Affaire Bygmalion : le feuilleton n’est pas fini !
Le 14 février 2023, La Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt dans l’affaire Bygmalion impliquant Nicolas Sarkozy ancien candidat à l’élection présidentielle de 2012 ainsi que neuf autres prévenus : : elle a confirmé la condamnation des différents protagonistes, le premier du chef de financement illégal de campagne électorale et les seconds pour faux et usage de faux, abus de confiance, escroquerie et complicité du délit de financement illégal de campagne électorale. Un feuilleton judiciaire qui n’est pas pour autant terminé. Que retenir de cet arrêt de condamnation rendu par la Cour d’appel de Paris ?
Par Jean-Marie Brigant, Maître de conférences en droit privé à l’Université du Mans, Membre du Themis-Um
Aux termes des 244 pages, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris a confirmé le raisonnement adopté par le tribunal correctionnel concernant la culpabilité des différents protagonistes, tout en allégeant les peines prononcées.
D’un côté, Nicolas Sarkozy est à nouveau déclaré coupable du délit de financement illégal de campagne électorale prévu par l’article L. 113-1 du Code électoral (dans sa version applicable à l’époque des faits). La cour d’appel a estimé le délit caractérisé dans ses éléments matériel et intentionnel. Qualifié de « Comptable des dépenses faits pendant la compagne et maître de la campagne », Nicolas Sarkozy a commis matériellement les faits incriminés en demandant l’organisation d’un meeting par jour, sans mise en concurrence des fournisseurs, au-delà du plafond légal autorisé (22, 5 millions) pour atteindre la somme définitive de 42,8 millions d’euros. Ces faits ont été commis de mauvaise foi. D’une part, il a été averti du risque de dépassement des dépenses à deux reprises, avec les notes des experts comptables du 7 mars 2012 et du 26 avril 2012. D’autre part, selon la cour d’appel, « doté d’une conscience totale des conséquences de l’infraction pour ses “troupes” et même pour l’UMP (…), le prévenu « s’est obstiné au mépris des règles de plafonnement qu’il connaissait parfaitement, pour les avoir pratiquées lors de la précédente campagne présidentielle de 2007, mais également pour les avoir accompagnées si ce n’est impulsées à l’occasion du vote de textes à l’époque à laquelle il était député ».
Condamné à un an de prison ferme en première instance, l’ancien candidat se voit infligé une même peine mais de six mois avec sursis.Ce choix mesuré est expliqué par la cour d’appel qui retient qu’« en considération, d’abord de l’atteinte aux institutions et de la démocratie, dont il était garant, car président sortant, ensuite du montant des sommes constitutives du dépassement, soit plus de 19 millions d’euros, (…) une peine d’emprisonnement ferme est indispensable pour réprimer de manière appropriée ces faits, commis et niés avec la même obstination, toute autre sanction étant manifestement inadéquate ». Toutefois, « eu égard à l’ancienneté des faits et à l’éligibilité du prévenu au sursis simple », la cour d’appel a considéré qu’il fallait réformer la peine infligée par le tribunal correctionnel. Quant à l’absence d’inéligibilité pour Nicolas Sarkozy, elle tient au fait qu’une telle peine n’a été introduite qu’avec la loi du 15 septembre 2017.
De l’autre côté, le système de fausses factures mis en place pour couvrir le dépassement du plafond légal des dépenses électorales a conduit à la commission d’une « galaxie » d’infractions que la cour d’appel a sanctionnée. Si Nicolas Sarkozy en a été le « bénéficiaire principal », il n’a pas été démontré sa participation personnelle en qualité d’instigateur ou organisateur de la fraude. Dans cette chaîne de responsabilités pénales, ont été condamnés :
- les membres de l’équipe de campagne dont le président, le trésorier et un expert-comptable à la peine de 2 ans d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis à laquelle s’ajoute une peine d’inéligibilité de 5 ans (usage de faux) ;
- les responsables administratifs de l’UMP que sont le directeur adjoint de campagne, le directeur général du parti, la directrice financière et le directeur de la communication à la peine de 2 ans d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis à laquelle s’ajoute une peine d’inéligibilité de 5 ans (usage de faux, complicité d’escroquerie et de financement illégal de campagne électorale) ;
- un dirigeant de Bygmalion à la peine de 18 moins d’emprisonnement avec sursis et l’interdiction de gérer pendant 5 ans (complicité d’usage de faux) ;
- un autre dirigeant de Bygmalion à la peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et l’interdiction de gérer pendant 5 ans (faux en écritures).
- Que penser du pourvoi en cassation formé par Nicolas Sarkozy ?
Ce pourvoi a un caractère suspensif : la condamnation de Nicolas Sarkozy par la Cour d’appel est donc interrompue jusqu’à ce qu’intervienne l’arrêt de la chambre criminelle. Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation aura à se prononcer dans cette affaire Bygmalion (Cass. crim. 31 janv. 2018, n° 17-80.659 : irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’association Anticor – Cass. crim., 19 févr. 2019, n°18-86.428 : transmission au Conseil constitutionnel de la QPC cumul de sanctions financières et pénales en cas de dépassement du plafond des dépenses par un candidat à l’élection présidentielle – Cass. crim. 1er oct. 2019, n° 18-86.428: validité de l’ordonnance de renvoi rendue par le juge d’instruction à l’encontre des différents protagonistes)
Ce nouveau pourvoi devrait logiquement conduire la Chambre criminelle à aborder de manière inédite la question de l’élément moral de délit électoral. Si cette infraction d’affaires nécessite un élément intentionnel (CP, art. 121-3), la preuve de celui-ci est doublement facilitée en pratique. D’une part, il se déduit du comportement matériel adopté : l’intention coupable de commettre le délit est caractérisée du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’élément matériel (ex : Cass. crim., 14 janv. 2004, n° 03-83.396). D’autre part, la qualité et l’expérience du prévenu font naître une présomption de connaissance ou de non-ignorance des faits incriminés (Cass. crim., 3 mars 2015, n° 13-82.917 – aff. Tiberi – délit d’atteinte à la sincérité du scrutin). Sans doute, Nicolas Sarkozy ne manquera-t-il pas, dans son pourvoi, de mettre en avant que la CJR a pu retenir à propos de E. Dupont-Moretti que son expérience d’avocat pénaliste et sa qualité de Garde des Sceaux n’étaient pas suffisants pour établir la conscience de commettre un délit de prise illégale d’intérêts. Pourquoi en irait-il différemment de son expérience d’ancien candidat à l’élection présidentielle et de sa qualité d’ancien Président de la République ? En attendant, Il ne faut pas oublier que devant la Cour de cassation, on ne peut se contenter de remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus.
Dans l’hypothèse d’une décision défavorable de la Cour de cassation, Nicolas Sarkozy aura alors épuisé les voies de recours interne. Déterminé à « aller jusqu’au bout » (selon son expression), il pourrait alors porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant la violation de plusieurs droits et libertés fondamentales.
D’abord, l’intéressé pourrait demander au juge européen d’examiner son droit au procès équitable (CESDH, art. 6, §1) et plus particulièrement le respect du « délai raisonnable » dans une affaire dont les investigations ont débuté en 2014.
Ensuite, la question de la définition du délit de financement illégale de campagne électorale pourrait le conduire à critiquer le manque de prévisibilité de la loi pénale (art. 7 CSDH – « Pas de peine sans loi »). Cependant, cette notion dépend de plusieurs critères dont la qualité́ des destinataires. Sur ce point, il pourrait être répondu à Nicolas Sarkozy que « du fait de son statut et de son expérience » (responsable politique de premier plan, familier des élections à des mandats publics), il ne pouvait ignorer que sa décision de multiplier les meetings en dépit des alertes formulées comportait le risque de le faire tomber sous le coup du délit de financement illégale de campagne électorale (comp. CEDH, 6 oct. 2011, Soros c. France, n° 50425/06).
Enfin, il pourrait arguer d’une violation de Non bis in idem (art. 4 du Prot. Add. n°7 à CESDH) en raison du cumul des pénalités financières (art. 3 Loi du 6 nov. 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel) et des sanctions pénales (art. L. 113-1, art. 3, I., 3° du Code électoral). Sous l’angle du principe de nécessité et proportionnalité des peines, le Conseil constitutionnel a considéré que si ces deux dispositions tendent à réprimer les mêmes faits qualifiés de manière identique, elles protègent des intérêts sociaux distincts qui peuvent aboutir à des sanctions de nature différente. Mais la Cour européenne ne pourrait-elle pas avoir une autre lecture en estimant que la sanction financière prononcée par la CNCCFP, par sa nature et son degré de sévérité, relève de la « matière pénale » (comp. CEDH, Grande Stevens et autres c. Italie, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10) ? Réponse dans une prochaine étape…