Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, professeur de droit public à l’Université de Brest.

Qu’est-ce qu’une session extraordinaire et quelles sont ses modalités de convocation ?

L’article 28 de la Constitution prévoit que le Parlement se réunit « de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin » et l’article 29 complète en précisant que « le Parlement est réuni en session extraordinaire à la demande du Premier ministre ou de la majorité des membres composant l’Assemblée ».

Il s’agit donc d’une faculté offerte au chef du gouvernement ou à la majorité des députés de demander au Président la convocation des deux chambres durant la période estivale entre le 1er juillet et le 30 septembre. Dans la pratique, ces sessions extraordinaires sont devenues banales. Le caractère exceptionnel initial a perdu de son sens puisqu’elles se tiennent si régulièrement qu’elles sont devenues une tradition annuelle.

Ainsi depuis le début du millénaire, elles sont systématiquement organisées en juillet et en septembre. Seules exceptions, 2006, 2022 (où le ministre des relations avec le Parlement Franck Riester se plut à souligner le caractère « inédit » de cette situation) et 2024. 

Dans la quasi-totalité des cas, c’est le Premier ministre qui en prend l’initiative afin de pouvoir clore dans des délais acceptables la discussion des textes entamés lors de la session ordinaire. Les députés (les sénateurs n’ayant pas dans ce domaine droit au chapitre alors même qu’ils sont pourtant concernés) ne furent à l’origine que de deux demandes : en 1960 afin de répondre à une crise agricole qui embrasait de nombreux départements et en 1979 pour pouvoir créer deux commissions d’enquête jugées urgentes. Mais la décision relève du chef de l’Etat, l’article 30 de la Constitution disposant que « les sessions extraordinaires sont ouvertes et closes par décret du président de la République ».

Ce fut d’ailleurs l’objet de quelques frottements au sommet de l’Etat. Ainsi le 18 mars 1960, De Gaulle considéra qu’il pouvait refuser une demande signée par 297 députés en estimant que « le texte constitutionnel [lui] attribuait spécifiquement […] la responsabilité de décréter une session extraordinaire ».

À l’inverse, Valéry Giscard d’Estaing, tout en respectant la lettre des articles 29 et 30 en acceptant la convocation demandée par 315 députés issus notamment du RPR, souligna dans son communiqué du 12 mars 1979 qu’il aurait pu refuser en invoquant les conditions discutables de la collecte des signatures, rejoignant ainsi De Gaulle sur l’idée d’un pouvoir discrétionnaire présidentiel.

François Mitterrand fut aussi confronté à deux demandes lors des deux périodes de cohabitation qu’il traversa. En 1987, Jacques Chirac souhaitait une session extraordinaire pour faire adopter la réforme du statut de la régie Renault et en 1993 Edouard Balladur l’estimait utile pour ne pas perdre de temps dans la concrétisation d’engagements électoraux. Le chef de l’Etat la refusa au premier et l’autorisa au second, non sans exiger le retrait d’un projet qui ne lui paraissait pas urgent (révision de la loi Falloux).

Les Présidents se sont ainsi arrogés au fil des décennies un pouvoir discrétionnaire que la Constitution ne leur reconnait pas explicitement. D’ailleurs en 1999, dans ses mémoires « D’une République à l’autre », le secrétaire général du gouvernement Roger Belin reconnaitra que le fondement de l’analyse gaulliste était discutable, le présent de l’indicatif de l’article 30 pouvant parfaitement être lu comme impérieux. Mais comme l’écrivait Guy Carcassonne, il est constant qu’une compétence donnée au Président s’interprète… comme le Président choisit de le faire.

Quelles sont les motivations aujourd’hui avancées pour réclamer une session extraordinaire ?

Chronologiquement, le Rassemblement national, par la voix de Madame Le Pen dès le 26 août, fut le premier à exprimer la demande. Deux jours plus tard, le groupe communiste s’exprima dans le même sens, rejoint le 2 septembre par le groupe écologiste, par le premier secrétaire du PS, puis par le groupe Liot (Libertés, Indépendant, Outre-mer et Territoire). Le 5 septembre, la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet s’adressa par écrit au Premier ministre en soulignant combien il lui paraissait « indispensable » que le Parlement « puisse reprendre ses travaux ». Enfin, le 12 septembre, les présidents des groupes du Nouveau Front Populaire ont saisi leurs collègues pour relayer la même demande.

Cette convergence est donc mue par une frustration : celle d’assister à la naissance du gouvernement Barnier sans capacité d’interpellation ni moyen d’entrave. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il serait surprenant que le Président accepte de la convoquer. Nul doute en effet que si tel était le cas, dès l’annonce de la composition de la 45ème équipe ministérielle depuis 1958, une motion de censure serait déposée fragilisant immédiatement sa capacité d’action.

En effet, l’exigence d’un ordre du jour déterminé pour les sessions extraordinaires, prévue par l’article 29, ne fait pas obstacle à la recevabilité d’une motion de censure, qui par nature ne peut être anticipée. Dès lors, comme le Premier ministre est parfaitement conscient que sa déclaration de politique générale engagera bien plus que son propre gouvernement puisque tout échec exposerait le Président, il est logique qu’il s’abrite derrière le calendrier arrêté en juillet. Comme l’écrivait déjà en 1878 Eugène Pierre dans son « Traité de droit politique, électoral et parlementaire » : « lorsque le pouvoir exécutif est maître d’ouvrir et de fermer à son gré les sessions, il a une tendance bien légitime à réduire la durée d’un contrôle gênant »

Si la probabilité d’une convocation est aussi faible, pourquoi cette obstination des partis d’opposition et de la Présidente de l’Assemblée ?

Les premiers sont probablement convaincus que la fragmentation de l’hémicycle renforce leur capacité de nuisance et ils cherchent donc à pouvoir le démontrer. C’est une règle aussi ancienne que le régime parlementaire. Comme l’écrivait encore Eugène Pierre (qui fut secrétaire général de l’Assemblée) « lorsque les assemblées politiques ont un droit de permanence, elles en abusent pour entraver l’action administrative ».

Quant à la seconde, elle est dans son rôle. Depuis le 7 juillet 2024, l’Assemblée nationale est présentée comme le centre de gravité de la vie politique. Il est donc paradoxal qu’elle soit depuis, condamnée au silence. Reste que le Président ayant maintes fois démontré le rapport particulier qu’il entretenait avec le temps, nul ne peut vraiment douter que la session ne s’ouvrira que le 1er octobre comme prévu par l’article 28.