Par Raphaël Brett, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris-Saclay, Président de la section île-de-France de la SFDE et membre de l’observatoire du Green Deal

Pourquoi un règlement de lutte contre la déforestation ?

La réalité est aussi brutale que parfaitement résumée par l’intitulé du rapport du Fond mondial pour la Nature (WWF) d’avril 2021 : Quand les européens consomment, les forêts se consument. Que cela signifie-t-il précisément ? Simplement que pour les besoins de leurs industries, notamment agro-alimentaires, les européens soumettent les écosystèmes forestiers mondiaux à une pression de haute intensité, puisqu’on estime leur consommation responsable de 16% de la déforestation mondiale. La production de sept produits de base (bois, bovins, cacao, café, caoutchouc, palmier à huile, soja) ainsi que de leurs dérivés, conduisent effectivement trop souvent les pays producteurs extra-européens à détruire leurs milieux forestiers naturels afin de les « convertir » en terrains agricoles dont l’exploitation est destinée in fine à nourrir le Gargantua européen. Il va sans dire que la réduction du couvert forestier engendrée par nos appétits est incompatible avec toute forme crédible de lutte contre le réchauffement climatique et plus généralement avec toute politique sérieuse de protection de l’environnement. Forte de son Pacte vert, l’Union européenne a donc décidé de réagir de manière énergique en adoptant un texte ambitieux visant à enrayer ce « développement » mortifère.

Que prévoit le règlement de lutte contre la déforestation ?

L’ambition de l’Union européenne est d’interdire la commercialisation sur son territoire de tout marchandise relevant de la liste précédemment évoquée qui ne satisferait pas trois critères cumulatifs, à savoir : 1/ être « zéro déforestation », c’est-à-dire n’avoir pas été produite à partir de terres agricoles conquises sur la forêt après le 31 décembre 2020 ; 2/ avoir été produite conformément à la législation en vigueur dans le pays producteur et enfin 3/ avoir fait l’objet d’une déclaration de « diligence raisonnée ». Ce dernier critère est incontestablement décisif puisqu’il impose une obligation à la fois aux opérateurs économiques (en cela le règlement participe assurément de la montée en puissance de la « responsabilité sociétale des entreprises ») mais également aux États membres de l’Union européenne. À l’occasion de chacune de leurs importations, les entreprises sont donc tenues de rédiger une déclaration officielle à destination du pays importateur attestant que leurs marchandises respectent les deux premiers critères et précisant les moyens qu’elles ont mis en œuvre pour s’en assurer. Quant aux États membres à qui sont destinées ces importations, ils sont sommés d’organiser un système de contrôle des déclarations afin de vérifier leur sincérité et de sanctionner les entreprises par la saisie – voire la destruction – des marchandises contrevenantes et/ou le prononcé d’amendes pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Même si ce dispositif ne s’appliquera pas nécessairement à toutes les entreprises – les petites et moyennes entreprises font effectivement l’objet d’un traitement spécifique – la responsabilité des importateurs pourra être désormais bel et bien recherchée.

Qu’en est-il de la mise en œuvre du règlement de lutte contre la déforestation ?

Le moins que l’on puisse dire est que celle-ci est contrariée. Soulignons tout d’abord que le texte fait l’objet de nombreuses critiques de la part des pays producteurs, ainsi du Brésil, qui y voient un frein à leur développement économique. Quelques (grandes) entreprises, ensuite, relayées par certains États membres comme l’Allemagne, considèrent que les nouvelles obligations vont générer des surcoûts entravant d’autant plus leurs activités dans un contexte économique déjà sinistré. Les forces de la réaction se sont donc conjuguées pour freiner les intentions européennes et ont obtenu en quelques sorte gain de cause puisque l’Union a décidé le report de la mise en œuvre concrète des obligations du règlement : initialement prévue pour le 30 décembre 2024, celle-ci est désormais reportée de 12 mois afin de permettre officiellement à l’ensemble des acteurs de mieux s’y préparer.  Le « nouveau » Parlement européen a en outre souhaité obtenir l’assouplissement du dispositif sur le fond, position néanmoins rejetée par le Conseil de l’Union européenne qui préserve ainsi – mais pour combien de temps ? – les ambitions de l’Union en matière de protection de l’environnement. Bien que ce règlement soit audacieux, il n’est, pour l’instant, qu’une promesse de potentiel, et il y a un grand écart entre les intentions européennes et la réalité des forêts tropicales.