Quel sort pour les projets de loi suspendus par la dissolution ?
Loi d’orientation agricole, texte sur la fin de vie, Nouvelle-Calédonie… La dissolution a figé de très nombreux textes législatifs pourtant très attendus. Que deviennent-ils ? Pourront-ils être repris par la nouvelle assemblée élue ?
Par Jean-Pierre Camby, Professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin
Que deviennent les projets de loi suspendus à la suite de la dissolution ?
La fin de chaque législature, à échéance régulière ou du fait de la dissolution, implique à l’Assemblée nationale, la « table rase », principe simple, traditionnel et d’application continue : la fin de législature entraîne la caducité des projets et propositions de loi en instance. Les projets de loi dont l’Assemblée nationale sortante était saisie le 9 juin deviennent donc caducs, qu’ils aient ou non fait l’objet d’une ou de plusieurs lectures devant l’une des assemblées du Parlement. C’est la raison pour laquelle, le 16 juillet 2024, le gouvernement dépose à nouveau le texte de la loi de règlement pour 2023, déjà déposé sous la précédente législature (n° 2520, 17 avril 2024) mais devenu caduc le 9 juin du fait de la dissolution. Or, la mise aux voix de ce texte avant la mise en discussion de la loi de finances de l’année est obligatoire (en application de l’article 41 de la LOLF), ce qui en justifie le nouveau dépôt.
La pratique du Sénat est différente. Pour répondre au caractère triennal de son renouvellement, l’article 28 de son Règlement prévoit que seules les propositions de loi ou de résolution déposées par les sénateurs sur lesquelles le Sénat n’a pas statué deviennent caduques « de plein droit à l’ouverture de la troisième session ordinaire suivant celle au cours de laquelle elles ont été déposées ». En l’absence de disposition contraire dans son règlement, les propositions de loi transmises au Sénat par l’Assemblée nationale restent donc sur le bureau de cette assemblée aussi longtemps qu’elles n’ont pas été inscrites en séance pour être adoptées ou rejetées.
L’Assemblée nationale, en janvier 2002, avait adopté un texte, issu de trois propositions de loi, pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie. La jachère a duré … dix ans puisqu’à la fin de l’année 2012, le Sénat, majoritairement à gauche, l’a adopté conforme. La saisine du Conseil constitutionnel rappelle que dans l’intervalle « l’Assemblée nationale a été renouvelée à trois reprises : en 2002, en 2007 et en 2012. Le Sénat a, quant à lui, fait l’objet d’un renouvellement intégral, puisque l’ensemble de ses sièges a été renouvelé lors des élections sénatoriales de 2004, 2008 et 2011. ». Mais le Conseil constitutionnel, le 29 novembre 2012,( n° 2012-657 ) juge que « la loi qui est déférée au Conseil constitutionnel a été examinée successivement dans les deux assemblées du Parlement et adoptée dans les mêmes termes conformément à l’article 45 de la Constitution ; … sa procédure d’adoption n’est en outre contraire à aucune autre disposition de la Constitution ». Pendant devant le Sénat, le texte pouvait donc être repris.
Rien n’est dit des projets de loi mais ce qui vaut pour les propositions vaut aussi pour les projets adoptés par l’Assemblée et transmis au Sénat. Un texte en navette devant le Sénat pourra faire l’objet, s’il y est adopté, d’un renvoi ultérieur à l’Assemblée autrement composée.
Rien ne fait non plus obstacle, sauf la cohérence des textes, à ce qu’une initiative législative vienne contrarier un dispositif adopté dans l’intervalle, la question s’était d’ailleurs posée lors du contentieux que l’on vient de citer.
Les observations – très circonstanciées – du gouvernement pour cette décision citent plusieurs exemples de textes dont la navette n’est pas interrompue par le renouvellement de l’une ou l’autre des assemblées, projets de loi (par exemple, la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique avec trois lectures dans chaque chambre entre janvier 2002 et juillet 2004 ) ou propositions de lois (loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait de produits défectueux ; loi n° 98-45 du 23 janvier 1998 renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière ; loi n° 2010-238 du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation ; loi n° 2021-1442 du 24 décembre 2012 tendant à suspendre la fabrication de produits contenant du bisphénol A ).
Est-il possible pour les députés de la nouvelle législature de reprendre intégralement les précédents textes ?
« Les propositions repoussées par l’Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d’un an », indique l’article 84 du Règlement de l’Assemblée. Il n’y a pas d’autre obstacle juridique. En loi de finances en particulier, il est fréquent que les mêmes amendements rejetés, reviennent en discussion l’année suivante. Mais la grande limite de fond qui empêche la transformation d’un dispositif d’un projet de loi en proposition ou en amendement parlementaire est l’article 40 de la Constitution qui crée une irrecevabilité absolue, applicable au dépôt de l’initiative ou à tout moment du débat.
Quid des travaux des commissions d’enquête parlementaire en cours à l’Assemblée ?
Tous les travaux en cours à l’Assemblée connaissent le même sort : questions écrites auxquelles il n’a pas été répondu, missions parlementaires en cours, et commissions d’enquête sont définitivement interrompues. En outre, les commissions d’enquête doivent remettre leurs rapports dans le délai de six mois suivant leur création. Les travaux en cours ne pourront donc être divulgués (art. 212-13 du code pénal).
L’interruption du mandat a ainsi un effet instantané et total. Le Conseil constitutionnel a même jugé, de manière discutable (Éric Landot « Dissolution et recours de constitutionnalité », 12 juillet 2024), qu’il ne pouvait recevoir une saisine par 60 députés d’une loi non encore promulguée, dès lors qu’elle ne lui est pas parvenue avant le « prononcé » de la dissolution (n° 2024-870 DC du 10 juillet 2024. contra CE 13 mai 2024 n° 446541).