Le « Préférendum » : entre nouveauté démocratique et référendum déguisé
Par Mathias Revon, Maître de conférences l’Université de Limoges, et Patrick Taillon, Professeur à l’Université de Laval, au Québec
Les « innovations démocratiques » promises par le président de la République se précisent. Même si rien n’est encore acté, le Président semble tenté de se tourner directement vers les électeurs, dans le cadre de deux procédures qui, à bien des égards, s’éloignent de la pratique et de l’usage du référendum sous la Ve République.
La première, qualifiée de « préférendum », consiste à organiser plusieurs référendums sur des thématiques distinctes, mais regroupés le même jour. De multiples questions seraient posées, auxquelles les citoyens répondent par oui ou par non. Appelé à se prononcer, Olivier Véran, ministre délégué chargé du Renouveau démocratique et porte-parole du Gouvernement, a déclaré qu’en vertu de la Constitution, il n’est pas possible de « faire un seul scrutin avec plusieurs questions différentes ». Or, rien n’empêche de « poser plusieurs questions, le même jour, dans le cadre, donc, de scrutins indépendants aux Français ».
La seconde procédure évoquée est celle d’un « pré-référendum », définie par Olivier Véran comme « une consultation nationale sans valeur juridique », à propos de questions qui ne peuvent faire l’objet d’un référendum sous le régime de l’article 11 de la Constitution. Ce serait le cas de référendums portant sur des orientations conçues en termes généraux (plutôt qu’un projet de loi entièrement rédigé et potentiellement exécutoire). Des référendums comportant plus de deux choix de réponse pourraient aussi s’inscrire dans ce type de « consultations » organisées en marge de la Constitution. De multiples changements (propositions et contre-propositions) se feraient concurrence, et ce, de manière à rompre avec la traditionnelle approche binaire du « oui ou non ».
Ces deux types de procédures constitueraient-ils de réelles innovations démocratiques ?
Concernant la procédure du « préférendum », on peut s’interroger sur la part d’innovation apportée. Après tout, ici, il est seulement question d’organiser plusieurs référendums le même jour, en se fondant sur une procédure déjà prévue par la Constitution. Difficile, donc, d’y voir une véritable avancée, d’autant que le procédé est bien connu aux États-Unis ou en Suisse. En outre, il ne s’agit pas d’exprimer des préférences, comme parait le suggérer le terme « PRÉFÉrendum », mais, de manière assez classique, d’adopter ou de rejeter une proposition ou un projet de loi — constitutionnelle ou ordinaire, en fonction de la procédure choisie.
Le recours au « pré-référendum » est, certes, plus novateur. Néanmoins, la terminologie retenue peut porter à confusion, car la consultation proposée n’a pas vocation à conduire à un référendum décisionnel et exécutoire. En fait, le pré-référendum vise à laisser à l’exécutif une marge de manœuvre considérable quant à la façon de concrétiser ou non les choix exprimés par les citoyens lors de ces consultations référendaires. Planifié en marge des procédures prévues par la Constitution, ce dispositif s’apparente à une « consultation », donc à une forme de sondage officiel, organisé à l’échelle nationale.
Qu’en est-il de la constitutionnalité de ces deux procédés ?
S’agissant, tout d’abord, du « préférendum », si l’on s’en tient aux procédures du référendum législatif (article 11 de la Constitution) et du référendum constitutionnel (article 89 de la Constitution), rien n’empêche d’organiser plusieurs référendums le même jour. Toutefois, des contraintes juridiques demeurent. L’article 11 énumère une liste limitative de domaines dans lesquels doit s’inscrire le projet ou la proposition de loi soumis à un référendum législatif. Sur le fondement de l’article 89, un référendum pour réviser la Constitution ne peut être organisé qu’après un vote, en termes identiques, du projet ou de la proposition de loi constitutionnelle par les deux chambres parlementaires. La rigidité de cette procédure rend plus qu’improbable la tenue de plusieurs référendums constitutionnels simultanés.
Le contrôle par le juge de ces multiples référendums est également un enjeu. À cet égard, si, depuis 1962, le Conseil constitutionnel refuse d’examiner la constitutionnalité d’une loi référendaire après son adoption (Décision n° 62-20 DC, du 6 novembre 1962), il exerce néanmoins un contrôle préalable « de la clarté et de la loyauté » de la question, laquelle « ne doit pas comporter d’équivoque » (Décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987). Or, poser plusieurs questions en même temps serait potentiellement une source de confusion pour les citoyens.
Quant au « pré-référendum » consultatif, il serait organisé hors du cadre de la Constitution, à l’instar du Grand débat national et des Conventions citoyennes qui l’ont précédé. Dans la mesure où la volonté exprimée par les citoyens n’a pas de valeur juridiquement contraignante, contrairement à un référendum classique, ce procédé semble se conformer, sans réelle difficulté, à la Constitution.
En somme, quels seraient les avantages et inconvénients de mettre en place de telles procédures ?
Dans les deux cas, la volonté du Gouvernement d’accroître la participation directe des citoyens apparaît comme un élément positif.
S’agissant du « préférendum », soit de l’organisation de plusieurs référendums le même jour, le premier avantage est d’offrir aux citoyens un véritable pouvoir décisionnel, ce qui n’était pas le cas du Grand débat national et des Conventions citoyennes. Le second intérêt d’un tel procédé est d’atténuer la dimension plébiscitaire ainsi que la personnalisation du scrutin qui pèsent sur le référendum notamment depuis les précédents de 1962 et 1969 organisés par le Général de Gaulle et, avant cela, les expériences bonapartistes. Multiplier les questions amoindrirait le réflexe contestataire, lequel conduit les électeurs à se prononcer pour ou contre celui qui pose la question plutôt que sur le contenu de celle-ci.
Néanmoins, le procédé comporte des inconvénients, notamment du point de vue pratique et de celui de la qualité de la délibération. En effet, la tenue de plusieurs scrutins simultanés pourrait s’avérer laborieuse : comment organiser les débats, le financement ou le partage du temps d’antenne ? On imagine aisément le désordre qui régnerait si chaque parti politique défendait le « oui » sur une question, le « non » sur une autre. Cette cacophonie serait d’ailleurs surtout préjudiciable pour les citoyens. Comment faire un choix éclairé, tout en étant noyé dans des débats contradictoires sur des sujets différents et sur des questions qui peuvent se révéler complexes ? Les risques de fraudes et d’irrégularités, inhérents à tout scrutin, se verraient également démultipliés.
À propos de la seconde procédure du « pré-référendum » consultatif, l’avantage demeure certainement dans sa souplesse, puisqu’il permet de diversifier les questions au-delà de la liste des domaines fixés par l’article 11, mais, aussi et surtout, de sortir du choix binaire du référendum. Toute une gradation de propositions — de nuances — peut être imaginée avec des questions à choix multiples. Du reste, le pré-référendum offre un fort potentiel de complémentarité avec des délibérations semblables à celles du Grand débat national et des Conventions citoyennes.
Le fait d’agir en marge de la Constitution comporte aussi des inconvénients. Après tout, sortir du cadre de la Constitution permet d’en contourner les limites. En s’émancipant de la procédure de l’article 11, des « consultations » référendaires deviennent possibles sur des sujets tels que l’immigration ou les libertés publiques, et, à terme, elles peuvent servir à légitimer des choix politiques potentiellement inconstitutionnels.
En définissant le nombre de propositions soumises aux électeurs, puis en favorisant des choix multiples susceptibles de conduire à des résultats ambigus, l’exécutif préserve sa capacité « d’interpréter » à sa manière les résultats – cette critique a d’ailleurs été formulée à la suite du Grand débat national et de la Convention citoyenne sur le climat qui ont laissé aux participants un goût amer.
À plus forte raison, les scrutins à choix multiples risquent de conduire à des majorités relatives bien en dessous du seuil de cinquante pour cent des votes exprimés. Pour autant, comme le montrent les expériences britannique ou canadienne, il ne faut pas négliger la contrainte politique qui peut résulter d’un scrutin n’ayant qu’une valeur consultative, lorsqu’une majorité claire se dessine.