Par Anne Ponseille, Maître de conférences à l’Université de Montpellier

Si Nicolas Sarkozy est reconnu coupable dans l’affaire du financement par des fonds libyens de la campagne présidentielle de 2007, les peines encourues pourront-elles toutes être prononcées et exécutées de manière cumulative ?

Jusqu’en avril 2025, se déroulera un procès à l’occasion duquel Nicolas Sarkozy sera jugé sur le fondement d’une poursuite unique : il lui est reproché d’avoir commis les délits de recel de détournement de fonds publics, de corruption active, de financement illégal de campagne électorale et d’association de malfaiteurs. Pour la répression de ces infractions sont encourues à titre principal des peines d’emprisonnement et des peines d’amende. Des peines complémentaires sont également applicables dont notamment celle d’inéligibilité. Si le prévenu est déclaré coupable de ces infractions, l’ensemble de ces peines de nature différente pourra être prononcé. Cependant, si le tribunal considère que plusieurs de ces délits doivent être par exemple sanctionnés d’une peine d’emprisonnement, il prononcera une seule peine d’emprisonnement et non quatre : cette peine unique sera réputée commune aux infractions en concours. De plus, le quantum de la peine d’emprisonnement ainsi prononcée sera fixé dans la limite du maximum le plus élevé encouru, c’est-à-dire celui prévu pour l’infraction la plus sévèrement punie, en l’espèce dix ans. Il n’est donc question ici ni de cumul de peines, ni de confusion de peines.

Dans l’hypothèse d’une reconnaissance de la culpabilité de Nicolas Sarkozy et de sa condamnation à une peine d’emprisonnement et à une peine d’inéligibilité à l’issue de ce procès, devra-t-il exécuter ces peines de manière cumulative avec celles de même nature auxquelles il a été condamné de manière définitive dans l’affaire des écoutes dite « affaire Bismuth » ?

Il s’agit là d’une hypothèse distincte de la précédente : le prévenu a été condamné dans une affaire et il serait de nouveau reconnu coupable et condamné dans une autre affaire, donc à l’occasion de procédures séparées pour des infractions en concours (art. 132-4 C. pén.).

Dans pareil cas, le Code pénal prévoit que, si le prévenu est déclaré coupable, les peines prononcées (celles décidées dans le cadre de la précédente affaire et celles prononcées à l’issue du présent procès) s’exécutent cumulativement dans la limite du maximum de la peine édictée par la loi pour le fait le plus sévèrement réprimé. C’est ce que l’on appelle la « réduction au maximum légal » ou la « confusion de plein droit ». Dans l’exemple pris, le maximum légal s’élève à dix ans pour la peine d’emprisonnement et l’ex-Président ne pourrait donc subir une peine privative de liberté supérieure à dix années même si la somme des deux peines d’emprisonnement prononcées devait dépasser ce maximum.

Cependant, la loi prévoit aussi que, dans le cas où des peines de même nature sont prononcées successivement contre une même personne à raison de faits poursuivis séparément, la juridiction pénale de jugement peut décider, si elle a connaissance d’une précédente condamnation devenue définitive, d’une confusion totale ou partielle des peines prononcées avec celles de même nature décidées à l’occasion du précédent procès. Il s’agit de ce que la doctrine appelle la « confusion immédiate » de peines (É. Bonis, V. Peltier, Droit de la peine, LexisNexis, 2023, 4ème éd., n° 901 et s.)

En l’espèce, la Cour d’appel de Paris a condamné l’ancien chef de l’État le 17 mai 2023 à une peine d’emprisonnement de trois ans dont un an ferme et à une peine complémentaire de trois ans d’interdiction des droits civiques (peine d’inéligibilité). En raison du rejet par la Cour de cassation le 18 décembre 2024 du pourvoi qu’il avait formé, cette condamnation est devenue définitive. Dès lors, si le tribunal retient la culpabilité de Nicolas Sarkozy à l’issue du procès qui s’ouvre en ce début d’année et prononçait à son encontre une peine d’emprisonnement de quatre ans par exemple, il pourrait décider que la peine de trois ans prononcée dans la précédente affaire soit absorbée et seule une peine d’emprisonnement de quatre ans serait alors à exécuter (sous réserve de l’application de règles particulières liées aux condamnations assorties de sursis). Si une peine complémentaire d’inéligibilité pendant deux ans était en outre décidée, le tribunal pourrait ordonner qu’elle soit absorbée par la peine de même nature de trois ans prononcée dans l’affaire précédemment jugée et elle n’aurait donc pas à être exécutée.

Le Tribunal correctionnel de Paris amené à statuer dans l’affaire des financements libyens sera-t-il tenu de procéder à la confusion des peines s’il décide de condamner Nicolas Sarkozy ?

La réponse est négative puisqu’il s’agit d’une simple faculté pour la juridiction pénale de jugement. Elle peut statuer de sa propre initiative sur la confusion ou être saisie de conclusions à cette fin. Si elle est sollicitée en ce sens par la personne condamnée, elle est tenue d’y répondre mais, dans le cas contraire, elle n’est pas obligée de se prononcer sur la confusion. Cette absence de contrainte s’explique par le fait que la personne condamnée a la possibilité de formuler a posteriori une requête en confusion de peines (art. 710 C. proc. pén.) devant le tribunal correctionnel ayant prononcé les peines ou se trouvant au siège d’une des juridictions ayant prononcé les peines (art. 710-1 C. proc. pén. issu de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire à la suite de la censure du Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-925 QPC du 21 juillet 2021). Dans le cas d’une telle demande, le tribunal siège par principe à juge unique. La requête est formulée lorsque la condamnation prévoyant les peines dont la confusion est demandée est devenue définitive. La décision est rendue après que le juge a entendu le ministère public, l’avocat du requérant et le requérant lui-même s’il en fait la demande : son audition est alors de droit selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (V. Cass. crim., 30 mars 2011, Bull. crim. n° 69). Le juge doit motiver la décision qu’il rend en tenant compte notamment du comportement de la personne depuis la condamnation, de sa personnalité, de sa situation personnelle, du délai qui sépare les différentes infractions, à partir des éléments et informations fournis par le requérant. Un appel peut être interjeté contre la décision ainsi rendue.

Compte tenu du nombre d’affaires jugées, en cours de jugement ou dont le jugement est à venir dans lesquelles Nicolas Sarkozy est poursuivi, d’autres confusions pourraient être sollicitées. Il en est une qui pourrait éventuellement être envisagée dans les mois à venir pour la condamnation de Nicolas Sarkozy dans une autre affaire, celle dite « Bygmalion », relative à la dissimulation du dépassement du plafond légalement fixé pour les dépenses électorales engagées durant la campagne présidentielle de 2012. En appel, Nicolas Sarkozy a été condamné en février 2024 pour violation de la limite légale des dépenses électorales à un an d’emprisonnement dont six mois ferme. Il a formé un pourvoi et l’arrêt de la Cour de cassation devrait être rendu dans le courant de l’année 2025. En cas de rejet du pourvoi, la condamnation deviendrait définitive et la question de la confusion de cette peine d’emprisonnement pourrait alors se poser.

Le Tribunal correctionnel de Paris réuni actuellement pourrait-il, d’une part, condamner de nouveau Nicolas Sarkozy à du sursis et, d’autre part, révoquer celui qui lui a été octroyé dans l’affaire des écoutes ?

S’il n’a pas été condamné pour un crime ou un délit à une peine de réclusion ou d’emprisonnement au cours des cinq années précédant les faits pour lesquels il est actuellement jugé, il pourrait être condamné de nouveau à du sursis (art. 132-30 C. pén.), bien qu’il ait été condamné de manière définitive tout récemment.

Par ailleurs, le sursis qui assortit en partie la décision devenue définitive en décembre dernier ne pourrait être révoqué par le tribunal de Paris s’il était également condamné à l’issue du procès qui se déroule en ce moment. En effet, la révocation totale ou partielle (qui conduit à exécuter la partie de la peine couverte par le sursis) ne peut intervenir qu’en cas de commission d’une nouvelle infraction dans un délai de cinq ans après que la décision de condamnation accordant le sursis est devenue définitive ou après l’exécution de la partie ferme de la peine d’emprisonnement décidée (art. 132-36 C. pén.). Or, il n’est pas actuellement jugé pour avoir commis une nouvelle infraction dans ce délai et donc aucune révocation ne pourrait intervenir.