Réélu, Donald Trump peut-il vraiment « virer » le procureur spécial Jack Smith « en deux secondes » ?
Alors que Donald Trump vient d'être élu 47ème président des États-Unis, il avait affirmé pendant sa campagne qu'une fois réélu, il destituerait le procureur spécial Jack Smith. Les avocats du candidat républicain considèrent même sa nomination comme inconstitutionnelle. Mais Trump a-t-il vraiment le pouvoir de renvoyer celui qui, en juin, fut le premier procureur fédéral à inculper un ancien président américain au pénal ?

Par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Paris 8 Vincennes et spécialiste de droit pénal comparé France/ Etats-Unis. Auteur de la thèse, L’enquête pénale privée : étude comparée des droits français et américain.
Pourquoi le procureur spécial Jack Smith a-t-il été nommé ?
Le 18 novembre 2022, Merrick Garland, procureur général des États-Unis (Attorney General) à la tête du ministère de la Justice, a nommé Jack Smith, procureur spécial indépendant (Special Counsel) chargé de superviser les enquêtes criminelles portant sur les infractions supposément commises par Donald Trump lorsqu’il présidait les États-Unis. Ces enquêtes concernent la tentative de Trump d’inverser le résultat des élections présidentielles de 2020, l’attaque du Capitole le 6 janvier de la même année, ainsi que la conservation illégale par l’ancien président de documents classifiés dans sa résidence privée de Mare-a-Lago après son départ de la Maison Blanche.
En procédant à cette nomination, le but du procureur général Merrick Garland était d’empêcher l’existence d’un conflit d’intérêts. En effet, des enquêtes menées directement par le ministère de la Justice auraient donné l’impression d’une cabale judiciaire orchestrée par l’administration Biden contre Donald Trump. Confier la direction des investigations à un procureur spécial indépendant constituait un gage d’impartialité, dont Merrick Garland espérait qu’il ferait taire les critiques.
Où en sont les enquêtes visant Donald Trump conduites par le procureur spécial Jack Smith ?
Le 8 juin 2023, un grand jury a inculpé Donal Trump de sept accusations criminelles fédérales liées à la conservation des documents classifiés ; il s’agissait d’une grande première pour un ancien président américain. Après des retards et des reports répétés du procès, la juge Aileen Cannon a classé l’affaire le 15 juillet 2024, au motif que la nomination de Jack Smith en tant que procureur spécial violait la clause de nomination (Appointements Clause) prévue par la Constitution américaine. Toutefois, le 26 août 2024, le procureur spécial Smith a formé un appel contre cette décision devant une cour d’appel fédérale. Le jugement en appel n’a pas encore eu lieu.
Par ailleurs, le 1er août 2023, un grand jury a inculpé Donald Trump de quatre chefs d’accusation fédéraux liés à ses tentatives de renverser l’élection présidentielle de 2020 et à sa conduite lors de l’attaque du Capitole le 6 janvier de la même année. Le 1er juillet 2024, la décision de la Cour suprême portant sur l’immunité présidentielle a invité la juge Tanya Chutkan, en charge du dossier, à distinguer les actes d’accusation pouvant être poursuivis de ceux ne le pouvant pas, à la lueur d’une série de critères dont le principal est le caractère officiel ou privé des actes accomplis par l’ancien président. Le 27 août 2024, avant même que la juge Chutkan ne se prononce, le procureur spécial Smith a modifié les termes de son acte d’accusation (sans renoncer à aucune charge) dans l’espoir qu’il réponde aux exigences de la Cour suprême. Il a, par la suite, produit un mémoire visant à établir le caractère privé des actes imputés à Donald Trump, lesquels ne seraient donc pas couverts par l’immunité présidentielle.
Donald Trump peut-il vraiment « virer » Jack Smith, qui plus est « en deux secondes » ?
D’un point de vue juridique, Donald Trump qui a été réélu à la présidence des États-Unis, ne peut pas directement « virer » le procureur spécial Smith, la loi réservant cette prérogative au procureur général des États-Unis, en l’occurrence Merrick Garland, lequel serait a priori peu enclin à accepter cette demande.
Cependant, le président Trump pourrait nommer un nouveau procureur général et tenter d’obtenir de sa part la révocation de Jack Smith. Cela n’irait toutefois pas sans peine, une telle révocation n’étant possible que dans les cas précisément définis par les textes : mauvaise conduite du procureur spécial, manquement à ses devoirs, incapacité, conflit d’intérêts, ou toute autre « bonne raison ». En l’occurrence, on peine à voir lequel de ces fondements pourrait valablement être invoqué à l’appui d’une décision de révocation. Il est donc possible que le procureur général des États-Unis, quel qu’il soit, s’oppose à la demande de révocation formulée par le président Trump, dont la concrétisation prendrait donc un peu plus que « deux secondes ».
Si, toutefois, cette révocation avait lieu, le procureur spécial Smith pourrait contester cette mesure devant les juridictions fédérales. Par ailleurs, le président Trump s’exposerait vraisemblablement à une procédure d’impeachement, ce qui pourrait déboucher sur une crise constitutionnelle. Cette hypothèse avait déjà été évoquée en 2018 lorsque Donald Trump, lors de son premier mandat, avait tenté de faire révoquer par le ministère de la Justice – sans succès – le procureur spécial indépendant Robert Muller, chargé d’enquêter sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine en 2016. Preuve que l’affection de Donald Trump pour les procureurs spéciaux ne date pas d’hier !