Par Aurélien Antoine – Professeur à la Faculté de droit de l’Université Jean Monnet et Directeur de l’Observatoire du Brexit

À la suite du décès de la Reine Elizabeth II jeudi 8 septembre, le processus d’accession au trône de son fils Charles s’est immédiatement enclenché. Le samedi 10 septembre a ainsi vu se dérouler les différentes étapes d’un protocole millimétré au terme duquel Charles III a accédé au trône sans pour autant être couronné, le couronnement ne pouvant se faire qu’à l’expiration de la période de deuil. Pour mémoire à cet égard, la Reine Elizabeth II n’avait elle-même été couronnée que seize mois après la mort de son prédécesseur. Retour sur les étapes de ce protocole d’accession au trône.

Quelles sont les sources encadrant le protocole d’accession au trône d’un monarque au Royaume-Uni ?

Comme le rappelle le centre de documentation de la Chambre des Communes dans une analyse que nous synthétisons ici[1], il n’existe pas de texte unique qui compilerait toutes les règles encadrant l’accession au trône. Il faut se référer aux pratiques les plus récentes pour lesquelles des traces précises demeurent. Quelques sources écrites sont tout de même d’un certain secours : des lois (Succession to the Crown Act 1707, Demise of the Crown Act 1901, par exemple), le droit de l’Église d’Angleterre, les notes et rapports des institutions concernées (du Privy Council et du Parlement), les commentaires de William Blackstone, le traité d’Erskine May (bible du droit parlementaire), ou le recueil des débats parlementaires (Hansard).

Au-delà du protocole, les qualités substantielles pour accéder au trône et les règles de succession sont principalement fixées par le Bill of Rights de 1689, l’Act of Settlement de 1701 et le Succession of the Crown Act de 2013.

Quel est le rôle du Conseil d’accession ?

En vertu de l’adage Rex nunquam moritur (« le roi ne meurt jamais »), le prince de Galles est devenu roi à l’instant où la reine a rendu son dernier soupir. Rapidement, le nouveau monarque a fait part du titre qu’il a choisi et a rencontré le Premier ministre avant une première adresse à ses sujets. Le Cabinet dévoile le cadre du deuil national et des funérailles d’État.

Les formalités juridiques et protocolaires ont pour objet de prendre acte du changement de monarque et de la transmission de la Couronne (l’expression juridique Demise of the Crown est utilisée). C’est à ce titre que le Conseil d’accession intervient. L’ordonnance en Conseil qui est prise est un acte reconnaissant et confirmant un fait juridique préexistant. Il n’y a jamais eu de recours juridictionnels contre cet acte, mais le monarque a pu saisir le Judicial Committee of the Privy Council, (aujourd’hui émanation de la Cour suprême du Royaume Uni et cour suprême des territoires ultra-marins, des Dépendances de la Couronne et de quelques États appartenant au Commonwealth), afin d’obtenir des éclaircissements sur l’obligation de certains corps constitués et des plus hauts fonctionnaires de l’État de renouveler leur serment à la Couronne[2].

Quelles sont les étapes qui se déroulent au sein du Conseil avant la proclamation officielle ?

Dans un premier temps, la réunion du Conseil d’accession au trône au palais de Saint James à Londres se déroule à huis clos. Cette assemblée est une émanation du Conseil privé du monarque (organe original de l’Exécutif disposant d’un pouvoir de conseil et de décision lié à l’exercice de la prérogative royale), convoqué par la présidente (actuellement Penny Mordaunt, en outre ministre chargée des Relations avec la Chambre des Communes). Il est composé des principaux membres du Conseil privé et de plusieurs autorités supplémentaires comme le Lord Mayor de la City of London (et de ses administrateurs élus) ou encore les hauts commissaires des royaumes du Commonwealth dont le monarque britannique est chef d’État. 200 personnes environ assistent au Conseil. Il consent à la proclamation d’accession préparée par le gouvernement et valide le nom du nouveau monarque. Le texte est signé par les membres de la famille royale faisant partie du Conseil privé, les archevêques de Canterbury et de York, le Lord Chancelier, le Premier ministre, et trois grands officiers royaux (le Lord du Sceau privé, le Lord Grand chambellan et le comte Marshal).

Le Conseil approuve ensuite les actes relatifs au deuil national. L’ensemble des représentants des royaumes du Commonwealth signe la proclamation et se dirige vers la salle du trône du palais. Le monarque fait alors son entrée et tient son Premier conseil privé. C’est le second temps. Le roi prononce un court discours et fait le serment de protéger l’Église d’Écosse. Le texte, préparé par le ministère de l’Intérieur, est rendu public. Le serment est signé par le monarque et une copie est envoyée à la Court of Session, la plus haute juridiction d’Écosse qui l’enregistre dans le Books of Sederunt. Les autorités institutionnelles écossaises signent à leur tour les documents officiels concernant leur nation. Les membres du Conseil prêtent allégeance au roi et des copies de la proclamation sont envoyées aux royaumes du Commonwealth (qui suivent eux aussi une procédure spécifique pour prendre acte de l’avènement du roi). Le Conseil privé présidé par le souverain se poursuit afin de régler d’autres détails protocolaires et signer les ordonnances urgentes en vue d’assurer la continuité de l’action de l’État.

Pour Charles III, le Conseil s’est réuni le 10 septembre. La proclamation a été faite par le Garter King of Arms à 11 h, heure de Londres, sur le balcon du Palais donnant sur Friary Court. Elle a aussi été prononcée en d’autres lieux comme la City et le Royal Exchange, puis dans les trois nations celtes (Écosse, Irlande et pays de Galles). Le tout s’est conclu sous les hourras de la foule et des Royal Guards avant que le God Save the King ne soit entonné. Pour la première fois de l’Histoire, la cérémonie a été entièrement télévisée, évolution qui avait été recommandée en 2018 par le think tank universitaire, The Constitution Unit[3].

Après le Conseil d’accession, l’étape finale sera le couronnement à l’occasion duquel le roi prêtera serment de loyauté aux lois et jurera fidélité à l’Église d’Angleterre. À l’époque contemporaine, en raison des délais d’organisation du couronnement, le serment officiel est fait lors de l’ouverture de la nouvelle session parlementaire, ce qui fut le cas pour Élisabeth II.

[1] D. Torrence, The Death of a Monarch, House of Commons Library, n° CBP9372, 8 septembre 2022, 77 p.

[2] Judicial Committee of the Privy Council v Report on Oaths Following the Kings Death [1910] UKPC 39.

[3] R. Hazell, B. Morris, Swearing in the new king: The accession declarations and coronation oaths, 42 p.