Par Christophe Otero, Maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen

Sur quel fondement juridique repose l’interdiction de déplacement de supporters?

Par deux arrêtés en date du 7 décembre 2023 et du 12 décembre 2023, le ministre de l’Intérieur a interdit respectivement le déplacement des supporters de clubs de football lors de la 15e journée de championnat de Ligue 1 et du 8e tour de la Coupe de France, ainsi que le déplacement des supporters de clubs de football lors de la 16e journée du championnat de Ligue 1.

Le ministre intervient en application de l’article L. 332-16-1 du Code du sport, lequel prévoit que « le ministre de l’Intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public. L’arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s’applique. Le fait pour les personnes concernées de ne pas se conformer à l’arrêté est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 €. Dans le cas prévu à l’alinéa précédent, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction judiciaire de stade prévue à l’article L. 332-11 pour une durée d’un an est obligatoire, sauf décision contraire spécialement motivée ».

Dans la mesure où il s’agit d’un acte administratif unilatéral et plus précisément d’une mesure de police administrative, cette décision doit être motivée en droit et en fait, et limitée en raison du lieu, du temps, et des personnes concernées. De plus, depuis plus de dix ans, le juge administratif a fait sienne la formule, connue en droit européen ou à l’étranger sous le nom de « triple test de proportionnalité », selon laquelle les atteintes portées aux libertés (ici les libertés d’aller et venir, d’association et de réunion qui sont constitutionnellement et conventionnellement garanties) par des mesures de police administrative doivent être « adaptées, nécessaires et proportionnées » (CE, 23 décembre 2013, n° 372721) aux objectifs de maintien de l’ordre public.

Que peuvent faire les supporters concernés et peuvent-il notamment se rendre au stade ?

En droit, non, dans la mesure où cela est interdit. Ils s’exposent à une peine de six mois d’emprisonnement et une amende de 30 000 €, ce qui est prohibitif. Alors, que peuvent-ils faire ? Plusieurs solutions cumulatives sont possibles. La première est de contester devant les juridictions administratives ces arrêtés. Néanmoins dans l’hypothèse d’un référé-suspension ou d’un référé-liberté, le juge administratif rejette généralement la requête pour défaut d’urgence. L’usage de la restriction en matière de gestion préventive des comportements des supporters s’est généralisé, conduisant à une position de principe, celle de considérer les arrêtés interdisant les déplacements comme légaux en rejetant les requêtes de référés (CE, ord., 14 juillet 2021, n° 454527).

L’interdiction est à ce point devenue la règle que sur l’ensemble des référés déposés depuis dix années auprès du Conseil d’État, un seul arrêté a fait l’objet d’une suspension (CE, ord., 18 janvier 2020, n° 437733), toutes les autres requêtes ayant été rejetées. Les motifs justifiant le rejet tiennent généralement à l’antagonisme lancinant qui existe et persiste entre les supporters des deux équipes concernées : ceux de l’équipe qui reçoit et ceux de celle qui visite. À titre d’exemple, il en est ainsi entre les supporters lensois et parisiens (CE, ord., 4 décembre 2021, n° 459088), ou entre les supporters stéphanois et lyonnais (CE, ord., 8 novembre 2013, n° 373129). Cependant, on peut relever la récente ordonnance du Conseil d’État rendue le 12 décembre dernier (CE, ord. 12 décembre 2023, n° 490062), quelques heures avant le coup d’envoi du match de Coupe d’Europe entre Lens et Séville. L’arrêté préfectoral a été suspendu compte tenu du fait « qu’aucune rivalité n’existe entre les deux clubs et leurs supporters ainsi qu’en témoigne le déplacement sans incident avéré de 2 000 supporters lensois à Séville pour le match du 20 septembre 2023 ».

Deuxièmement, les supporters concernés peuvent se rendre au stade, avec de nombreuses précautions néanmoins. La première est déjà de posséder un billet pour le match. Si l’on considère que tout ce qui n’est pas prohibé est autorisé, il convient pour lesdits supporters de se rendre au stade sans manifester leur appartenance (pas de drapeaux, de maillots, de chants, etc.) au club concerné par l’interdiction. De plus, les plaques d’immatriculation de leurs véhicules peuvent être considérées comme signe d’appartenance. Au surplus, il convient pour leur sécurité que ces supporters ne se manifestent pas avant, pendant et après le match et ne répondent à aucune éventuelle provocation adverse. Dans les faits, et malgré toutes ces précautions, le droit et la prudence doivent les conduire à s’abstenir de s’y rendre.

Quelle situation pour les supporters quant à leur liberté et la sécurité publique ?

La notion de supporter est un OJNI : un objet juridique non identifié. Il n’y a aucune définition juridique du supporter, pas plus que de celles d’ultras ou de hooligans. Les supporters sont pourtant l’âme du football et le stade un lieu sociologique (sortie familiale, entre ami(e)s, etc.). Le bon grain est l’ensemble des supporters en France qui éprouvent plaisir à se retrouver le week-end. L’ivraie est la minorité qui ne méritent pas la qualification courante de supporters mais plutôt celle de  hooligans. 

Le bon grain c’est, au nom de la sécurité publique, prendre des mesures ciblées et justifiées. L’ivraie, c’est généraliser le principe d’une interdiction dans le cadre de matchs où il risque… de ne rien se passer. Surtout, c’est fonder de telles interdictions sur des motifs spécieux, comme considérer, en l’espèce pour le match Le Havre-Nice« que les supporters de l’Olympique Gymnaste Club de Nice entretiennent de fortes relations d’amitié avec les supporters nancéiens eux-mêmes proches des supporters rouennais avec lesquels les supporters du Havre Athletic Club entretiennent un fort antagonisme ».

Entre-temps, dans le présent cas, statuant le 15 décembre dernier, le Conseil d’État a suspendu les arrêtés interdisant aux supporters du PSG de se rendre à Lille, à ceux de Reims de se rendre à Lens et  aux Niçois de se rendre au Havre.