Condamnation pour pédophilie d’un prêtre par le tribunal pénal canonique national
Le tribunal pénal canonique national a condamné un prêtre du diocèse de Tours pour abus sexuels sur mineurs à une interdiction perpétuelle d’exercer tout ministère d’accompagnement spirituel de personnes mineures et à l’assignation à domicile. Qu'est-ce que le tribunal pénal canonique national ?
Par Sophie Prétot, Professeur à l’Université de Clermont-Auvergne, Centre Michel de l’Hospital (CMH UR 4232-UCA)
Quel est le contexte de l’affaire ?
Dans un communiqué du 28 novembre dernier, le diocèse de Tours a informé que le prêtre Bernard Tartu a été reconnu coupable d’abus sexuels sur mineurs par le tribunal pénal canonique national. Le tribunal l’a condamné à l’interdiction perpétuelle de la célébration publique de tout acte liturgique et de tout sacrement et sacramental (ex. : la célébration publique d’une messe, d’un baptême ou d’un mariage, une bénédiction publique), à l’interdiction perpétuelle d’exercer tout ministère d’accompagnement spirituel de personnes mineures et à l’assignation à domicile.
L’octogénaire avait fondé, dans les années 1950, une chorale rattachée à la cathédrale de Tours et, dans le cadre de ces activités, avait commis des violences sexuelles à l’encontre de nombreux jeunes. Les travaux de la CIASE et ses suites ont permis, peu à peu, aux victimes de se mobiliser et le tribunal pénal canonique national a alors pu être saisi. Cette condamnation et sa publicité sont ainsi le résultat d’une large mobilisation des victimes regroupées dans le collectif « Voix libérées ». Elles s’inscrivent dans un mouvement de nationalisation de la justice canonique et de meilleure communication auprès des victimes et du grand public.
Qu’est-ce que le tribunal pénal canonique national ?
Le tribunal pénal canonique national est une structure interne à l’Eglise, créée par la Conférence des évêques de France. Installée depuis décembre 2022, cette juridiction pénale a une compétence nationale et traite des faits constituant, selon le droit de l’Eglise, des délits commis par des laïcs ou des clercs, à l’exception de certains délits réservés et renvoyés aux dicastères compétents (à Rome). Ainsi, ce tribunal juge de certains délits contre la vie, la dignité et la liberté humaine, tels que les agressions sexuelles commis par un prêtre sur un majeur. Il n’est en revanche ni compétent en matière de délits commis par un évêque, ni compétent en matière de violences sexuelles commis contre un mineur, ces domaines relevant en principe des juridictions du Saint-Siège. Dans l’affaire tourangelle, Rome a levé la prescription en vigueur au regard de la gravité des faits et a autorisé l’évêque tourangeau à saisir le tribunal pénal canonique national.
Pourquoi un tel tribunal a-t-il été créé ?
La création de ce tribunal est conforme à une préconisation formulée par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (rapport de la CIASE d’octobre 2021, recommandation n° 40). Tout à fait inédite et inconnue des pays étrangers, cette structure rend des jugements collégiaux et intègre, en son sein, des prêtres mais également des laïcs compétents. Elle se substitue ainsi aux juridictions diocésaines et interdiocésaines et évite de placer l’évêque dans une situation humainement extrêmement délicate, en particulier lorsque l’auteur des faits est un prêtre. Jusqu’alors, c’était en effet à l’évêque d’engager des poursuites, voire d’organiser le tribunal jugeant l’affaire. Or, l’évêque ordonne les prêtres de son diocèse, exerce sur eux son autorité, les suit, les connait… Le dépaysement de la procédure favorise par conséquent l’impartialité de la juridiction. La mise en place de ce tribunal national devrait en outre permettre l’établissement d’une jurisprudence cohérente au niveau national, rendue par une juridiction spécialisée et compétente.
Comment la justice canonique s’articule-t-elle avec la justice étatique et le travail des commissions indépendantes (CRR et INIRR) ?
L’Eglise constitue un véritable ordre juridique, distinct de l’ordre juridique étatique. Elle a son propre droit et ses propres juridictions. Les faits qualifiés de délits, selon le droit de l’Eglise, ne constituent pas nécessairement des infractions pénales selon le droit étatique (ex. : délits d’apostasie, d’hérésie et de schisme), des peines sont propres à l’Eglise et méconnues du droit pénal (ex. : le renvoi de l’état clérical), les finalités du droit de l’Eglise diffèrent de celles du droit étatique et expliquent une place très différente accordée aux victimes (le droit de l’Eglise visant le rétablissement de la justice lésée, l’amendement du délinquant et la réparation du scandale). Aussi, conformément à la loi de la séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, si l’Eglise demeure libre de son organisation, ses membres restent, évidemment, soumis au droit étatique. Par conséquent, une éventuelle condamnation par le tribunal pénal canonique national n’entrave aucunement la mise en œuvre de la responsabilité civile et/ou pénale de la personne condamnée.
Le jugement rendu par le tribunal pénal canonique national n’empêche pas non plus une victime de saisir la Commission reconnaissance réparation ou l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation. Ces commissions ne sont pas, à proprement parler, des juridictions de l’Eglise. Indépendantes, elles ont vocation à reconnaître et à réparer certaines victimes (mineures au moment des faits notamment) de violences sexuelles commises par des religieux, prêtres ou laïcs en responsabilité dans un diocèse, lorsqu’une action ne paraît pas envisageable devant les juridictions étatiques (faits prescrits, preuve des faits difficile, auteur des faits décédé).