Par Lola Isidro, maîtresse de conférences en droit à l’Université Paris Nanterre

Pourquoi les parlementaires LR proposent-ils un référendum d’initiative partagée sur l’accès des étrangers aux prestations sociales ?

Pour « redonner la parole aux Français ! ». Tel est le titre du dossier de presse relatif au dépôt du RIP. Les parlementaires regrettent que les dispositions relatives à la protection sociale figurant dans la loi « immigration » dans sa version adoptée le 19 décembre 2023 par le Parlement, à une large majorité précise le dossier, aient été censurées par le Conseil constitutionnel en tant que cavaliers législatifs dans sa décision du 25 janvier 2024 (n° 2024-863 DC). La proposition de loi référendaire reprenait ainsi une série d’articles de la loi invalidée en début d’année, à commencer par l’article conditionnant le bénéfice des prestations familiales, des aides au logement, de l’allocation personnalisée d’autonomie et du dispositif du droit au logement opposable (Dalo), soit à une résidence régulière d’au moins cinq ans, soit une affiliation à un régime de sécurité sociale au titre d’une activité professionnelle d’au moins trente mois (art. 1er de la proposition). Le texte reprenait également l’exclusion des étrangers en situation irrégulière du bénéfice de la réduction tarifaire dans les transports publics (art. 3), ainsi que la mise à l’écart des demandeurs d’asile déboutés des dispositifs d’hébergement d’urgence (art. 5). Enfin, la proposition de loi entendait remplacer l’aide médicale d’État (AME) par une aide médicale d’urgence (art. 2). Cette dernière mesure avait été adoptée par le Sénat en première lecture en novembre 2023 mais écartée par la commission mixte paritaire en décembre, le Gouvernement s’engageant alors à réformer l’AME dans un autre cadre en 2024.

La volonté des LR de « rendre la parole aux Français » ne se limite toutefois pas au sujet de l’accès aux prestations sociales des étrangers. Les LR entendent plus largement « reprendre la main sur notre politique migratoire ». C’était le sens de la proposition de loi constitutionnelle déposée en juin 2023 et retirée en décembre de la même année, qui prévoyait d’inclure dans le champ des matières pouvant être soumises à référendum prévu par l’article 11 de la Constitution les questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France ainsi que le droit de la nationalité. La présente proposition de loi référendaire visait manifestement à contourner l’obstacle du champ d’application de l’article 11 en se concentrant sur la protection sociale, dans l’idée que celle-ci constitue un facteur majeur d’attraction et un motif important de migration.

La restriction de l’accès des étrangers aux prestations sociales est-elle une réforme relative à la politique sociale ?

Limiter l’accès des étrangers à certaines prestations sociales constitue-t-il une « réforme », d’abord ? D’après le Conseil constitutionnel, la notion de réforme renvoie à une « modification suffisamment importante », à un « changement de l’état du droit » (commentaire de la décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022, p. 10) et a « été conçue comme renvoyant à des projets législatifs d’une certaine ampleur, porteurs de changements importants pour les citoyens appelés à participer à la consultation référendaire, quel que soit le domaine – économique ou social – couvert » (n° 2023-4 RIP, 14 avril 2023, § 8-9). À cet égard, la réponse n’était pas si évidente que cela. Si les dispositions relatives à la protection sociale issues de la loi « immigration » et reprises ici ont été vues comme marquant une rupture, on ne peut nier qu’elles s’inscrivent dans une certaine continuité ; l’accèsaux prestations sociales des étrangers fait en effet l’objet de restrictions importantes régulières depuis une vingtaine d’années. La proposition de loi ne visait d’ailleurs pas l’ensemble des prestations sociales, précisément car l’accès aux autres prestations est déjà strictement limité (5 ans de séjour régulier pour le revenu de solidarité active (RSA), 10 ans pour l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), notamment). Par ailleurs, dans l’exposé des motifs, les auteurs de la proposition de loi, avançaient qu’il s’agissait d’une réforme « d’une envergure suffisante au sens de la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel » au regard de l’impact que ces mesures pouvaient avoir sur les finances publiques en termes d’économies engendrées. Pareille approche quantitative est-elle suffisante pour pouvoir parler de réforme ?

Limiter l’accès des étrangers à certaines prestations sociales constitue-t-il une réforme « relative à la politique sociale », ensuite ? Assurément, modifier les conditions d’accès à des prestations et dispositifs sociaux touche à la politique sociale. Les modifications concernant exclusivement les étrangers, il s’agit toutefois avant tout de mesures visant à limiter l’immigration, domaine sur lequel les Français ne peuvent être consultés par voie de référendum (cf. supra). D’une certaine manière, ce n’est donc qu’indirectement que la politique sociale était concernée. Dans sa décision du 11 avril, le Conseil a toutefois sommairement considéré qu’au regard des modifications apportées en matière de protection sociale, la proposition portait sur une réforme relative à la politique sociale de la nation (§ 7).

La proposition de loi est-elle conforme à la Constitution ?

En formulant cette proposition de loi référendaire, les parlementaires LR demandaient au Conseil constitutionnel d’opérer le contrôle au fond dont il s’était dispensé dans sa décision de janvier 2024 sur la loi « immigration ». La constitutionnalité du conditionnement du bénéfice des prestations sociales par les étrangers en situation régulière prévue par la proposition, ainsi que l’exclusion des étrangers en situation irrégulière de certains dispositifs sociaux est contestable sur de nombreux fondements : principes d’égalité, de fraternité, de dignité, droit à la protection sociale (droit à des moyens convenables d’existence, droit à la protection de la santé), notamment. Dans sa décision rendue le 11 avril 2024, le Conseil a choisi de se placer sur le terrain du droit à la protection sociale, protégé par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946, exigences constitutionnelles qui impliquent « la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées » (§ 9), pour déclarer les dispositions de l’article 1er contraires à la Constitution. Il en a en outre rappelé que « les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français » (§ 10). Pour les Sages, de telles exigences ne s’opposent pas à la fixation d’une condition de durée de résidence ou d’activité. Toutefois, de telles durées ne doivent pas être trop longues, sans quoi elles priveraient de garanties légales les exigences constitutionnelles. Or, pour le Conseil, les durées prévues par l’article 1er de la proposition de loi (5 ans/30 mois) sont disproportionnées. Et par un effet d’entraînement, c’est l’ensemble du texte qui est considéré comme inconstitutionnel. La décision est… sage, quoique manquant de cohérence, sur le fond, avec la position retenue en 2011 par le Conseil à propos du RSA (n° 2011-137 QPC). À l’époque, il n’avait rien trouvé à redire à la condition de séjour régulier antérieur de 5 ans applicable à ce revenu dont l’objet premier est d’assurer des moyens convenables d’existence.