Affaire DAZN / LFP, ou la (nouvelle) crise des droits TV du foot français
Le principal diffuseur du championnat de France de football menaçait récemment de ne pas s’acquitter de la totalité des sommes dues lors d’une échéance de paiement. La filiale média de la Ligue de football professionnel a riposté en l’assignant en référé. La tempête, juridique et médiatique, s’est, depuis, provisoirement calmée. Retour sur une affaire complexe et sur ses enjeux colossaux.

Par Frédéric Buy, Professeur à l’université d’Aix-Marseille
Quel est le cadre juridique de l’attribution des droits TV en France ?
Les droits d’exploitation audiovisuelle de la Ligue 1 sont, à l’origine, et selon la formule très expressive du Code du sport, « la propriété » de la Fédération française de football. Comme la loi le permet, cette propriété a toutefois été gratuitement cédée aux clubs de Ligue 1. Mais c’est une bizarrerie : les clubs ne commercialisent pas eux-mêmes leurs droits auprès des diffuseurs. L’article L. 333-1 du Code du sport indique en effet que cette mission doit être assurée par la ligue professionnelle, une entité juridiquement distincte de la Fédération qui est chargée de gérer le secteur professionnel. Il faut bien comprendre que les clubs ont toujours vocation à percevoir les produits de la vente (une fraction, en réalité), mais les chaînes de télévision négocient donc avec la ligue, ou avec la société commerciale créée et contrôlée par celle-ci. Depuis quelques années, la loi permet également aux ligues de confier la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation à ce genre de société. C’est le système, taillé sur mesure, qui a été mis en place dans le secteur du football professionnel : les droits TV de la Ligue 1 sont commercialisés, non par la Ligue de football professionnel (LFP), mais par la SAS Filiale LFP 1. On cède donc tout ou partie des droits d’exploitation de la compétition à un ou plusieurs diffuseurs.
Les amateurs de football se souviennent que les droits de leur championnat préféré furent ainsi longtemps détenus par Canal+. Les réorientations stratégiques du diffuseur, la flambée mondiale des droits, l’élargissement de l’offre de diffusion, et la nécessité (non négligeable pour les juristes !) de recourir à des mises en concurrence, ont toutefois eu raison de ce partenariat historique. A l’heure actuelle, c’est la plateforme de streaming anglaise DAZN qui assure ainsi la diffusion de la plus grande partie des matchs de Ligue 1 (8 matchs par journée, les droits sur le match restant ayant été attribués à BeIn Sports). Conclu en juillet 2024 pour la période 2024-2029, le contrat de cession prévoit le versement de 400 millions d’euros en moyenne par saison.
Quel est le nœud du litige entre DAZN et la filiale média de la LFP ?
C’est, fondamentalement, un problème de retour sur investissement. DAZN a payé cher un « produit » qui, selon la presse, ne s’est pas avéré suffisamment rentable : le nombre d’abonnés serait, quelques mois après la signature du contrat, d’environ 500 000, là où la plateforme en eut espéré trois fois plus. Bien que tout soit, dans cette affaire, très singulier (les protagonistes, les enjeux, les droits en cause), le juriste ne dira pas que la question ne lui est pas familière. Car on sait de façon générale que, si le défaut de rentabilité de la chose acquise est en principe, et compte tenu de l’aléa des affaires, un risque que l’acquéreur doit assumer, il en va différemment lorsque le vendeur a induit en erreur l’acheteur ou, encore, lorsque le défaut est imputable au vendeur. Or, c’est peu ou prou ce que DAZN semble reprocher à son cocontractant depuis quelque temps. Pour autant que l’on puisse se fier aux informations relatées par la presse, le refus du diffuseur de payer la moitié des sommes dues à l’échéance du mois de janvier, soit 35 millions d’euros, aurait fait écho à divers manquements de Filiale LFP 1, parmi lesquels une insuffisance des moyens consacrés à la lutte contre le piratage. En retour, la filiale média de la ligue a saisi en référé le président du tribunal des activités économiques de Paris (ex-tribunal de commerce) afin que celui-ci ordonne le paiement de la somme retenue. Mais on sait qu’aucune décision judiciaire n’est finalement intervenue : alors que le délibéré devait avoir lieu le vendredi 28 février, on apprenait la veille que l’échéance du mois de janvier avait été soldée et que Filiale LFP 1 s’était, dans la foulée, désistée de son action. L’apaisement a été favorisé par une procédure de médiation opportunément initiée par le président du tribunal, comme la loi le lui permettait. Ni DAZN ni Filiale LFP 1 n’étaient obligées de participer à une procédure qui requiert toujours le consentement des parties. Mais les intéressés, qui ont sans doute lu Balzac, ont donc compris qu’un accord, même mauvais, valait mieux qu’un bon procès. L’idée est d’ailleurs de poursuivre le dialogue afin de trouver un accord portant, selon les mots de la LFP, « sur l’ensemble des difficultés rencontrées ». A défaut, les hostilités reprendront. Il faut garder en tête que DAZN a par ailleurs introduit une action au fond pour faire valoir sa déception contractuelle (chiffrée à 573 millions d’euros), et qu’il n’apparait pas qu’elle y ait encore renoncé.
Quelles seront les conséquences financières pour le football français ?
Dans l’immédiat, tout le monde peut souffler, mais on y verra bien sûr plus clair à l’issue de la médiation. En l’état, une épée de Damoclès pèse sur la ligue et les clubs dès lors qu’une clause de sortie (par ailleurs réciproque) permet à DAZN de rompre le contrat à la fin de la saison 2025-2026 si le nombre de 1,5 million d’abonnés n’est pas atteint d’ici la fin de l’année. Si la LFP a publiquement exprimé sa volonté d’aider DAZN à gagner des abonnés tout en luttant contre le piratage, le risque d’une défection du diffuseur n’est pas à exclure. L’existence, révélée par le quotidien L’Equipe, d’une seconde clause d’interdiction de toute négociation avec les diffuseurs concurrents avant la fin de l’année 2025 crée une tension supplémentaire. On peut toujours débattre de la licéité de ce genre de stipulation, mais elle constitue, de fait, un véritable épouvantail.
Cette crise ne fait qu’aviver, en réalité, les grandes difficultés financières qui sont celles de la plupart des clubs français (têtes d’affiche mises à part). Un rapport d’information sénatorial sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football rappelait, il y a quelques mois, que la défaillance soudaine du précédent diffuseur, Mediapro, avait entrainé une baisse sensible du montant des droits TV que les clubs, très optimistes, n’avaient pas anticipée. Cette défaillance pourrait d’ailleurs être à l’origine de nouveaux tracas, dès lors que la Cour de cassation a censuré, au mois de septembre, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait rejeté la demande, formulée par Canal+ et BeIN Sports, d’annulation de la réattribution des lots de Mediapro à Amazon. Il faut attendre la décision de la cour de renvoi, mais un constat de violation du droit de la concurrence pourrait, en l’occurrence, se révéler particulièrement coûteux. Les clubs français sont, en réalité, à la croisée des chemins. La Cour de justice ayant par ailleurs, dans son arrêt Diarra du 4 octobre dernier, condamné le système des transferts tel qu’il existe actuellement, c’est le business model des sociétés sportives professionnelles qui doit être aujourd’hui totalement repensé.