Rapport d’enquête parlementaire sur l’organisation des élections : une occasion gâchée !
Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale « sur l’organisation des élections en France » a été présenté le 28 mai par son rapporteur Antoine Léaument (La France insoumise), et, avec des divergences, par son président Thomas Cazenave (Renaissance). Si le principe d’un tel rapport pouvait sembler pertinent pour envisager une réforme des modalités d’organisation des élections, son contenu s’avère décevant en raison de son caractère politisé et orienté.

Par Pierre Esplugas-Labatut, professeur de droit public à l’Ecole de droit, Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou
Quel est l’objet de ce rapport d’enquête parlementaire ?
La mise en place d’une commission d’enquête « sur l’organisation des élections en France » résulte de l’utilisation par le groupe « La France insoumise » de son « droit de tirage » annuel pour créer une telle commission. Les sujets initialement ciblés par son rapporteur, Antoine Léaument, étaient en fait plus précis et visaient, selon ses propres termes, d’une part, à « étudier la manière dont la mal-inscription (sur les listes électorales) peut avoir un impact sur les élections »,« la question des radiations des listes électorales », et, d’autre part, à dénoncer des sondages qui« peuvent avoir une influence sur les élections ».
En réalité, le contenu est beaucoup plus large et porte, outre les sujets précités, sur « la régulation des médias et des réseaux sociaux concernant la diffusion de l’information électorale » et les « ingérences étrangères » en matière électorale. Sont encore incluses des propositions, pouvant pourtant être franchement considérées comme hors-sujet, du type « renforcer les anticorps républicains de notre pays et l’unité du peuple français par la mise en place d’un plan national de lutte contre le racisme et la xénophobie » (sic) (recommandation n° 74) ou instaurer une VIème République (recommandation n° 115). Le champ très large couvert, tout au long des 355 pages (hors annexes) de ce rapport et de ses 115 propositions, illustre l’adage « qui trop embrasse mal étreint » et dilue la force de propositions nécessairement hétéroclites.
Sur la méthode, on regrettera qu’en dehors des professionnels de l’organisation du scrutin, aucun juriste spécialiste de droit électoral n’ait été auditionné, la commission ayant préféré l’expertise de politistes, de sociologues ou d’enseignants de sciences de l’éducation. Il est vrai que le droit électoral étant considéré comme mal-aimé et injustement délaissé par la doctrine de droit public, les spécialistes de cette matière sont en définitive peu nombreux. Une explication possible est que ce droit serait technique et d’un faible intérêt théorique, ce qui est naturellement contestable. Une autre explication est que les sciences humaines, autres que le droit, seraient, pour le rapporteur, plus à même de montrer que notre système électoral « reproduit mécaniquement les logiques d’exclusion politique jadis associées au suffrage censitaire » (sic) (p. 81).
Quelles sont les propositions émises dans ce rapport ?
Sans qu’il ne soit possible de lister ici l’ensemble des 115 propositions formulées, le rapport contient des recommandations fortes pour lutter contre l’abstention. Il est ainsi proposé d’abaisser à 16 ans le droit de vote (recommandation n° 4), d’accorder le droit de vote et d’éligibilité pour les élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France (recommandation n° 6), de mettre en place un système d’inscription automatique sur les listes électorales (recommandation n° 9), d’imposer le vote obligatoire à l’âge de 18 ans, de reconnaître pleinement le vote blanc en le décomptant séparément lors des scrutins et d’engager une réflexion sur l’opportunité d’instaurer des seuils pouvant affecter la validité des élections (recommandation n° 15). Sans que ces propositions ne soient en tant que telles contestables, on pourrait discuter à l’infini de leur pertinence. Est-on suffisamment mûr à 16 ans pour voter ? La souveraineté nationale est-elle compatible avec le vote des étrangers ? Quelle conséquence tirer du décompte à part des bulletins blancs ? L’inscription automatique sur les listes électorales est-elle techniquement réalisable ? Le droit de vote suppose-t-il la faculté de ne pas en user et l‘abstention est-elle l’expression d’une opinion ? Si une élection est invalidée pour cause d’une abstention trop importante, que fait-on ensuite ?
S’agissant de l’organisation proprement dite des élections, le rapporteur propose un encadrement encore plus rigoureux que l’on peut contester au regard d’une vision libérale de la société. Cette rigueur doit, selon son point de vue, tout particulièrement s’exercer à l’égard des chaînes d’informations en continu, accusées de ne pas être neutres et de façonner l’opinion (p. 185). La législation sur les sondages doit encore être singulièrement renforcée par une série d’interdictions ou d’obligations (par exemple, recommandation n° 84 : interdire la publication des sondages de 2ème tour avant les résultats du 1er et que les candidats du second ne soient connus ; recommandation n° 98 : interdiction de publication de sondages non contrôlés a priori par la commission des sondages ; recommandation n° 100 : interdiction de publier des sondages le jour du scrutin à 20h…). On peut faire observer en retour que notre système électoral est déjà très rigoureux et gagnerait peut-être au contraire à être simplifié.
Pourquoi s’agit-il d’une occasion gâchée ?
Le principe d’une réflexion de fond et d’ampleur sur l’organisation des élections en France doit être approuvé. Il existerait une forme de paresse intellectuelle dans notre inconscient collectif qui conduirait à penser que la France a été pionnière pour organiser la démocratie par les élections et n’aurait donc pas à se remettre en question. Curieuse conception quand l’on sait que notre droit électoral repose sur un code obsolète datant de 1956. Pour ne s’en tenir qu’à quelques points, celui-ci ne traite ni du régime de l’élection présidentielle, ni de celui des élections européennes et n’inclut pas pour partie les lois fondatrices du 11 mars 1988 sur le financement de la vie politique. Le régime juridique varie d’une élection à l’autre en termes, par exemple, de modes de scrutin, d’inéligibilités et d’incompatibilités, de délais de recours et de sanction en cas de fraude. On en est encore à parler dans ce code de « propagande », terme connoté s’il en est, quand le terme de « communication » s’est aujourd’hui imposé.
Or, même si un rapport parlementaire est par essence politique, celui-ci est en l’espèce gâché par une orientation clairement affirmée. Ce constat est d’ailleurs fait expressément en fin de rapport par le président et des membres de la commission d’enquête et même admis par le rapporteur lui-même. La Constitution de 1793, citée à plusieurs reprises, semble en effet pour celui-ci une référence intellectuelle indépassable. Surtout, ce rapport s’efforce de démontrer que l’abstention et les radiations sont structurellement défavorables à Jean-Luc Mélenchon, que les sondages le sont tout autant, que la distribution de la propagande électorale en 2021 ne lui a pas été favorable ou que les « ultra-riches veulent manipuler les élections » (sic) (p. 212). De même, le député rapporteur insoumis a comme objectif de régler ses comptes avec Pierre-Edouard Stérin et son « projet Périclès de victoire idéologique, électorale et politique de l’extrême-droite » (pp. 216-222). On peut au contraire penser qu’un rapport parlementaire doit conserver une certaine hauteur de vue afin de préparer une réforme constitutionnelle et/ou législative et ne pas se cantonner à des intérêts purement partisans. Telle est hélas l’orientation générale de ce rapport « sur l’organisation des élections en France ».