Par Olivier Corten, Professeur à l’Université libre de Bruxelles, Centre de droit international

Un statut d’État théoriquement indépendant de la reconnaissance

En droit international, l’existence d’un État s’établit indépendamment de sa reconnaissance par d’autres. Les éléments constitutifs de l’État renvoient à un territoire, une population et à un gouvernement souverain, c’est-à-dire juridiquement indépendant de toute autre autorité supérieure. Dans le cas de la Palestine, ces éléments sont bel et bien présents : un territoire a été délimité dans le plan de partage établi en 1948, avant d’être (re)défini à la suite de plusieurs résolutions des Nations Unies (notamment la résolution 242 du Conseil de sécurité en 1967) ; une population est située sur ce territoire, même si plusieurs centaines milliers de palestiniens et de palestiniennes ont été contraint·es à l’exil ; une Autorité palestinienne a été instituée et exerce son administration depuis Ramallah, en Cisjordanie occupée. Certes, dans les faits, ce gouvernement palestinien ne peut exercer ses droits souverains en raison d’une occupation israélienne continue, laquelle a été reconnue à de multiples reprises comme contraire aux droits du peuple palestinien. De ce point de vue, le manque d’effectivité du gouvernement n’empêche pas l’État palestinien d’exister, pas plus par exemple que l’État du Koweït n’a cessé d’exister alors même que son gouvernement ne pouvait y exercer son pouvoir pendant l’occupation irakienne, entre les mois d’août 1990 et avril 1991. En somme, on se trouve dans une situation relativement classique, dans laquelle le problème n’est pas tant l’existence d’un État que son occupation illégale…

La reconnaissance d’une solution à deux États

Mais alors, à quoi sert, juridiquement, de reconnaître la Palestine ? En reconnaissant l’État palestinien, la grande majorité des membres des Nations Unies ne font que tirer toutes les conséquences des résolutions ou décisions adoptées au sein de cette organisation, qu’il s’agisse de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité ou de la Cour internationale de Justice (dans son avis de 2004 sur les « Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé »). Celles-ci renvoient toutes à une solution basée sur l’existence de deux États dont les droits doivent être mutuellement garantis. Reconnaître la Palestine et Israël, c’est dès lors réaffirmer que les négociations entre les deux entités ne peuvent porter sur la qualité d’État de l’une ou l’autre. De même qu’il est inadmissible (et très largement condamné) de refuser le droit d’Israël à exister comme État, il l’est également de nier la réalité d’un État palestinien comme conséquence du droit à l’autodétermination de son peuple. Il est donc assez étonnant d’entendre certains affirmer que la reconnaissance de la Palestine devrait attendre, être méritée ou être négociée. Cela ne signifie évidemment pas que les négociations ne doivent pas être engagées, de préférence sous les auspices des Nations Unies qui sont historiquement les garantes de l’exercice, par les deux peuples concernés, de leurs droits à disposer d’eux-mêmes. Reste en effet à régler la question de la sécurité d’Israël comme celle de la Palestine, ainsi que, entre autres, celle du droit au retour des Palestiniennes et Palestiniens expulsés de leur territoire depuis 1948.

La reconnaissance, récompense pour le Hamas ou relance du processus de paix ?

Dans ce contexte, on l’aura compris, prétendre que reconnaître la Palestine reviendrait à récompenser ou renforcer le Hamas n’a pas grand sens. D’abord parce que seule l’Autorité palestinienne – radicalement opposée au Hamas – est considérée comme le gouvernement officiel de la Palestine. C’est l’Autorité palestinienne qui exerce ainsi les droits de la Palestine au sein des Nations Unies, de l’UNESCO ou de la Cour pénale internationale, et c’est cette même Autorité qui envoie des diplomates à l’étranger ou conclut des traités avec d’autres États. Ensuite parce que, en tout état de cause, la reconnaissance d’un État est totalement indépendante de la légitimité de ses représentants. Reconnaître l’État d’Israël ne signifie pas que l’on soutient son gouvernement actuel (ou que l’on soutiendra ses gouvernements futurs), ni d’ailleurs que l’on s’oppose aux poursuites contre certains de ses représentants devant la Cour pénale internationale. De la même manière, reconnaître la Palestine, c’est tout simplement prendre acte de l’existence de deux États, quels que soient les qualités et les défauts de leurs autorités ou de leurs nationaux. Une telle reconnaissance n’a donc tout simplement rien à voir avec la répression des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou le cas échant des crimes de génocide qui auraient été commis par les membres du Hamas ou par tout autre personne, liée à la Palestine ou non. Finalement, la reconnaissance n’est qu’une manière d’amener les deux parties à enfin s’accorder sur les modalités de leur coexistence, si pas de leur possible coopération.