Grèves des agents en charge du ramassage des ordures : quels pouvoirs de réquisition ?
Par Pierre Esplugas-Labatut – Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole – Institut Maurice Hauriou
Alors que les agents de propreté de la Ville de Paris ont voté, mardi 14 mars, la poursuite du mouvement de grève jusqu’au 20 mars, la mairie de Paris a refusé de réquisitionner du personnel pour évacuer les déchets qui s’entassent dans la capitale. En conséquence, le préfet de police de Paris a informé Anne Hidalgo, mercredi 15 mars, de sa décision de réquisitionner des travailleurs.
La mairie de Paris est-elle compétente pour « réquisitionner » du personnel dans le cadre de la grève des éboueurs ?
S’agissant spécifiquement de la Ville de Paris, la réponse aurait pu être négative s’il avait été question d’un sujet de police administrative ne concernant pas le ramassage des ordures. En effet, dans cette ville, c’est bien le préfet de police qui exerce les pouvoirs de police (CGCT, art. L. 2512-13, I). ). Toutefois, s’agissant de la « salubrité sur la voie publique », ce pouvoir est confié au maire de Paris (CGCT, art. L. 2512-13, II). Le non-ramassage des ordures pendant plus d’une semaine pouvant sans doute menacer la salubrité publique, il appartient donc bien au maire de Paris, en vertu de son pouvoir de police, de prendre toute mesure destinée à la préserver notamment par la réquisition de personnels ou le recours à une entreprise privée.
Il était donc logique en l’espèce que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin demande au maire de Paris, en préalable avant toute autre intervention, de « réquisitionner des moyens afin d’évacuer des ordures ». L’argument formulé par Anne Hidalgo selon lequel il appartient à l’Etat d’intervenir comme responsable de la présente situation dégradée en voulant faire adopter la réforme des retraites, ne peut naturellement être qu’un argument politique et non juridique.
L’Etat peut-il se substituer à la mairie de Paris et « réquisitionner lui-même » les personnels nécessaires à l’enlèvement des ordures ?
L’Etat dispose effectivement d’un pouvoir de substitution en cas de carence du maire dans l’exercice de son pouvoir de police. Il est ainsi spécifié en droit positif que « le représentant de l’Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques » (CGCT, art. L. 2215-1). Cette disposition s’inscrit dans la logique d’une jurisprudence ancienne selon laquelle l’exercice des pouvoirs de police administrative est une obligation (CE, 23 oct. 1959, Doublet, n° 40922). A ce pouvoir de substitution général, s’ajoute dans le cas plus resserré « d’urgence » et « lorsque les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police », un pouvoir direct de réquisition de tout bien ou service, de toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien (CGCT, art. L. 2215-1, 4°). Si une partie du grand public peut penser que ce type de dispositif est attentatoire au droit fondamental de grève, les juristes savent bien que ce droit peut être aménagé au nom de la continuité du service public, notamment par des mesures de réquisition.
Ainsi, dans ce dossier, si le gouvernement estime que la salubrité n’est plus préservée par l’accumulation de déchets, il peut demander par voie d’instruction au représentant de l’Etat, en l’espèce le préfet de police de Paris, de prendre lui-même, à la place du maire de Paris, les mesures nécessaires. Dans cette hypothèse, la demande préalable adressée par le ministre de l’Intérieur au maire de Paris devient même juridiquement obligatoire dans la mesure où est exigée, en préalable à l’exercice du pouvoir de substitution, une « mise en demeure au maire restée sans résultat » (CGCT, art. L. 2215-1, 1°).
L’instauration d’« un service minimum de collecte des déchets en cas de grève » est-elle légale, comme le demande la maire du VII arrondissement, Rachida Dati ?
L’expression de « service minimum » en tant que telle est plus journalistique que juridique dans la mesure où aucun texte ne l’emploie expressément. Toutefois, la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique » visant à assurer la continuité du service public dans les collectivités territoriales, notamment pour la collecte et le traitement des déchets des ménages, tend, il est vrai, à organiser une forme de service minimum (art. 56). Cependant, l’applicabilité de cette disposition repose sur des accords collectifs destinés à déterminer les « fonctions et le nombre d’agents indispensables ainsi que les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible de ces services, l’organisation du travail est adaptée et les agents présents au sein du service sont affectés ». Or très peu de communes en France ont souhaité à ce jour négocier (sauf de manière notable à Marseille mais la délibération du Conseil municipal validant l’accord collectif a été annulée par la Cour administrative d’appel de Marseille par un arrêt du 20 décembre 2022).
Faute d’accords collectifs, c’est le cadre classique tiré de la jurisprudence ancestrale du 7 juillet 1950 du Conseil d’Etat Dehaene qui continue à s’appliquer permettant au « chef de service » ou, selon une jurisprudence plus récente adaptée, « l’autorité responsable du bon fonctionnement du service public », à prendre des mesures d’aménagement du droit de grève (CE, 12 avril 2013, Fédération FO énergie et mines, n° 329570, 329683, 330539, 330847).
Sans que cela ne résolve le sujet au plan politique, il existe donc bien en l’état actuel du droit une palette de mesures à la disposition des pouvoirs publics destinées à préserver la salubrité publique que menace une grève de longue durée des agents en charge du ramassage des ordures ménagères.