des classes du collège – pour le moment ils ne le sont que pour les niveaux de 6ème et de 5ème. Ces groupes interclasses sont constitués par les enseignants « en fonction des besoins des élèves » ; des effectifs réduits sont prévus pour « les groupes d’élèves les plus en difficulté ». La composition de tous ces groupes est évolutive en fonction des évaluations effectuées par les enseignants.
Pour ce dispositif, le véhicule normatif choisi par la ministre de l’Education nationale a été un arrêté du 15 mars 2024 modifiant l’arrêté du 19 mai 2015 relatif à l’organisation des enseignements dans les classes de collèges. Une note de service du même jour expose les modalités d’application. Cette mesure réglementaire a été contestée devant le Conseil d’État au moyen de huit requêtes déposées par des organisations syndicales, par des parlementaires et des enseignants de français. La décision du 28 novembre 2024 (req. n° 493513) est intéressante, moins par le rappel des modalités de répartition des compétences entre le Premier ministre et le ministre qui a été le motif de l’annulation contentieuse que par les autres points de droit jugés réguliers.
Un décret plutôt qu’un arrêté ?
La loi « détermine les principes fondamentaux […] de l’enseignement » ; le législateur dégageant ces principes en vue de la mise en œuvre du droit à l’instruction (Constitution, art. 34). La « loi Haby » du 11 juillet 1975 (C. éduc., art. L. 311-2) prévoit que l’organisation de l’enseignement dans les collèges publics et privées sous contrat d’association doit être déterminée par décret et qu’il revient au ministre chargé de l’Éducation nationale de définir seulement par arrêté le contenu des formations, c’est-à-dire les matières, horaires et programmes des enseignements. La compétence de principe est celle du Premier ministre et celle du ministre l’exception. Le Conseil d’État considère que l’article 4 de l’arrêté ministériel du 15 mars 2024 ne modifie ni les matières, ni les volumes horaires, ni les programmes de français et de mathématiques, mais qu’il a édicté des règles touchant à l’organisation des enseignements au collège laquelle relève de la compétence du Premier ministre qui s’exerce au moyen d’un décret. Périodiquement le Conseil d’État est interrogé pour effectuer le départ entre la compétence du ministre et celle du Premier ministre pour régler certaines politiques éducatives. C’est particulièrement le cas lorsqu’est contestée la définition du contenu d’enseignements portant sur l’éducation à la sexualité (CE 19 oct. 2000, Association Promouvoir, req. n° 213303).
Décret en Conseil d’État ou décret simple ?
La question n’est pas de pure forme en vérité. L’édiction d’un décret nécessite des informations et des consultations préalables permettant d’entendre les observations sur les faiblesses, éducative ou juridique, du dispositif envisagé. Avant de le publier, le prochain ministre de l’Éducation nationale, le cas échéant et si le dispositif est maintenu, devra consulter la formation administrative ad hoc du Conseil d’État si l’objet des dispositions contestées affecte l’organisation et le fonctionnement des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) ou devra solliciter le Conseil supérieur de l’éducation si cela concerne l’organisation de l’enseignement. Argument d’autorité, le Conseil d’État décide que les dispositions en cause n’ont qu’une incidence indirecte sur le premier aspect mais une incidence directe sur le second, de sorte qu’un décret simple suffi pour régulariser la mesure ministérielle. L’instauration des « groupes de besoins » relève d’un décret simple et non d’un arrêté ; ce dernier et sa circulaire d’application sont annulés pour vice d’incompétence. Il décide aussi de différer l’effet de l’annulation des dispositions contestées jusqu’au 6 juillet 2025. Cela dit, un décret et un arrêté ont été mis à la signature de la ministre mais celle-ci n’est plus ministre. Il s’ensuit qu’à ce jour les « groupes de besoins » mis en place manqueront de base légale à compter des « grandes vacances scolaires ». De fait aussi la mise en place des groupes d’élèves dans les établissements est erratique : ignorée ou contournée ou minorée. Un bilan est en cours de réalisation par l’Inspection générale.
La Haute juridiction aurait pu s’en tenir là en décidant par « économie de moyens ». Elle a apporté des éléments à la réflexion sur l’évolution de l’École depuis quelques années.
Le « collège unique » existe-t-il encore ?
Même si le Conseil d’État apporte plusieurs autres éléments de réflexion juridique et éducative sur l’École (autonomie pédagogique et éducative des établissements d’enseignement scolaire, conditions de la modulation dans le temps de la décision juridictionnelle), ceux relatifs au « collège unique » nous semblent les plus intéressants.
La « loi Haby » du 11 juillet 1975 (C. éduc., art. L. 332-3) dispose que « les collèges dispensent un enseignement commun ». Ce qu’il convient de qualifier de « collège unique » est le point de discorde entre les promoteurs des politiques éducatives. A vue cavalière, cette notion est interprétée par ses défenseurs comme interdisant la création de « filières » d’enseignement différenciées selon le « niveau académique » des élèves, lequel niveau finit par révéler « un niveau social et culturel ». Pour autant, les politiques ministérielles ont additionné les dispositifs d’accompagnement des élèves plus ou moins personnalisés. Les « groupes de besoins » en sont un supplémentaire, et, l’histoire récente l’a montré, un dispositif temporaire. Mais à partir de quels facteurs éducatifs change-t-on de « paradigme de l’éducation » ? En droit, l’élucidation de la question reste en suspens. Dans sa décision de 2024, le Conseil d’État se borne à considérer que la création de « classes de niveau », pour reprendre le vocabulaire de certains opposants, ne modifie pas « les attendus en termes d’acquisition des connaissances qui demeurent identiques pour l’ensemble des élèves. »
Souvent il est reproché aux lois concernant l’École d’être bavardes et ne de pas comporter beaucoup de dispositions à portée normative. Le Conseil d’État apporte une certaine contribution à ce travers faute de donner une épaisseur juridique à l’expression législative d’« enseignement commun ».