Par Marthe Fatin-Rouge Stefanini, Directrice de recherches au CNRS, Aix-Marseille Université, Université de Toulon, CNRS, DICE, ILF-GERJC, Aix-en-Provence 

Le président de la République peut-il organiser un référendum seul ?

L’initiative du référendum n’appartient pas au président de la République. L’article 11 de la Constitution prévoit que le président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, peut décider de soumettre un texte au référendum. Certes, Emmanuel Macron peut émettre le souhait d’organiser un référendum mais sans l’impulsion des assemblées de manière conjointe ou du gouvernement, le président de la République ne peut pas organiser un référendum à sa seule initiative.

D’ailleurs, lors des mandats présidentiels précédents, tous les référendums organisés dans le cadre de l’article 11 de la Constitution reposaient sur une décision coordonnée du gouvernement et du président de la République. Lorsque cette proposition émane du gouvernement, cette décision est prise en Conseil des ministres, qui va proposer au président de la République de recourir au référendum. Il est évidemment plus facile pour le président de la République d’organiser un référendum en situation de fait majoritaire, lorsque le Premier ministre et son gouvernement mènent une politique allant dans le sens souhaité par le président de la République. S’il n’y a pas de confiance réciproque ou/et si le gouvernement estime que l’organisation d’un référendum peut compliquer la situation politique dans une période où il est difficile de gouverner, comme c’est le cas actuellement, il est fort peu probable qu’une telle proposition puisse émerger.

Qu’est-ce qui est référendable ?

Au préalable, il convient d’écarter le référendum de l’article 89 de la Constitution qui prévoit la procédure de révision de la Constitution. En effet, avant même qu’un référendum ne soit décidé, il serait nécessaire que les deux chambres du Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat) s’entendent pour voter un texte en termes identiques. Ce n’est qu’après avoir abouti à un texte de consensus dans chaque chambre que le président de la République pourrait décider de recourir au référendum dans le cas où l’initiative de la révision proviendrait du Premier ministre. Dans la configuration actuelle, une fois de plus, ce scénario est difficilement envisageable au regard des tensions présentes au sein de l’Assemblée nationale, si ce n’est pour un thème qui dépasserait les clivages politiques comme ce fut le cas de la révision constitutionnelle relative à l’inscription de l’IVG dans la Constitution.

Concernant le référendum de l’article 11, son champ d’application est défini à l’alinéa 1er de cette même disposition. D’après le texte, trois domaines peuvent donner lieu à l’organisation d’un référendum sur un projet de loi ; l’organisation des pouvoirs publics qui peut être assez largement défini ; des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ;  ou la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Le domaine qui pose le plus de questions est le deuxième : les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent. Au fil des décisions RIP, rendues dans le cadre de la procédure dite de « référendum d’initiative partagée » (art. 11 al. 3 de la Constitution), le Conseil constitutionnel précise ce qui peut ou non rentrer dans ce champ. Il a ainsi précisé que les modifications devaient être d’une ampleur suffisante pour pouvoir être considérées comme des réformes (CC, décis. n°2022- 3 RIP du 25 octobre 2022, Proposition de loi portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises). Quant au domaine proprement dit, beaucoup d’incertitudes planent et ne pourront être levées que par le Conseil constitutionnel. Il apparaît clairement qu’une question relative à la politique migratoire n’entre pas dans ce champ. En revanche, une proposition relative aux prestations sociales des étrangers relève de la politique sociale, donc a été déclarée recevable par le Conseil constitutionnel en avril dernier (§ 7 de la décision n° 2024-6 RIP du 11 avril 2024, Proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers), même si elle a été écartée sur le fond pour non-conformité aux al. 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 (§ 13 de la décision). Les questions budgétaires, décidées dans le cadre d’une loi annuelle, ne semblent pas pouvoir relever de la notion de réforme relative à la politique économique de la Nation. Sur ce point, la jurisprudence du Conseil constitutionnel pourra éclairer le sens de ces termes. Quant à la réforme des retraites, actuellement discutée, il est peu probable que le président de la République décide de soumettre au référendum un texte si difficile à faire adopter par les assemblées en 2023, et si contesté, mais sait-on jamais.

Enfin, on peut s’interroger sur la possibilité d’une réforme par référendum du mode d’élection des députés en vue d’introduire la représentation proportionnelle. En 2021, François Bayrou s’y était montré favorable et a renouvelé sa proposition de faire passer une telle réforme par référendum à la fin de l’été dernier. Une modification de la législation électorale a de nouveau été évoquée par le Premier ministre lors de son discours de politique générale du 14 janvier 2025. Outre les divisions importantes qu’une telle évolution du scrutin suscite à la fois sur son principe même et sur les modalités d’introduction de la proportionnelle, encore faudrait-il que le champ du référendum de l’article 11 permette de placer une telle question au scrutin. A priori, le domaine relatif à « l’organisation des pouvoirs publics » ne concerne pas directement les réformes électorales. Toutefois, en 1962, cette incise a été interprétée largement par le président de la République lui-même de manière à soumettre au référendum l’évolution du mode de désignation du président de la République. La question se pose donc de savoir si cette disposition pourrait être interprétée largement afin d’y inclure une réforme électorale concernant l’Assemblée nationale alors même que dans le cadre du RIP, le Conseil constitutionnel fait une interprétation stricte du champ d’application de l’article 11.

Quelle sanction si le président de la République veut se lancer dans un domaine interdit ou incertain ?

Toutes les précisions ci-dessus évoquées concernant le champ d’application de l’article 11 ont été livrées par le Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle préalable obligatoire des propositions de référendum d’initiative minoritaire appelées « RIP ». Un tel contrôle systématique n’existe pas pour les référendums d’initiative gouvernementale ou sur proposition conjointe des deux assemblées correspondant à l’hypothèse de l’article 11 alinéa premier de la Constitution. On suppose, cependant, que les indications apportées par le Conseil constitutionnel dans le cadre des RIP s’imposent à tous les référendums organisés dans le cadre de cette disposition.

Par ailleurs, depuis la décision Hauchemaille du 25 juillet 2000, le Conseil constitutionnel accepte de recevoir des requêtes dans le cadre de sa mission générale de contrôle de la régularité des référendums prévue par l’article 60 de la Constitution. Il s’agit d’une mission de surveillance générale des opérations référendaires, distincte de ses missions relatives au contrôle de constitutionnalité des lois, des règlements d’assemblée, des traités internationaux ou encore des propositions de RIP. Avant cette décision de juillet 2000, le Conseil constitutionnel ne rendait que des avis sur les actes préparatoires au référendum. Or, depuis juillet 2000, le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour exercer un contrôle juridictionnel préalable au scrutin dans un cadre très précis, celui où l’irrecevabilité des requêtes qui lui sont présentées « risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ». Or, en 2000, lors du référendum relatif à la durée du mandat présidentiel, comme en 2005 lors du référendum portant sur le projet de loi de ratification du traité établissant une constitutionnel pour l’Europe, le Conseil constitutionnel a accepté assez facilement d’examiner sur ce fondement les décrets décidant de soumettre ces projets de loi au référendum (voir notamment les décisions n° 2000-24 REF du 23 août 2000, Hauchemaille et décision n° 2005-31 REF du 24 mars 2005, Hauchemaille et Meyet). S’il a accepté d’exercer un contrôle de la conformité de ces décrets à des règles de forme et de procédure prévues par la Constitution, il s’est montré plus réservé quant à la possibilité d’exercer un contrôle de constitutionnalité de ces décrets sur le fond. Dans la décision du 24 mars 2005, Hauchemaille et Meyet, alors que la question de la conformité du projet de loi de ratification du traité avait été soulevée par rapport à la Charte de l’environnement qui venait d’être introduite dans la Constitution, le Conseil constitutionnel a répondu de manière très laconique « qu’en tout état de cause, le traité établissant une Constitution pour l’Europe n’est pas contraire à la Charte de l’environnement de 2004  » (§ 7). Il a ainsi exercé un contrôle de constitutionnalité sans en développer les motifs en expliquant dans les commentaires officiels de la décision que le Conseil constitutionnel n’avait pas tranché le point de savoir s’il pouvait se déclarer compétent.

Toutefois, dans son discours du 4 octobre 2023 à l’occasion du 65ème anniversaire de la Constitution de la Ve République, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, a souligné, comme il le fait depuis quelques années, que le Conseil constitutionnel pourrait être compétent pour contrôler le référendum décidé par le président de la République dans le cadre de l’article 11 al. 1er. Il fait directement référence à la jurisprudence Hauchemaille et indique ainsi que le Conseil constitutionnel pourrait s’opposer à un référendum présidentiel qui ne respecterait pas le champ d’application de l’article 11 al. 1er.

De nouveaux membres du Conseil constitutionnel seront bientôt nommés et personne ne peut savoir à l’avance ce que le Conseil constitutionnel décidera dans l’avenir s’il était confronté une nouvelle fois à une demande de référendum visant à réviser la Constitution comme en octobre 1962 ou en 1969. Il est fort à parier toutefois que le Conseil constitutionnel s’y opposerait dans le cadre du contrôle des actes préparatoires au référendum s’il était saisi. Il serait important d’ailleurs que cette question soit définitivement tranchée par le constituant, que les ambiguïtés de l’article 11 soient levées, et qu’un contrôle préalable obligatoire de la constitutionnalité de tous les référendums organisés dans le cadre de l’article 11 soit enfin prévu.

Si le Conseil constitutionnel appliquait jusqu’au bout sa jurisprudence Hauchemaille, le décret décidant de soumettre un projet de loi au référendum qui ne respecterait pas le champ d’application de l’article 11 pourrait donc être considéré comme non conforme à la Constitution dans le cadre du contrôle exercé en vertu de l’article 60 de la Constitution.

Un président peut-il convoquer un référendum sans inciter les Français à voter pour ou contre lui-même ? Y a-t-il une méthode possible pour dépersonnaliser un sujet ?

Il est exagéré de croire que les citoyens votent systématiquement pour ou contre l’autorité qui est à l’origine d’un référendum, et qu’ils votent aveuglément sans s’intéresser au sujet. Si le vote permet d’exprimer une émotion, il est avant tout destiné à exprimer un choix par rapport à la proposition qui leur est présentée. Il est difficile d’imaginer qu’ils votent massivement contre une réforme qui présenterait des avantages pour eux, par exemple, tout simplement parce que la question est posée par un président de la République dont la côte de popularité est au plus bas. Le risque de personnalisation est plutôt lié à la manière dont la réforme sera présentée, à son sujet plus ou moins clivant et à la clarté des choix qui sont offerts.

En revanche, une des solutions imaginables pour tenter de dépersonnaliser un sujet serait de faire précéder le référendum d’une convention citoyenne. Le gouvernement pourrait s’appuyer sur la proposition citoyenne pour élaborer le projet de loi soumis au référendum, ce qui permettrait de légitimer autrement ce projet de loi de référendum et de le « dépolitiser » dans le sens où il ne serait pas associé nécessairement au parti politique gouvernemental/ou et majoritaire. En Irlande, le gouvernement et le parlement se sont beaucoup appuyés sur les débats des conventions citoyennes pour faire passer des propositions par référendum dont celle relative à l’avortement par exemple. Une convention citoyenne est un processus qui permet de faire émerger un débat éclairé sur un sujet par le biais d’un processus d’intelligence collective. L’assemblée de citoyens tirés au sort dispose d’un accès à l’information sur un sujet précis et, au fur et à mesure des débats, les opinions peuvent évoluer au sein de la convention. Le résultat de ces discussions peut être synthétisé sur une page. On peut imaginer ainsi que les arguments favorables et défavorables à une réforme, de même que les résultats du vote au sein de la convention citoyenne sur la proposition présentée, soient présentés sur une page et transmis aux citoyens avec le matériel électoral. Ces travaux pourraient également être accessibles en ligne pour tous les citoyens. Ce modèle est celui des Citizens’ initiative Review en Oregon, bien connu des théoriciens de la démocratie délibérative.

Au regard des expériences du Grand débat national et de la première convention citoyenne, on peut également imaginer que le président de la République, Emmanuel Macron, propose une autre forme de consultation inédite. Les termes utilisés lors de ses vœux sont particulièrement flous.