Par Pascal Beauvais, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Pourquoi un rapport sur la responsabilité des décideurs publics ?

La mission Vigouroux ne devait pas traiter des atteintes les plus graves à la probité, telles que la corruption ou le détournement de fonds publics, qui appellent incontestablement une réponse ferme. Elle s’est concentrée sur des incriminations aux contours plus flous, qui peuvent parfois être imputées, assez mécaniquement, à des décideurs peu vigilants, comme les infractions non-intentionnelles, les infractions accessoires à d’autres législations (urbanisme, environnement), ou certains délits plus formels tels que le favoritisme ou la prise illégale d’intérêts. Il arrive en effet que ces infractions procèdent d’une erreur d’appréciation ou soient commises dans l’urgence, sans qu’il y ait d’intérêt personnel en jeu ou de préjudice causé.

Bien que leur nombre demeure relativement limité, ce type de mise en cause pénale de responsables publics pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions a augmenté au cours des trente dernières années. Même lorsqu’elles aboutissent à une relaxe, ces procédures restent longues, déstabilisantes et sont vécues douloureusement. Centré sur le point de vue des décideurs publics et sur l’efficacité de l’action publique, davantage que sur un constat criminologique des atteintes à la probité commises au niveau local dont l’ampleur est difficile à mesurer, le rapport s’inquiète du sentiment diffus d’insécurité juridique que ressentent les élus et hauts fonctionnaires et qui serait susceptible de freiner leur esprit d’initiative dans les périodes de crise.

Des normes de plus en plus complexes, la pression des dénonciations sur les réseaux sociaux, ainsi qu’une tendance des associations à privilégier la voie pénale nourrissent aujourd’hui cette inquiétude. Les nombreuses procédures engagées à l’encontre de responsables publics sur la gestion de la crise du COVID-19 ont marqué les esprits : est-il encore possible aujourd’hui de maîtriser le risque pénal en situation de crise ? Ce contexte juridique peut avoir des effets dissuasifs. Si le rapport Vigouroux écarte, au nom de l’égalité devant la loi, tout retour au « privilège du fonctionnaire », il plaide pour l’instauration d’un cadre juridique rénové, conciliant l’indispensable moralisation de l’action publique à « une administration active, protégée du précautionnisme paralysant ».

Quelles sont les principales propositions du rapport Vigouroux sur les infractions applicables aux élus et agents publics ?

Le législateur est invité à mieux prendre en considération les spécificités de l’action des responsables publics, fréquemment amenés à décider dans l’urgence, sans réelle marge d’appréciation, avec des moyens limités et dans un environnement complexe. Dans cette perspective, le rapport Vigouroux recommande de renforcer la sécurité juridique des décideurs publics qui, dans le cadre de leurs fonctions, peuvent être amenés à prendre des risques ou à se méprendre sur la règle applicable en élargissant le champ des exonérations de la responsabilité pénale prévues en cas d’état de nécessité (article 122-7 du code pénal), d’erreur de droit (article 122-3) ou de commandement de l’autorité légitime (122-7).

Afin de mieux assurer la prévisibilité de la répression pénale, le rapport propose de réécrire, préciser ou compléter d’importants textes d’incrimination. Il recommande ainsi de resserrer les éléments constitutifs – considérés comme étendus malgré leur réforme en 2021 – de la prise illégale d’intérêts : ce délit ne devrait plus trouver à s’appliquer aux situations d’interférences entre des intérêts publics ou lorsque les faits ont été commis en raison d’une nécessité impérieuse. L’infraction ne devrait pouvoir être caractérisé qu’en cas d’atteinte délibérée et avérée aux exigences d’impartialité, d’indépendance ou d’objectivité. Sensible aux inquiétudes des décideurs publics, le rapport entend répondre aux critiques – plus ou moins fondées – sur l’automaticité des mises en en cause pénales. S’agissant du délit de favoritisme, il recommande de préciser l’élément intentionnel et d’introduire une cause d’exonération spéciale lorsque l’élu ou l’agent a agi dans le seul but de servir un objectif d’intérêt général impérieux.

En dehors du champ pénal, la mission propose d’exclure des règles relatives aux conflits d’intérêts la participation « ès qualité » des représentants des collectivités territoriales au sein des organes d’une personne publique assurant un service public administratif. Elle recommande également de confirmer la possibilité, pour les représentants de l’État, de siéger dans certains organismes au titre de leur activité de tutelle et de contrôle.

Quelles sont les principales propositions sur les procédures applicables aux décideurs publics ?

La mission Vigouroux n’est pas favorable à l’instauration d’un régime dérogatoire de poursuite pour les décideurs publics, mais elle appelle à une célérité accrue dans le traitement de ces dossiers. En effet, la durée excessive des procédures pénales, alors même que les intéressés bénéficient de la présomption d’innocence, perturbe et désorganise l’action publique, tout en alimentant un sentiment diffus de défiance. Afin d’apporter un peu de sérénité aux poursuites, la mission recommande de prévoir leur dépaysement dans le ressort d’une autre cour d’appel. Elle suggère également de privilégier, autant que possible, le recours au statut de témoin assisté, la mise en examen devant être réservée aux seules hypothèses où une mesure coercitive est envisagée, ou en amont d’un renvoi devant la juridiction de jugement. Le rapport recommande également d’étendre le champ de l’action en protection de la présomption d’innocence devant le juge civil aux situations dans lesquelles aucune enquête pénale, ni a fortiori aucune instruction judiciaire, n’a été engagée. Ces deux dernières propositions, antérieures au rapport Vigouroux, consacrent une approche plus équilibrée qui mériterait d’être étendue à tous les justiciables.

En cas de mise en cause d’un décideur public, l’autorité judiciaire devrait pouvoir être éclairée sur la répartition des compétences, l’organisation interne des services, les processus décisionnels ainsi que des régimes de délégation en place. À cette fin, une voie de communication pourrait être formellement mise en place afin de permettre aux administrations et collectivités concernées de transmettre à l’autorité judiciaire des observations écrites exposant le cadre administratif dans lequel s’inscrivent les faits reprochés à un élu ou à un agent public.

Le rapport rappelle enfin que d’autres réponses que la voie pénale peuvent être efficacement apportées aux manquements des décideurs publics. Il se déclare ainsi favorable à un renforcement des prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui devrait être compétente pour sanctionner les faits de non-dépôt des déclarations d’intérêts et de patrimoine.