3 questions à Romain Rambaud sur la réforme de la loi électorale et l’introduction de la proportionnelle
Dans un entretien accordé à Mediapart le vendredi 5 mai et publié le lundi 9 mai, Emmanuel Macron a affirmé sa volonté d’agir sur différents volets et présenté certaines de ses prochaines mesures souhaitées. L’une d’entre elles concerne la réforme de la loi électorale et son souhait d’introduire de la proportionnelle dans les futurs scrutins.
Décryptage de cette mesure avec Romain Rambaud, professeur de droit à l’Université de Grenoble et Fondateur du blog du droit électoral.
« Il reste un mauvais souvenir du recours à la proportionnelle en France, qui peut s’analyser comme un mode de scrutin défensif »
A quoi correspond la réforme de la loi électorale voulue par Emmanuel Macron ?
Le 5 mai dernier, sur RTL, Emmanuel Macron, dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, a promis d’introduire une dose de scrutin proportionnel dans les élections législatives. « Je mènerai très rapidement une réforme qui permettra d’instiller une dose de proportionnelle, parce que je souhaite que toutes les forces politiques, y compris celles qui me combattent, puissent figurer au Parlement », a-t-il déclaré. « Ça veut dire que je souhaite le faire la première année », a-t-il même précisé.
Emmanuel Macron ne fait pourtant pas partie de ceux qui, dès le départ (Marine Le Pen, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon) souhaitaient une réforme du mode de scrutin aux élections législatives. Cette question ne figurait pas dans son programme présidentiel présenté sur le site internet du mouvement En Marche ! et c’est seulement à l’issue de l’ « alliance » formée sur la proposition de François Bayrou que la question de la mise en place d’une « dose de proportionnelle », selon l’expression consacrée, s’est imposée. Mais le projet est encore très flou, c’est-à-dire que les modalités techniques n’ont pas été arrêtées. Pour cause, si beaucoup de candidats à la Présidence de la République le promettent, en dernier lieu François Hollande, les promesses n’engagent que ceux qui les croient, et une telle réforme n’a que peu d’intérêt pour un Président… disposant d’une majorité.
On se rappelle que le changement du mode de scrutin aux élections législatives n’a eu lieu, sous la Vème République, qu’une seule fois, par la loi du 10 juillet 1985, en vue des élections législatives de 1986. Il s’agissait d’un changement, vers la proportionnelle dans le cadre d’une circonscription départementale, qui avait une visée stratégique : François Mitterrand entendait affaiblir la victoire de la droite annoncée pour les législatives suivantes. Cette stratégie fonctionna dans le cadre de la 1ère cohabitation, puisque le Président de la République réussit dans une certaine mesure à garder la main. La droite arrivée au pouvoir en 1986 s’empressa de revenir sur cette réforme avec la loi du 11 juillet 1986. Il en reste un mauvais souvenir du recours à la proportionnelle en France, qui peut s’analyser comme un mode de scrutin « défensif »… et fait entrer le Front National à l’Assemblée.
Répondre à la question posée, c’est donc pour l’instant faire du droit fiction sur la base de peu de choses. Emmanuel Macron pourrait choisir plusieurs modalités. Certains parlent d’étendre le scrutin proportionnel à toutes les élections sénatoriales, alors qu’aujourd’hui ce scrutin s’applique dans les départements de plus de deux sénateurs, mais ce serait alors une réformette plutôt qu’une réforme. Pour l’Assemblée Nationale, si un mode de scrutin proportionnel sur la base d’une circonscription nationale ou de circonscriptions départementales semble exclu, on peut imaginer l’adoption d’un scrutin mixte. Le scrutin proportionnel avec une prime majoritaire, utilisé dans les communes ou les régions et dans certains pays d’Europe comme en Grèce, ne semble pas l’option privilégiée, puisque c’est bien d’une « dose de proportionnelle » dont il s’agit. Il serait aussi possible de réserver un certain nombre de sièges à un scrutin proportionnel : c’est ce qu’a proposé en 2012 la Commission Jospin, qui avait proposé de réserver 58 sièges pour mettre en œuvre un scrutin proportionnel à un tour dans le cadre d’une circonscription nationale unique, sans exigence de seuil. Emmanuel Macron pourrait reprendre cette proposition. L’inspiration pourrait aussi venir du modèle allemand, dans lequel il existe deux modalités combinées, l’une majoritaire et l’autre proportionnelle. Les députés sont élus au scrutin majoritaire dans le cadre de circonscriptions mais on ajoute des députés supplémentaires aux partis lorsqu’il s’avère que le nombre de députés au scrutin majoritaire est inférieur à celui auquel correspondrait une attribution sur la base des résultats obtenus au deuxième scrutin. Ce système mixte a bonne presse car il permet un compromis entre le scrutin majoritaire, lequel est plus stable et permet un meilleur contact entre les députés et leurs électeurs, et la représentativité et le pluralisme du Parlement. Cette dernière hypothèse supposerait cependant des réformes juridiques plus profondes.
On peut à ce stade avancer quelques éléments juridiques, puisque ce changement s’inscrit dans un cadre formel qui permet un certain nombre de choses mais pourrait aussi poser des difficultés. En premier lieu, il faut bien souligner qu’en France, à la différence d’autres pays au demeurant, le mode de scrutin aux élections législatives (art. L. 123 du code électoral) ou sénatoriales (article L.294) relève seulement de la loi ordinaire, c’est-à-dire qu’il peut se changer facilement et rapidement, sans modification de la Constitution. Cependant, Emmanuel Macron a indiqué qu’il souhaitait aussi modifier le nombre de parlementaires, dont la Constitution fixe le nombre maximum (article 24) et non le nombre exact, qui lui est fixé par une loi organique seulement. C’est en effet le code électoral qui fixe le nombre de députés, actuellement 577 (art. LO 119), ou de sénateurs, actuellement 348 (art. LO 274 et s.). Le nombre de parlementaires peut donc être modifié par une loi organique sans changement de la Constitution, ce qui suppose un contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel et, en cas de désaccord entre les deux assemblées, des règles de majorité particulières puisqu’en dernière lecture une loi organique doit être adoptée non pas à la majorité des suffrages exprimés mais à la majorité absolue des membres de l’Assemblée Nationale (article 46 de la Constitution). Cela pourrait poser de sérieuses difficultés dans le cadre d’une Assemblée Nationale dépourvue d’une majorité claire. Enfin, un système à l’allemande pourrait poser de plus grandes difficultés encore car la Constitution fixe un nombre maximal de parlementaires, ce qui pourrait donc s’opposer à des ajouts autant que de besoin dans l’assemblée concernée. C’est sans doute en raison de ces problèmes juridiques qu’Emmanuel Macron a insisté : « Ce que j’ai dit c’est que si celle-ci n’était pas acceptée par le parlement, je ne m’arrêterais pas là, et je ne m’interdisais pas d’aller devant le peuple. (…) Il peut y avoir des blocages légitimes quand on est amené à légiférer sur soi. Ce sujet me paraît très important et donc je veux qu’on aille au bout ». Une solution qui lui reste dans l’hypothèse où la majorité élue en juin serait contre lui.
D’ailleurs, si la loi est adoptée par référendum, il n’y aurait même pas de contrôle du Conseil constitutionnel !
Que va modifier l’introduction de la proportionnelle dans les scrutins suivant la réforme ?
Tout d’abord, on peut souligner que l’introduction du scrutin à la proportionnelle pourrait avoir pour effet d’améliorer la parité à l’Assemblée Nationale et au Sénat, puisqu’en France les scrutins proportionnels sont associés à des listes composées alternativement d’un candidat de chaque sexe. On pourrait donc s’attendre à une Assemblée Nationale plus féminisée. Pour le reste, le scrutin proportionnel permet une meilleure adéquation entre les votes et l’attribution des sièges, c’est-à-dire que les partis représentés à l’Assemblée Nationale seraient plus nombreux et plus divers, et donc la démocratie serait plus réelle… au détriment, peut-être, de la marge de manœuvre du Gouvernement. Mais est-ce vraiment un mal ?
Quelles incidences cela aura-t-il à l’Assemblée Nationale ?
C’est impossible à dire car il faudrait tout d’abord que de nouvelles élections législatives soient organisées, c’est-à-dire que le Parlement soit dissous, ou que le mandat des députés puisse être écourté par la nouvelle loi1 ! Si on peut peut-être l’imaginer dans l’hypothèse où Emmanuel Macron ne disposerait pas de majorité en juin, il faut reconnaître que cela est plus difficile à concevoir si ce dernier dispose d’une majorité absolue voire d’une majorité relative qui lui permette de gouverner, comme cela est annoncé par les enquêtes d’opinion. Par ailleurs, tout dépendrait des résultats des élections législatives qui feraient suite à cette dissolution ! Ceci étant, on pourrait s’attendre à l’arrivée à l’Assemblée Nationale de groupes aujourd’hui sous-représentés, notamment ceux qui n’étaient pas en capacité de passer des accords avec des partis dominants, comme le Front National voire les représentants de la France Insoumise. Cela fait quand même beaucoup de « si ». Qui a parlé de droit fiction ?
Par Romain Rambaud
1 Cela est déjà arrivé par le passé, pour la Nouvelle Calédonie (Décision du Conseil constitutionnel n° 79-104 DC du 23 mai 1979) et pour la Polynésie française (Cons. const. 6 déc. 2007: no 2007-559 DC).