Par Pierre Egéa, Professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole, Avocat à la Cour

Quel est l’état du droit en matière d’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité ?

En matière répressive sans doute plus qu’ailleurs, l’exécution provisoire doit demeurer exceptionnelle – même si l’exception tend à devenir la règle – car elle va à l’encontre du caractère logiquement suspensif de l’appel. Tant qu’un prévenu n’a pas été définitivement condamné, il n’y a pas lieu à exécution de la peine (art. 708 du code de procédure pénale). Il existe néanmoins quelques (bonnes) raisons pratiques pour imposer une exécution immédiate. Dans l’hypothèse de la peine d’inéligibilité, le Conseil constitutionnel a considéré que l’objectif louable d’assurer « l’effectivité de la peine » et de « prévenir la récidive » était de nature à justifier cette issue. Il a également estimé, pour le cas particulier des atteintes à la probité, que l’exécution immédiate de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité « contribue à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus » et poursuivait ainsi un objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public (2017-752 DC du 8 septembre 2017). Pour autant, ces considérations générales ne confèrent pas au juge un pouvoir totalement discrétionnaire. Dans sa récente décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs invité les juges à ne pas méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789 et à apprécier en conséquence dans leurs décisions, « le caractère proportionné de l’atteinte que la mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». En résumé, seuls de sérieux motifs sont de nature à justifier l’exécution provisoire qui heurte frontalement le droit d’éligibilité et le caractère en principe suspensif de l’appel.

Quels sont les motifs avancés par le tribunal correctionnel pour prononcer l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité ?

Le tribunal s’efforce de motiver la décision prise en neuf pages qui se veulent didactiques. Il commence par indiquer qu’il ne méconnaît pas les conséquences de l’exécution provisoire, particulièrement en ce qui concerne Marine Le Pen « qui fut candidate au 2ème tour des élections présidentielles et a annoncé qu’elle serait à nouveau candidate aux prochaines élections ». Toutefois cette considération est immédiatement aplatie par le rappel solennel du principe d’égalité, les élus ne bénéficiant « d’aucune immunité », ni « privilège ». La justice rejette les différences de situation et n’entend faire aucun cas d’un éventuel arbitrage politique. La référence à peine voilée à l’abolition des privilèges permet de balayer d’un revers de plume « la proposition de la défense de laisser le peuple souverain décider d’une hypothétique sanction dans les urnes ».

Pour parvenir à la conclusion que l’inéligibilité est nécessaire, le tribunal reprend la trame de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025 et soumet le cas des prévenus au test des deux critères identifiés par le Conseil pour justifier l’exécution provisoire : l’efficacité de la peine et le risque de récidive d’une part ; le trouble à l’ordre public d’autre part.

Pour le tribunal, le risque de récidive (il est peu question de l’efficacité de la peine) est en quelque sorte révélé non seulement par l’absence de reconnaissance des faits mais surtout par une impunité revendiquée continûment depuis l’information judiciaire jusqu’au procès. Ce « système de défense » qui « méprise les lois de la République » révèlerait une « conception peu démocratique de l’exercice politique » ainsi qu’une conception « à tout le moins narrative de la vérité ». Le risque de récidive s’en trouverait caractérisé.

Quant au trouble à l’ordre public il prend ici la forme d’un trouble à « l’ordre démocratique » que constituerait « le fait que soit candidat à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait été condamnée en première instance à une peine complémentaire d’inéligibilité ». Or, le tribunal, vigilant gardien de l’ordre démocratique doit veiller à ce que les élus ne bénéficient pas d’un régime de faveur. On revient en somme au combat contre les privilèges.

La motivation du tribunal est-elle sujette à la critique ?

Disons-le simplement, la motivation est parfaitement baroque.

Passons rapidement sur l’étonnante affirmation d’un risque de récidive alors que, par construction, il ne saurait y avoir en réalité qu’un risque de réitération. En droit pénal général, un tel risque est envisagé pour les délinquants d’habitude. Ici, le risque est en quelque sorte révélé par le système de défense des prévenus. L’argumentation juridique, le débat contradictoire, la capacité d’interroger les catégories juridiques et l’usage extensif qu’en fait la Cour de cassation, bref l’art rhétorique déployé tout au long du procès par les avocats de la défense est interprété par les magistrats comme la marque indélébile d’un déni des faits et d’un mépris des lois de la République. Le tribunal cède ainsi banalement à une logique où l’aveu est la seule issue et la soumission à l’analyse juridique du Parquet la seule voie acceptable et ce, alors même que le procès soulevait d’importantes questions de principe, particulièrement sous l’angle de la séparation des pouvoirs et du libre exercice du mandat politique. Tout cela est proprement déconcertant.

Et que dire de cet insaisissable « ordre public démocratique » qui serait troublé de manière grave par l’éventuelle candidature voire, horresco referens, l’élection d’une personne condamnée en première instance à une peine d’inéligibilité ? Selon le tribunal la seule possibilité qu’une personne puisse valablement se présenter au suffrage des électeurs alors qu’une peine d’inéligibilité a été prononcée en première instance est assimilée à un « traitement de faveur incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique ». La préservation de la liberté de l’électeur chère au Conseil constitutionnel est ici mise en balance avec ce nouvel ordre public démocratique dont le tribunal aurait la préservation à charge lorsqu’il statue sur l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, ce qui le conduit à la reléguer au second plan. Avec une telle grille de lecture, l’exécution provisoire de toute décision d’inéligibilité devient la règle et le caractère suspensif de l’appel, l’exception. Étonnant renversement des valeurs fondé sans nul doute sur de bonnes intentions dont on sait qu’elles pavent habituellement l’enfer.