Par Bertrand Faure, Professeur à Nantes Université

Quel est le contexte de l’affaire ?

Le 12 octobre 2019 une explosion rue de Trévise dans le IXème arrondissement de Paris faisait une soixantaine de blessés et quatre morts, dont deux pompiers. D’autres personnes furent profondément choquées, certaines ayant perdu leur logement. L’affaissement du trottoir devant le porche du numéro 6 de la rue avait entraîné la rupture d’une canalisation de gaz à l’origine de l’explosion. Le drame laisse suggérer une suite de manquements à la sécurité publique. Un certain nombre de carences imputables à la Ville de Paris et au syndic de l’immeuble avaient ainsi été identifiées par les experts nommés dans le cadre de l’information judiciaire faisant suite à l’explosion. Pour ce qui concerne la Ville, le trottoir affaissé devant l’immeuble aurait dû faire l’objet d’une remise en état alors qu’il avait seulement été comblé. Selon le réquisitoire de la procureure de Paris, rendu public jeudi 17 octobre dernier, la Ville de Paris se serait ainsi rendue coupable « de fautes d’imprudence et de négligence pour déterminer la cause de l’affaissement du trottoir (…) et en n’effectuant pas les travaux nécessaires pour y remédier », « ainsi que (de) manquement à une obligation de sécurité ou de prudence (…) pour ne pas avoir effectué de contrôle de suivi des réfections du trottoir devant le porche ». Les juges d’instruction se prononceront sur les suites correctionnelles à donner comme l’espèrent les victimes en attente d’indemnisation dans le cadre d’une affaire qui tarde à trouver son issue judiciaire. Cette affaire donne l’occasion de s’arrêter sur une question juridique qui ne manque pas d’intérêt et d’originalité : la responsabilité pénale d’une collectivité territoriale, la Ville de Paris.

Les responsabilités publiques peuvent-elles se cumuler ?

La responsabilité pénale ici envisagée à l’égard de la Ville de Paris (article L.121-2 Code pénal) n’est pas exclusive de tout autre type de responsabilité. Son (in)action l’expose également à engager sa responsabilité administrative par laquelle celle-ci peut être appelée à réparer le dommage qu’elle a injustement causée. Cette responsabilité administrative ne peut être écartée : elle revêt un fondement restitutif consistant, par les dommages et intérêts alloués en cas de condamnation, à ne pas laisser le préjudice que les victimes ont subi à leur charge. Dans l’hypothèse même où le préjudice serait imputable au comportement concret des agents ou élus de la collectivité, le principe est celui de la responsabilité de la collectivité publique devant la justice administrative pour la faute de service au profit duquel cet agent ou élu a œuvré. Le droit administratif aménage cette responsabilité et ses cas particuliers.

Les poursuites pénales à l’encontre d’une collectivité territoriale compliquent cependant la répartition des compétences contentieuses. Elles sont l’affaire du juge pénal, le juge administratif restant seul compétent pour réparer la faute de service (Poitiers, Ch. Correctionnelle, 2 févr. 2001, Ministère public et autres c/ Dr., n°00/00762, JCP 2001.II.1034, note P.Salvage). En conséquence, les réparations civiles/administratives devront être recherchées devant le juge administratif à l’égard de la Ville, sauf faute personnelle d’un agent ou d’un élu.

Les poursuites pénales à l’encontre d’une collectivité territoriale n’interdiraient pas celles dirigées contre ses agents ou ses élus auteurs ou complices des mêmes faits répréhensibles. L’article 121-2 alinéa 3 du Code pénal établit le droit ainsi, sans doute par crainte que le régime de responsabilité de la première ne se transforme en régime d’irresponsabilité des seconds qui ne sauraient être protégés par une sorte d’infraction de service selon le modèle de la faute de service en matière administrative.

Quelles sont les conditions d’engagement de la responsabilité pénale de la Ville de Paris ?

Tardivement introduit dans notre droit (Loi 27 juillet 1992 modifiée), le principe de la responsabilité pénale des personnes morales procédait d’une évolution des esprits mieux disposés à admettre qu’un être collectif puisse trahir son engagement social par des comportements lourdement fautifs. Cependant, la responsabilité des personnes publiques est admise dans des conditions plus restrictives que celles des personnes morales de droit privé, ces premières ne pouvant être poursuivies qu’à raison « des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégations de service public », éliminant, pour faire bref, du champ de cette responsabilité pénale les activités qui sont l’expression même de la puissance publique. Dans la présente affaire, le juge pénal devra donc déterminer si l’affaissement du trottoir à l’origine de l’explosion révèle une faute de police (irréprochable car l’activité est normalement indélégable, CE Assemblée, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, Rec. p.595) ou une faute d’entretien du domaine (activité d’intérêt général délégable mieux susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale).

Quelles sont les sanctions encourues par la Ville de Paris ?

Le caractère irréel de la personne morale la rend rétive à la sanction pénale. C’est pourquoi la peine généralement prononcée à l’égard d’une personne publique reste l’amende (Cons. const. n°82-143 DC du 30 juillet 1982, jugeant par ailleurs « qu’aucun principe constitutionnel ne s’oppose à ce qu’une amende puisse être infligée à une personne morale », considérant 10).