Par Olivier Le Bot, Professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille

De quel texte résulte l’interdiction de détenir des orques ?

La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a introduit dans le code de l’environnement un article L. 413-12 posant une double interdiction. D’une part, sont interdits « les spectacles incluant une participation de spécimens de cétacés » et « les contacts directs entre les cétacés et le public ». D’autre part, il est interdit « de détenir en captivité » ou « de faire se reproduire en captivité » des spécimens de cétacés, sauf au sein de refuges ou sanctuaires ou dans le cadre de programmes scientifiques.

On notera que ce texte fait suite à une initiative intervenue quatre ans plus tôt. En effet, de façon relativement inattendue, un arrêté propre aux delphinariums avait été pris le 3 mai 2017 par la ministre de l’Environnement. Il prévoyait notamment l’interdiction d’acquérir de nouveaux cétacés et l’interdiction de leur reproduction. Sur recours formé par des parcs aquatiques, l’arrêté avait été annulé par le Conseil d’État en 2018 en raison d’un vice de procédure.

Quelles sont les options après l’entrée en vigueur de la loi ?

L’interdiction édictée par la loi du 30 novembre 2021 entrera en vigueur cinq ans après sa promulgation, soit le 30 novembre 2026. À compter de cette date, il ne sera plus possible de détenir d’orques en captivité.

À ce jour deux spécimens, détenus par Marineland, sont concernés : Wikie, une femelle de 23 ans et son fils Keijo, un mâle de 10 ans, tous deux nés en captivité au sein du parc aquatique d’Antibes.

Très concrètement, il reste donc un délai de deux ans afin de trouver un nouveau lieu de vie pour ces animaux. Deux options sont ouvertes.

La première consiste à accueillir les animaux dans un sanctuaire, conformément à une possibilité prévue par la loi.

La seconde est de transférer les deux orques vers un parc aquatique non soumis à l’interdiction. La loi ne s’appliquant qu’en France et ne prohibant pas le transfert des orques à l’étranger, il est juridiquement possible de les exporter vers un parc aquatique se trouvant dans un autre pays. Tel est précisément le projet de Marineland, qui, à cette fin, a signé un contrat en 2023 avec un parc japonais : le Kobe Suma Sea World.

À quels obstacles s’est heurté le projet d’exportation des orques ?

Le projet de Marineland s’est heurté à un double obstacle.

Le premier est d’ordre judiciaire. Saisies par l’association One Voice d’une demande d’expertise sur l’état de santé des orques, les juridictions civiles ont fait droit à sa demande (CA Aix-en-Provence, 21 septembre 2023) et ordonné l’interdiction du déplacement des animaux jusqu’à la remise du rapport d’expertise définitif (trib. jud. Grasse, 17 janv. 2024).

La seconde difficulté est d’ordre administratif. L’orque constitue une espèce protégée dont le commerce international est réglementé par la CITES (convention internationale sur le commerce des espèces sauvages menacées d’extinction, dite convention de Washington) en ce qu’elle figure en annexe II de cette convention. Il en résulte que le transfert d’un orque détenu en France est subordonné à l’obtention d’un permis CITES. Selon l’article 4 de la convention, sa délivrance est subordonnée à trois conditions : une autorité scientifique doit indiquer que cette exportation ne nuit pas à la survie de l’espèce ; le spécimen ne doit pas avoir été obtenu en contravention aux lois applicables ; enfin le spécimen doit être transporté dans des conditions de nature à éviter les risques de blessures, de maladie ou de traitement rigoureux. Il est à noter qu’aucune condition relative au bien-être animal n’est imposée.

Au cours de la semaine du 18 novembre 2024, Marineland a déposé auprès du ministère de la Transition écologique une demande de transfert des deux orques vers la Japon. Le 25 novembre, la ministre Agnès Pannier-Runacher a opposé un refus en faisant valoir trois séries de considérations : le transport sur 13 000 kms pour ces orques est impactant sur leur santé ; le Japon n’est pas soumis à la réglementation européenne sur le bien-être animal ; des problèmes lui ont été signalés quant à la gestion des cétacés par le parc nippon.

Quelles sont les suites possibles après le refus de la ministre ?

Deux scénarios sont envisageables.

Le premier est l’accueil des orques dans un sanctuaire. À cette fin, un « appel à manifestation d’intérêt » international a été lancé par le Secrétariat d’État chargé de la Mer et de la Biodiversité en mars 2024. L’objectif était de susciter des candidatures d’ONG et/ou d’établissements publics de recherches, en France ou à l’étranger, capables de proposer un projet d’enclos marin en mesure d’accueillir les deux spécimens. Sur les cinq projets présentés, un seul a été regardé comme crédible par un rapport de l’IGEDD, à savoir le Whale sanctuary project (WSP), consistant à établir en Nouvelle-Écosse (Canada) un sanctuaire fermé par une barrière naturelle et des filets sur un site de 40 hectares. Le projet est à l’étude depuis 2016 et devrait prendre forme en 2025. À ce jour toutefois, il n’est pas encore opérationnel, ce qui conduit les autorités à envisager un second scénario.

Celui-ci est conçu comme une solution « pragmatique » et subsidiaire dans le rapport précité de l’IGEDD, au cas où le WSP ne serait pas prêt dans les temps. Il consisterait, si Marineland adhère à cette idée, à transférer les orques vers le Loro Parque situé dans les îles Canaries. Si cette option devait se concrétiser, les orques quitteraient un parc aquatique inadapté à leurs besoins biologiques et éthologiques pour un autre parc aquatique tout aussi inadapté à ceux-ci, ce qui pourrait s’analyser comme un dévoiement de l’esprit de la loi du 30 novembre 2021.