Un nouveau contentieux climatique en vue : Des citoyens et ONG attaquent le Plan national d’adaptation au changement climatique
Des victimes du changement climatique et des associations prévoient de lancer une nouvelle action en justice contre l’État pour manquement à son obligation de diligence et de protection face aux conséquences du changement climatique. Cet hypothétique procès pourrait élargir la cause des contentieux climatiques en recentrant le débat sur l’obligation de l’État d'adopter des mesures d’adaptation précises, pertinentes et effectives.
Par Marta Torre-Schaub, directrice de recherche CNRS rattachée à l’Université Paris 1
Qui sont les requérants et que demandent-ils ?
Suite à la publication en mars 2025 d’un Plan d’adaptation au changement climatique (PNACC-3), un ensemble composé de 14 personnes et de 3 ONG vient d’annoncer une initiative visant à le contester. Ils estiment qu’il est largement insuffisant, notamment en raison de financements peu ambitieux et de lacunes considérables concernant son caractère contraignant (absence, notamment, de suivi rigoureux). Ils constatent ainsi plusieurs faits. D’abord, près de 2 personnes sur 3 sont déjà très exposées aux risques climatiques. À cela s’ajoute le fait qu’un quart de la population vit en zone inondable en France. Dans ce contexte, une quantité importante de foyers est menacée de subir des dommages substantiels (phénomène de retrait-gonflement des argiles, submersion). Ils expliquent également que certains sinistrés cumulent des inégalités face aux impacts du changement climatique, sont parfois atteints de maladies chroniques ou encore issus de zones défavorisées (situation de pauvreté, territoires d’outre-mer, gens du voyage).
Pour ce collectif, le Plan manque de mesures concrètes en matière de prévention et de gestion des risques, ne prend pas en compte les inégalités sociales et territoriales face aux conséquences du changement climatique et ne garantit pas suffisamment la protection de la population face aux impacts croissants du dérèglement climatique. L’action, qui ne vise pas à obtenir d’indemnisations, tend plutôt à obliger l’État à renforcer ses politiques d’adaptation et à prendre des mesures concrètes et efficaces pour protéger et soutenir la population face aux risques climatiques.
Dans quel contexte jurisprudentiel se place cette action ?
L’action à venir serait un recours pour excès de pouvoir. Elle contestera la légalité d’un acte administratif : le PNACC-3. Ainsi, si elle sera pionnière par rapport à son objet – contester les insuffisances du plan d’adaptation –, elle s’inscrira dans une trajectoire jurisprudentielle déjà établie, à la fois par le type de recours et par sa thématique.
Rappelons à cet effet que le contentieux climatique de l’affaire de Grande-Synthe reposait aussi sur un recours pour excès de pouvoir. Il contestait les actes administratifs liés à l’absence de réponse ministérielle à des lettres soulignant l’insuffisance des politiques d’atténuation du changement climatique. Il remettait également en cause le caractère inadéquat de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), texte de nature programmatoire, et son caractère peu contraignant a priori. Le Conseil d’État, dans ce contentieux, a statué à la fois sur l’insuffisance des mesures prises par le gouvernement pour réduire la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre, puis sur la nature contraignante de ce texte. Si aucune sanction n’a été confirmée à ce jour, l’Administration a été retoquée à plusieurs reprises sur ce point. Dans ce cadre, une nouvelle requête pour excès de pouvoir visant cette fois le Plan national d’adaptation s’inscrirait dans la parfaite continuité des contentieux climatiques déjà en cours.
S’agissant de la thématique de l’adaptation, le sujet n’est pas nouveau. Il est surtout très développé dans les pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique. En Europe, et plus précisément en France, plusieurs contentieux se sont déjà déroulés, soulevant la nécessité de mieux s’adapter à une hausse de températures et à des changements climatiques importants. Ces procès avaient surtout pour objet de souligner le manque de vision à long terme de certaines décisions en lien avec la gestion et usage de l’eau potable et autres ressources naturelles. Il semble ainsi approprié, dans ce contexte, de persister à soulever le problème de l’adaptation, cette fois-ci, au travers d’un contentieux plus général, collectif et portée directement devant une Haute juridiction administrative.
Quelles étapes ? Quelles solutions ? Quelles conséquences ?
S’il est encore trop tôt pour se prononcer sur le déroulement et l’issue de cette action, plusieurs conséquences pourraient en découler.
Tout d’abord, une demande préalable a été adressée à l’État. Le Conseil d’État ne pourra être saisi qu’à l’expiration du délai légal de deux mois, en cas d’absence de réponse du Gouvernement ou si celle-ci ne propose pas de solution satisfaisante.
Avant d’entrer en phase contentieuse, les ONG ont souligné qu’elles laisseraient à l’État l’opportunité de proposer des mesures susceptibles de pallier la situation des requérants. Une médiation pourrait-elle alors être envisagée ? Un deuxième acte administratif, venant modifier et préciser le PNACC-3, pourrait-il être publié prochainement afin d’éviter ce contentieux ?
Rappelons que les procès climatiques ont pour objectif principal d’exercer une pression sur les gouvernements, par la menace du contentieux et par leur médiatisation. Il ne serait donc pas totalement absurde d’envisager que les parties requérantes et le Gouvernement trouvent une solution intermédiaire.
Si l’affaire se poursuit au contentieux et à condition que la Haute juridiction administrative juge suffisantes la qualité et l’intérêt à agir des requérants, les juges devront nécessairement se pencher sur la situation décrite par les victimes. Ils devront également examiner si le statut des associations demanderesses leur permet d’être recevables.
Une fois ces questions préalables tranchées, le Conseil d’État devra analyser les dispositions contestées du Plan, en particulier celles portant sur les financements mobilisés pour l’adaptation. Ce point a fait l’objet d’un récent rapport de la Cour des comptes. Ce rapport insiste sur l’importance du sujet et sur la nécessité, pour l’Administration, de se doter de moyens adéquats afin de préciser les budgets alloués à l’adaptation — y compris les fonds destinés à l’indemnisation des victimes.
Enfin, le Conseil d’État devra examiner les mesures prévues par le PNACC-3 en matière de prévention et de gestion des risques. Cela conduira les juges à exercer leur pouvoir de contrôle sur un acte administratif, en appréciant son caractère précis, sa pertinence et sa faisabilité. Le PNACC-3 fixe en effet à la fois des objectifs d’adaptation et les moyens à mettre en œuvre.
Il sera dès lors intéressant d’observer la position des juges sur une question souvent clivante : s’agit-il d’obligations de résultats ou de moyens ? Et un éventuel manquement pourrait-il, par la suite, ouvrir la voie à un procès en responsabilité, à l’image de l’affaire du siècle?
Un nouveau procès climatique se profile donc, riche en enjeux, à l’heure où la France s’avance vers un réchauffement de +4 °C dans les prochaines décennies.