Par Théo Ducharme, maître de conférences en droit public à l’Université Paris 1, Institut des sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne (ISJPS)

Quel cadre pour le recours l’article 49, alinéa 3 en matière budgétaire ?

L’article 49, alinéa 3 de la Constitution, arme constitutionnelle la plus discutée et contestée, permet au Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres (le compte rendu du Conseil des ministres du 23 octobre fait état d’une telle délibération ouvrant la faculté pour le Premier ministre de recourir à cette disposition à propos des PLF et PLFSS pour 2025), d’engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte ; ce dernier étant adopté sauf si une motion de censure, prévue à l’article 49, alinéa 2, est votée. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le troisième alinéa précité distingue les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale des autres projets ou propositions de loi : pour cette dernière catégorie, le constituant a fait le choix de limiter le recours de l’article 49, al. 3 à une utilisation par session parlementaire ; mais pour la matière budgétaire – PLF et PLFSS – il a exclu cet encadrement. En effet, le texte constitutionnel ne prévoit aucune restriction ; la nécessité d’adopter un budget pendant l’année justifie que le Gouvernement puisse recourir à l’article 49, al. 3 sans limite.

En cas d’utilisation de cette disposition constitutionnelle, le texte est considéré comme adopté sauf si une motion de censure est votée. Concrètement, les députés (a minima un dixième d’entre eux) peuvent déposer une motion de censure dans les vingt-quatre heures qui suivent la décision du Premier ministre d’engager la responsabilité du Gouvernement. Son vote a lieu dans les quarante-huit heures qui suivent son dépôt et elle n’est adoptée que si elle réunit la majorité des députés de l’Assemblée nationale. 289 députés doivent donc se prononcer en faveur de la motion et les abstentions sont comptabilisées comme des refus d’engager la responsabilité du Gouvernement. Le décompte des voix est ici favorable au Gouvernement.

Comment recourir à l’article 49, alinéa 3 en matière budgétaire ?

En cas d’hostilité de l’Assemblée nationale, l’adoption des PLF et PLFSS implique pas moins de dix utilisations de l’article 49, al. 3. Par exemple, la loi de finances est décomposée en deux parties distinctes : la première partie fixe le cadre budgétaire général des recettes et des dépenses alors que la seconde fixe les plafonds de dépenses des ministères. Or, l’article 42 de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) interdit de discuter la seconde partie du texte avant l’adoption de la première (un principe similaire est prévu pour les LFSS à l’article LO 111-7-1 du code de la sécurité sociale), toute la loi étant sinon déclarée contraire à la Constitution (voir Décision n° 79-110 DC du 24 décembre 1979 du Conseil constitutionnel). En conséquence, face à une assemblée rétive, le Gouvernement pourrait devoir recourir à l’article 49, al. 3 pour chaque partie du texte et à chaque étape de la discussion parlementaire. Il s’ensuit que le Premier ministre Michel Barnier pourrait recourir à l’article 49, al. 3 à dix reprises (sur le PLF : deux utilisations en première lecture – partie 1 et partie 2 – deux utilisations en nouvelle lecture – partie 1 et partie 2 – une utilisation pour l’ensemble du texte en lecture définitive ; pour le PLFSS : deux utilisations en première lecture – partie 2 et partie 3 – deux utilisations en nouvelle lecture – partie 2 et partie 3 – et une utilisation pour l’ensemble du texte en lecture définitive), chaque utilisation pouvant alors donner lieu au dépôt d’une motion de censure.

Pourquoi le Gouvernement Barnier pourrait-t-il recourir à l’article 49, alinéa 3 ?

Les discussions budgétaires – sur le PLF et sur le PLFF – s’annoncent complexes à l’Assemblée nationale dans la mesure où le Gouvernement Barnier ne repose pas sur une majorité absolue, mais sur une majorité relative. Selon les calculs, entre 220 et 230 députés soutiennent le Gouvernement alors que la majorité absolue est de 289 députés. Le recours à l’article 49, al. 3 aurait alors un double intérêt, juridique et politique, pour le Gouvernement. Juridique : lors des deux années précédentes, la Première ministre Elisabeth Borne justifiait le recours à cette disposition par la nécessité de donner un budget à la France. Ainsi, face à une Assemblée hostile, cet article constitue un moyen de contraindre l’adoption d’un budget pour garantir la continuité de la vie de la Nation. Politique : dans le cas où le Gouvernement n’arrive pas à trouver un compromis avec un groupe d’opposition, le recours à l’article 49, al. 3 renverse le débat. Le vote ne se déroule plus sur l’adoption d’un texte, mais sur la motion de censure potentiellement déposée par un groupe d’opposition. Dans cette hypothèse, les abstentions des députés d’un parti d’opposition sont comptabilisées comme s’opposant à la censure. Or, la première motion de censure spontanée déposée par le Nouveau Front Populaire, sur le fondement de l’article 49, al. 2, a été rejetée par l’Assemblée nationale en raison de l’abstention des députés du Rassemblement national. Ainsi, le Gouvernement peut espérer que cette répartition des voix se reproduise pendant la discussion budgétaire pour permettre l’adoption du PLF et du PLFSS. En d’autres termes, qu’une abstention lui devienne alors favorable.

Malgré ces avantages pour le Gouvernement Barnier, l’utilisation répétée, alors même qu’elle ne conduit finalement qu’à l’adoption de deux textes, engendrera nécessairement des critiques ; dans l’imaginaire commun, l’article 49, al. 3 est souvent qualifié de passage en force, de contournement du Parlement ou encore de déni de démocratie.