Par Romain Rambaud, Professeur agrégé de droit public, expert en droit électoral, co-directeur des Masters Droit des collectivités territoriales de l’Université Grenoble-Alpes

Quelles ont été les annonces d’Emmanuel Macron précisément ?

Au cours de son discours prononcé le 4 octobre 2023 au Conseil constitutionnel, à l’occasion du 65ème anniversaire de la Constitution, le président de la République a annoncé envisager plusieurs réformes constitutionnelles dont deux concernant le référendum législatif, considérant qu’elles « permettront de répondre, aussi, aux aspirations démocratiques de notre temps » : la première visant à élargir le champ des matières pouvant faire l’objet d’un référendum prévu par l’article 11, la seconde visant à assouplir les conditions de mises en œuvre du référendum d’initiative partagée (RIP). L’idée n’est pas nouvelle chez Emmanuel Macron qui l’avait avancée, à la suite de la crise des gilets jaunes, dans le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique du 29 août 2019 : il était déjà question d’étendre le champ de l’article 11 aux « questions de société qui avaient été écartées lors des débats parlementaires de 1995 ».

Le contexte a toutefois évolué et de nouveaux thèmes se sont imposés, ainsi qu’il ressort des échanges entre le Président et les principaux partis politiques lors des « rencontres de Saint-Denis ». En dernière analyse, le chef de l’Etat les a invités pour une nouvelle rencontre le 17 novembre et, dans sa lettre, il indique : « Nos réflexions sur les pistes d’évolution du référendum devront également être poursuivies », précisant qu’il « s’agirait à la fois de saisir des projets de loi relevant de questions dites ‘sociétales’ comme la fin de vie parfois évoquée, mais également de réformes plus larges touchant plusieurs aspects intriqués entre eux, comme c’est le cas des questions migratoires qui relèvent de sujets régaliens, économiques, sociaux ou même diplomatiques ».

En quoi pourraient consister ces « sujets de société » et quelles seraient leur impact sur le champ du référendum ?

On trouve dans certains commentaires officiels des décisions du Conseil constitutionnel une référence aux « questions de société » : adoption au sein d’un couple non marié, mariage pour les couples de même sexe, demande de prélèvements sur une personne décédée à des fins d’actions en matière de filiation, autoconservation de cellules de sang du cordon, conservation de cellules autologues par une société privée… Le Président Fabius élargit cette catégorie au-delà du domaine de la bioéthique en intégrant la liberté de culte (L. Fabius, Leçon inaugurale, Ecole de droit de Sciences Po, 28 septembre 2022). 

La gauche met aussi en avant des questions comme celle de la fiscalité, suite à ses propositions de loi référendaires fondées sur la procédure du RIP en matière de « superprofits » et concernant la réforme des retraites. Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas écarté la question fiscale du champ de l’article 11, rejetant la proposition de loi sur les superprofits en octobre 2022 non parce qu’elle concernait la matière fiscale, mais parce qu’elle n’était pas d’une envergure suffisante pour répondre à la qualification de « réformes relatives à la politique (…) de la Nation » (Cons. const., décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022). Cette solution a été confirmée lors de la réforme des retraites (Cons. Const., n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 et n° 2023-5 RIP du 3 mai 2023). 

Cette jurisprudence permet d’évoquer plusieurs limites potentielles aux évolutions envisagées par Emmanuel Macron. Que faire de la matière fiscale précitée, mais aussi de la matière pénale, alors que le président de la République aurait estimé, dans sa lettre aux chefs de parti, confirmant le projet de loi constitutionnelle de 2019, que « L’étendre à tous les types de projets de loi – y compris pénaux ou fiscaux ou même budgétaires – (…) n’est pas souhaitable » ? Sera-t-il question de remettre en cause la référence aux « réformes », alors que c’est cette dernière notion qui, sur les trois dernières tentatives, a empêché la mise en œuvre du RIP ?

A droite, c’est la question de l’immigration qui focalise les débats, le Rassemblement National et les Républicains appelant à une modification de la Constitution et un référendum sur cette question, alors qu’en effet beaucoup de sujets liés à l’immigration relèvent du domaine civil et/ou pénal et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un référendum à l’heure actuelle.

En quoi la question de l’immigration présente-t-elle une sensibilité particulière ?

Parmi d’autres sujets, l’immigration présente d’abord une sensibilité particulière sur le plan politique.  Non seulement parce que c’est une question délicate sur le plan humain dans un contexte géopolitique et climatique difficile, mais aussi parce qu’elle est au cœur des débats sur le référendum lui-même, qui n’est pas un outil consensuel, notamment du point de vue des droits de l’homme. Si le référendum est un instrument de souveraineté populaire, son impact sur les droits humains reste controversé, car il est parfois utilisé, à tort ou à raison, pour s’opposer à certaines revendications : interdiction de construction des minarets en 2008 et restriction de l’immigration en Suisse en 2014, refus du mariage homosexuel en Croatie en 2013 et en Slovénie en 2015, refus d’une exposition des mineurs aux problématiques sexuelles et de genre en Hongrie en 2022, ou encore rejet de la réforme sur les droits des aborigènes en Australie en 2023…

Lors de son discours au Conseil constitutionnel, le Président de la République a indiqué qu’« Étendre le champ du référendum, ne peut permettre et ne saurait permettre, de se soustraire aux règles de l’état de droit ». Comment se prémunir de tels problèmes ? En restreignant le champ des questions de société ? En attribuant un contre-pouvoir au Parlement ? En prévoyant, en matière de référendums à l’initiative du pouvoir exécutif, le contrôle de constitutionnalité a priori des propositions de loi référendaires qui existe déjà pour le RIP ?

Ensuite, la question de l’immigration est sensible car, selon les souhaits exprimés par le peuple, la France pourrait se trouver en confrontation avec le droit de l’Union européenne et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme. De quoi soulever des problèmes importants d’articulation sur le plan juridique, et de soulever des questions de Souveraineté vis-à-vis de certains ordres internationaux qui pourraient conduire la France en terre inconnue.