Coupe du monde 2034 de la FIFA en Arabie Saoudite : les droits humains disqualifiés ?
Le 11 décembre 2024, la Fédération internationale de football association (FIFA) a officiellement désigné l’Arabie Saoudite comme pays hôte de la Coupe du monde masculine 2034. « Moment de grand danger pour les droits humains », « jour sombre pour les droits humains et le football dans son ensemble », ce choix a suscité de vives réactions, donnant notamment lieu à une déclaration conjointe de 21 ONG alertant sur la mise en péril de vies humaines et dénonçant le non-respect de ses engagements en matière de droits de l’homme par la FIFA.
Par Mathieu Maisonneuve, Professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille
Pourquoi la FIFA a-t-elle choisi d’attribuer les droits d’organisation de la Coupe du monde 2034 à la Fédération saoudienne de football ?
Dans la mesure où la candidature saoudienne était la seule en lice, il pourrait être tentant de répondre que la FIFA n’avait pas d’autre choix. En réalité, elle a tout fait pour parvenir à ce résultat, principalement pour des raisons économiques, certains n’hésitant pas à y voir, entre autres, un lien avec l’accord de partenariat qu’elle a conclu en avril 2024 avec la compagnie pétrolière saoudienne Aramco.
En annonçant le 4 octobre 2023 que la Coupe du monde 2030 aurait lieu, sous réserve de validation ultérieure, sur trois continents (principalement en Espagne, au Maroc et au Portugal, mais avec trois rencontres à jouer en Argentine, au Paraguay et en Uruguay afin de célébrer le centenaire de l’événement dont la première édition a eu lieu à Montevideo en 1930), le conseil de la FIFA a fermé la porte, en application du principe traditionnel de rotation entre les continents, à toute autre candidature qu’asiatique ou océanienne.
En fixant au 31 octobre 2023 la date limite de réception des déclarations d’intérêt pour l’organisation de la Coupe du monde 2034, le conseil de la FIFA a, lors de sa même session du 4 octobre 2023, obligé les éventuels candidats à se déclarer rapidement, ce que la fédération saoudienne a fait en moins de deux heures, les fédérations australienne et indonésienne préférant finalement renoncer.
En abaissant de sept (dans le document commun de présentation des procédures de candidature pour les coupes du monde 2030 et 2034) à quatre (dans le document spécial pour l’édition 2034) le nombre minimum de stades existants que doit comporter une candidature (le document pour 2034 précisant en outre qu’un stade existant est un stade qui existe déjà actuellement ou qui est en cours de construction), la FIFA a levé tout doute quant à la recevabilité de la candidature saoudienne.
En prévoyant une désignation en bloc des pays hôtes pour les éditions 2030 et 2034 par acclamation lors d’un Congrès extraordinaire en ligne, la procédure de vote, adoptée le 3 octobre 2024 par le conseil de la FIFA, a rendu difficile, si ce n’est impossible, toute manifestation de rejet de la désignation de l’Arabie saoudite comme pays hôte.
En choisissant l’Arabie Saoudite comme pays hôte de la Coupe du monde 2034, la FIFA a-t-elle manqué à ses engagements en matière de droits humains ?
Après la décision controversée de désigner la Russie et le Qatar comme pays hôtes des coupes du monde 2018 et 2022, la FIFA a entendu, que ce soit de manière sincère ou pour améliorer son image, renforcer son action relative aux droits humains. En 2016, elle a inséré dans ses statuts une disposition par laquelle elle « s’engage à respecter tous les droits humains internationalement reconnus » et à mettre « tout en œuvre pour promouvoir la protection de ces droits » (art. 3). En 2017, elle a adopté une Politique en matière de droits de l’homme détaillant son engagement statuaire en se référant aux principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies. Dans la continuité de ce qui avait été prévu pour la première fois pour la Coupe du monde 2026, le règlement de candidature pour les éditions 2030 et 2034 énonce que le respect « des droits humains internationalement reconnus » constitue un critère de sélection (art. 6.5.4).
Il n’en fait toutefois pas un critère éliminatoire. Le respect des droits humains est en effet un élément à prendre considération pour départager deux ou plusieurs candidatures, et non un critère qu’une candidature doit nécessairement remplir pour être retenue quand il n’en existe pas d’autres. Les exigences minimales à satisfaire concernent uniquement les critères liés aux infrastructures et aux aspects commerciaux. Ainsi que cela ressort clairement de la présentation des exigences d’organisation pour la coupe du monde 2034, il est ainsi surtout attendu, concernant les droits humains, que le ou les pays candidats prennent au besoin des engagements en faveur d’un changement positif, le rapport d’évaluation des candidatures publié par la FIFA ayant jugé suffisants ceux de l’Arabie Saoudite.
On peut bien sûr estimer exagérément optimiste l’appréciation portée sur les progrès déjà réalisés par le Royaume saoudien et sur les chances de voir les engagements pris se concrétiser, laquelle appréciation a conduit la FIFA à considérer comme seulement « moyen » le risque représenté par la candidature saoudienne au regard du critère des droits humains. On peut même penser que le choix de l’Arabie Saoudite est moralement contestable. Il est en revanche plus discutable de prétendre que la FIFA aurait manifestement manqué, en l’état de ceux-ci, à ses engagements juridiques en matière de droits humains.
La FIFA devrait-elle être plus regardante sur la situation des droits humains dans les pays hôtes des coupes du monde ?
Nombreux sont ceux à le penser. Plutôt que d’inviter la FIFA à n’attribuer l’organisation de la Coupe du monde qu’à des États dans lesquels la situation des droits humains serait déjà globalement satisfaisante, ce qui reviendrait à exclure de fait une partie non négligeable de ses 211 associations nationales membres et à se priver d’un levier d’amélioration des droits humains là où ils en ont le plus besoin, la plupart des voix, y compris doctrinales, qui s’élèvent en ce sens appellent la FIFA à « muscler » ses exigences en matière de droits humains (même si le bilan juridique des effets de la Coupe du monde 2022 au Qatar apparaît plutôt positif).
Dans un rapport publié en juin 2024, Amnesty international et Sport & Right Alliance recommandaient ainsi à la FIFA de notamment : veiller à ce que chaque candidature comprenne une évaluation véritablement indépendante des risques liés aux droits humains, réalisée en concertation avec toutes les parties prenantes (l’évaluation réalisée par le bureau saoudien d’un cabinet international d’avocats ayant été sévèrement critiquée par 11 ONG) ; conclure, avant d’attribuer l’organisation de la coupe du monde, des engagements contraignants avec les pays candidats relatifs aux droits humains, incluant un plan d’action assortis d’objectifs précis et mesurables (celui présenté par la fédération d’Arabie saoudite de football ayant pu être jugé insuffisant), de nature à permettre le retrait des droits d’accueil s’ils ne sont pas atteints ; être prête à ne pas désigner de pays hôte si aucun candidat n’est en mesure de mettre au point un tel plan.
Parallèlement à la prévention des atteintes aux droits humains, d’aucuns insistent sur la nécessité de prévoir, conformément aux principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, des mécanismes de sanction ou réparation effective en cas d’atteintes en lien avec l’organisation de la coupe du monde dans un pays donné. Pour les besoins de la Coupe du monde 2022 au Qatar, la FIFA a ainsi mis en place à cette fin une plateforme de signalement de potentielles atteintes aux droits humains en lien avec l’événement. À ce jour, les réparations au profit des victimes se font toutefois toujours attendre.
Plutôt que d’appeler les titulaires de droits sur les grands événements sportifs à mieux prendre en compte les droits humains, une proposition de résolution déposée en 2023 à l’Assemblée nationale, dont le contenu a été repris par un rapport d’information de cette même assemblée (recommandation n° 48), a pu proposer une solution radicale : leur retirer le droit de choisir les pays, régions ou villes hôtes pour le confier à une agence mondiale indépendante composée des États et du Mouvement sportif international sur le modèle de l’Agence mondiale antidopage. Il est plus qu’improbable qu’une telle agence soit un jour créée. L’idée que la solution pour les droits humains serait à chercher dans une externalisation du choix des lieux d’accueil des Coupes du monde de football et autres Jeux olympiques met toutefois le doigt sur une difficulté structurelle : le conflit d’intérêts dans lequel se trouvent la FIFA ou le Comité international olympique, à la fois institutions régulatrices du Mouvement sportif et opérateurs économiques sur le marché des compétitions sportives.