Garde à vue : la réforme de la réforme, suite et jamais fin ?
Depuis sa mue débutée avec la loi du 14 avril 2011, la garde à vue s’inscrit dans un mouvement de réformes perpétuelles, au gré des contraintes supra-législatives. La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, dont les dispositions s’appliqueront à partir du 1er juillet 2024, en offre une nouvelle illustration qui interroge, en creux, notre méthode législative.
Par Sébastien Pellé, Agrégé de droit privé et sciences criminelles, Professeur à l’Université Toulouse Capitole
Pourquoi une nouvelle réforme de la garde à vue ?
La loi du 22 avril 2024 n’est pas propre à la garde à vue, ni à la matière pénale. Il s’agit d’une loi « fourre-tout », dont l’intitulé dit à lui seul le programme, « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ». Relativement à la garde à vue, il s’agit de remédier à certaines imperfections de la transposition de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. Une procédure précontentieuse a été engagée à l’encontre de la France et la Commission européenne a émis un avis motivé le 28 septembre 2023 concluant à une transposition « incorrecte » de certaines dispositions, imposant de réagir sous peine de s’exposer, cette fois, à la phase contentieuse de la procédure en manquement. Dans cette logique de mise en conformité, deux points du régime de la garde à vue sont, une nouvelle fois, amendés dans une logique de mise en conformité formelle.
La loi française pouvait-elle limiter les tiers susceptibles d’être informés de la mesure et de communiquer avec le gardé à vue ?
Une réponse négative découle du texte de la directive qui ne tolère aucune restriction des tiers pouvant être informés de la mesure, et avec lesquels la personne gardée à vue est ensuite susceptible d’échanger (v. art. 5 § 3 Directive 2013/48/UE). Ce premier motif de non-conformité justifie une modification des articles 63-2 et 63-3 du code de procédure pénale (art. 32, I, 1° et 2°, L. 22 avr. 2024). Ce droit était jusqu’alors limité à une personne avec laquelle elle vit habituellement, l’un de ses parents en ligne directe ou l’un de ses frères et sœurs et son employeur. Logiquement, il est désormais ouvert à « toute autre personne qu’elle désigne » (formule qui sera reprise dans les textes connexes, notamment quant aux personnes qui peuvent solliciter un examen médical, art. 63-3 CPP). Cette évolution ne fait pas obstacle à la possibilité de différer ou de ne pas délivrer l’avis au tiers en cas de risque de déperdition de preuves ou pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne (avertissement d’un complice ou d’un coauteur éventuel, nécessité de réaliser une perquisition au préalable…). Néanmoins, l’élargissement du cercle des tiers invitera les enquêteurs à une appréciation de plus en plus cruciale, dans les tous premiers temps de l’enquête, de la nécessité ou non de différer l’exercice de ces droits, avec un risque accru de contentieux sur les motifs justifiant la dérogation. C’est sans doute le sens de la directive d’application, adressée par voie de circulaire, et qui consacre des développements conséquents au rappel de ces dispositifs tant pour l’information que pour la communication avec un tiers (v. Circulaire du 14 juin 2024, Crim 2024 – JUSD2416353C, p. 2). La question est loin d’être anodine et révèle les tensions soulevées par ce droit d’information/communication avec un tiers à l’enquête, expliquant sans doute les réticences initiales dans la transposition de la directive.
La loi française pouvait-elle introduire un délai de carence de deux heures avec une dérogation générale fondée sur les nécessités de l’enquête ?
Une nouvelle réponse négative s’impose et invite à revenir plus largement sur les modalités du droit à l’assistance par un avocat, avec plusieurs modifications en cascade (art. 32, I, 3° à 6°, L. 22 avr. 2024). Le cœur de la discussion portait sur le délai de carence, tel qu’il a été organisé dès la réforme du 14 avril 2011. Dans son esprit, ce délai de deux heures était destiné à concilier l’efficacité des investigations avec l’effectivité du droit à l’assistance. Il permettait d’attendre un certain temps (raisonnable ?) avant de débuter les auditions au fond, pour permettre à l’avocat d’arriver sur les lieux. Ce n’est pas tant le principe d’un tel délai que ses modalités concrètes qui se trouvent remises en cause, en ce qu’elles permettaient le début des auditions au fond dès son expiration, et en autorisant une mise à l’écart du délai fondée sur les « nécessités de l’enquête ».
Pour y remédier, l’article 63-4-2 du code de procédure pénale prévoit désormais que les auditions sur les faits ne peuvent intervenir « sans la présence de l’avocat, choisi ou commis d’office, sauf renonciation expresse de sa part mentionnée au procès-verbal ». Pour autant, le délai de deux heures ne disparaît pas, mais il ne produit plus d’effet couperet sur l’exercice du droit à l’assistance. En cas d’impossibilité à joindre l’avocat ou à se déplacer sur les lieux dans ce délai, l’officier de police judiciaire doit saisir « sans délai et par tous moyens le bâtonnier aux fins de désignation d’un avocat commis d’office » (art. 63-3-1 CPP). Par ailleurs, une dérogation est toujours envisagée, de manière spéciale et concrète. Le système devient alors passablement complexe puisqu’un nouvel article 63-4-2-1 a été spécialement créé pour débuter exceptionnellement les auditions au fond, sans attendre l’arrivée de l’avocat. Cette possibilité n’est pas exclusive du report, déjà admis, de la présence de l’avocat aux auditions et confrontations. Dans les deux cas, la dérogation doit être motivée, selon une formule quasi identique, inspirée de la directive, pour éviter de « compromettre sérieusement une procédure pénale », ou prévenir « une atteinte grave (et imminente) à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne » (comp. art. 63-4-2 al. 2 et art. 63-4-2-1 al. 1 CPP). Il n’est pas certain que la réforme gagne en effectivité ce qu’elle perd en intelligibilité, d’autant plus que le délai de carence donnait lieu à une pratique plutôt consensuelle.
Par ailleurs, afin de transposer « correctement » la directive 2013/48/UE, il aurait été souhaitable que le législateur corrige enfin la scorie de l’article 706-88 du code de procédure pénale qui, en matière dérogatoire, ne renvoie toujours pas à l’article 61-3 du même code, pour autoriser l’assistance de l’avocat aux reconstitutions et aux séances d’identification. La réforme de la réforme s’arrêtera-t-elle enfin ?