Italie et GPA : non, le tourisme procréatif n’est pas un « délit universel »
L’Italie vient de voter l’interdiction du recours à la gestation pour autrui à l’étranger. Le texte est présenté comme instaurant un « délit universel », car il criminalise tout recours à la GPA par des citoyens italiens, quel que soit le lieu où l’acte est réalisé. Cette qualification est pourtant inexacte à plusieurs titres. Décryptage.

Par Hajer Rouidi, Maître de conférences en droit à l’Université de Rouen Normandie, auteur de la thèse, Les listes d’infractions : étude en droit pénal français italien et international
En quoi consiste l’interdiction élargie du recours à la GPA ?
La loi italienne n°40 du 19 février 2004 relative à l’assistance médicale à la procréation contient un article 12 énumérant plusieurs comportements interdits sous menace de peine en lien avec la procréation médicalement assistée. Précisément, le paragraphe 6 de cet article interdit le fait, quelle qu’en soit la forme, de réaliser, organiser ou faire la publicité de la commercialisation de gamètes ou d’embryons ou la gestation pour autrui. L’auteur de ces actes est passible de 3 mois à deux ans d’emprisonnement, et de 600.000 euros à un million d’euros d’amende. Cette interdiction s’applique à tout individu, quelle que soit sa nationalité, commettant les faits prohibés sur le territoire italien.
Face à cette interdiction, plusieurs couples italiens – environ 250 par an selon la presse – ont fait appel à des mères porteuses à l’étranger. La question s’est alors posée de savoir s’il était possible de les poursuivre sur le fondement de l’article 12 paragraphe 6 de la loi de 2004. Mais l’application de cette norme aux faits commis à l’étranger a été rejetée pour plusieurs motifs. Le premier, d’ordre légal, concerne les conditions strictes d’application de la compétence extraterritoriale de la loi pénale italienne. En effet, les articles 7 à 10 du Code pénal italien prévoient limitativement les cas dans lesquels la loi pénale italienne s’applique au-delà des frontières. Il s’agit généralement d’actes commis à l’étranger, par un citoyen italien ou par un étranger, qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État (par exemple, fausse monnaie ou contrefaçon du sceau de l’État selon l’article 7), d’infractions politiques ou à but politique commises hors du territoire (article 8), d’infractions de droit commun commises à l’étranger par un Italien passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement (article 9), ou d’infractions de droit commun commises par un étranger contre l’État italien ou un citoyen italien passibles d’au moins un an d’emprisonnement (article 10). Or, l’interdiction du recours à la GPA ne tombe sous aucune de ces hypothèses.
Le deuxième motif, d’ordre jurisprudentiel, a trait à l’interprétation de la notion d’acte réputé commis sur le territoire, telle que prévue par l’article 6 du même code. En effet, selon cet article, est considérée commise sur le territoire italien, l’infraction réalisée en tout ou en partie sur ce territoire. En d’autres termes, il suffit qu’une partie de l’acte prohibé (par exemple, des échanges entre le couple et la mère porteuse établie à l’étranger) soit réalisée en Italie pour emporter l’application de la compétence pénale italienne. Mais, s’agissant justement de ce cas de figure, la Cour de cassation a constamment exclu que les échanges préalables (en l’espèce, des communications par e-mail) soient considérés comme partie intégrante de la conduite réputée commise sur le territoire (v., récemment, Cass. pen., Sez. III, n. 5198 de 2021).
Devant ce qui a été dénoncé comme un « vide répressif », des voix notamment ultraconservatrices ont défendu la nécessité de réformer la loi pour incriminer le recours à la GPA à l’étranger. Tel est l’objet de la proposition de loi, désormais adoptée, qui étend le champ de la répression aux actes réalisés à l’étranger.
Pourquoi le tourisme procréatif n’est ni un « délit universel », ni un cas de compétence universelle ?
Contrairement à ce qui a été largement relayé dans les médias même les plus autorisés, le tourisme procréatif ne peut être qualifié d’« infraction universelle ». Cette qualification, qui n’est d’ailleurs pas reconnue dans les classifications doctrinales, entretient une confusion avec la notion de compétence universelle, laquelle concerne des crimes très graves, tels que les crimes de guerre ou le génocide, pour lesquels la répression relève de la compétence de tous les États, indépendamment du lieu de commission ou de la nationalité des auteurs ou des victimes. Pour ces infractions, souvent établies dans les conventions internationales, c’est la répression qui est universelle, et non les infractions elles-mêmes. Cela est d’autant plus flagrant pour le recours à la GPA, qui constitue une pratique légale dans plusieurs pays, tels que les Pays-Bas, l’Ukraine ou le Canada.
Aussi, contrairement à la version initiale du texte qui envisageait des poursuites contre les étrangers ayant eu recours à la GPA à l’étranger, la version finalement adoptée limite l’interdiction aux seuls citoyens italiens. Il ne s’agit donc en aucun cas de conférer aux juridictions italiennes une compétence universelle en matière de recours à la GPA, mais plutôt d’élargir la compétence extraterritoriale fondée sur la nationalité de l’auteur, également appelée compétence personnelle active, au-delà des conditions restrictives prévues par l’article 9 du Code pénal.
L’utilisation de l’expression « infraction universelle » pour soutenir ou critiquer la nouvelle réforme italienne s’apparente surtout à un emploi rhétorique, dépourvu de tout fondement juridique. La précision est ainsi sacrifiée sur l’autel des symboles.
Quelle est la portée réelle de la nouvelle interdiction italienne ?
Malgré la volonté affichée de combattre largement le recours à la GPA, la récente réforme italienne peinera à atteindre cet objectif pour plusieurs raisons. D’abord, d’un point de vue pratique, l’engagement des poursuites concernera surtout les couples homosexuels en raison des suspicions qui pourront surgir lors de la demande de transcription de l’acte de naissance de l’enfant né à l’étranger. Les statistiques montrent que la pratique est surtout plébiscitée par les couples hétérosexuels sur lesquels pèseront moins les soupçons. Aussi, à supposer que des poursuites soient engagées, il faudrait également s’assurer de la présence des personnes concernées sur le territoire national. Or, il est fort douteux qu’un pays où la GPA est autorisée accepte de remettre ou d’extrader un individu qui accomplit un acte conforme à la loi en vigueur. Le principe de double incrimination peut en effet faire obstacle à une telle remise.
Ensuite, d’un point de vue théorique, le nouveau texte devra passer le filtre du contrôle de constitutionnalité et celui de proportionnalité. Les défendeurs pourraient ainsi invoquer le caractère déraisonnable qui consiste à traiter de manière identique des infractions portant atteinte à des valeurs différentes et de gravité incomparable. Ils pourraient également soulever l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu comme principe fondamental par la Cour constitutionnelle italienne et par les juridictions supranationales, à ce qu’un lien de filiation soit établi avec ses parents d’intention (voir récemment la décision n°33 de 2021) et à ne pas subir les conséquences d’une peine lourdement pécuniaire ou privative de liberté infligée à ces derniers. Quoi qu’il en soit, s’il est permis de douter de l’effectivité de la répression à venir des couples italiens faisant appel à la GPA à l’étranger, la nouvelle loi portée par l’extrême droite au pouvoir a réussi à marquer un tournant symbolique en durcissant le cadre légal lié aux techniques de procréation médicalement assistée et en affichant un refus renouvelé de toute pratique liée à la GPA.