Par Xavier Aumeran, professeur de droit à l’Université Jean Moulin Lyon 3

En quoi ce contentieux est une remise en cause du système actuel d’encadrement des transferts ?

Trois ans avant le terme de son engagement, le club russe du Lokomotiv Moscou a mis un terme au contrat de travail du joueur français Lassana Diarra. Son comportement en était la cause, ce qui rendait, selon son employeur et ainsi que l’envisage le Règlement du statut et du transfert du joueur (RSTJ) de la FIFA, la rupture du contrat « sans juste cause » et imputable au joueur. C’est également l’avis de la Chambre de résolution des litiges de la FIFA, approuvée ensuite par le Tribunal arbitral du sport. Le joueur est condamné à verser à son ancien club une indemnité de 10,5 millions d’euros sur le fondement de l’article 17 du RSTJ.

Mais ce n’est pas tout. Désireux de s’engager avec un club belge, le Sporting du Pays de Charleroi, M. Diarra a été confronté à plusieurs obstacles. S’il le recrutait, le club belge était solidairement et conjointement tenu au paiement de l’indemnité. En sus, selon les règlements de la FIFA, il était présumé avoir incité le joueur à rompre son précédent contrat de travail sans juste cause. Il encourait alors une interdiction générale de recrutement de nouveaux joueurs pendant un an. Enfin, le RSTJ empêche l’ancienne fédération nationale dont relève le joueur (en l’occurrence la fédération russe) de délivrer un « certificat international de transfert » (un « bon de sortie » en quelque sorte) dès lors qu’un différend relatif à la rupture oppose un joueur avec son club. Le joueur est bloqué et, de facto, aucun club n’est en mesure de le recruter. C’est l’objectif premier de ces dispositions : assurer une stabilité contractuelle des engagements liant les joueurs à leurs clubs, afin de ne pas déstabiliser les effectifs des équipes, et donc les compétitions. L’arsenal juridique mis en place est particulièrement dissuasif.

En contestant la conformité aux articles 45 (libre circulation) et 101 (libre concurrence) du Traité de l’ensemble de ces règles transnationales d’origine privée devant le juge belge, puis devant la Cour de justice dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, M. Diarra (et les syndicats de joueurs ensuite intervenus volontairement) remet en cause le cadre existant afin d’empêcher les changements de clubs non souhaités par l’employeur.

Quelles sont les dispositions du RSTJ considérées comme contraires au droit de l’Union ?

Toutes les règles de la FIFA dont la conformité au Traité était mise en doute par M. Diarra sont jugées contraires aux articles 45 et 101. En dépit de l’ « objectif légitime d’intérêt général » poursuivi (« assurer la régularité des compétitions sportives »), elles entravent la liberté de circulation des footballeurs professionnels qui voudraient faire évoluer leur activité en allant travailler pour un nouveau club. Elles ont aussi pour objet de restreindre, voire d’empêcher, la concurrence transfrontalière à laquelle pourraient se livrer tous les clubs de football professionnel établis dans l’Union, en recrutant unilatéralement des joueurs sous contrat avec un autre club ou des joueurs dont il est allégué que le contrat de travail a été rompu sans juste cause. L’atteinte est qualifiée de « généralisée, drastique et permanente ». Chaque article concerné du RSTJ est minutieusement critiqué et confronté à sa contrariété avec le droit de l’Union. Pour la FIFA, le revers est total.

Quelles sont les conséquences prévisibles de cette décision ?

Elles seront considérables, au moins comparables aux bouleversements postérieurs à l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995. Quelques mois après les arrêts European Superleague Company et Royal Antwerp, cette décision Diarra impose de nouveau à la FIFA une profonde remise en question. Si le principe même des transferts n’est pas critiqué par la Cour de justice, tout comme la légitimité de la fédération internationale à préserver l’équilibre des compétitions par la recherche d’une stabilité contractuelle, les moyens jusqu’à présent employés doivent être largement réformés. Qu’importe la durée des engagements contractuels, le droit de l’Union impose de garantir aux joueurs une plus grande mobilité et des changements de clubs facilités.

C’est aussi l’omnipotence de la FIFA qui est condamnée. Comme le souligne la Cour, ce n’est pas « l’objet de la FIFA » que de prévoir des règles de droit du travail, y compris protectrice des travailleurs (pt 99). D’ailleurs, si les dispositions litigieuses étaient prévues par voie de convention collective, elles ne seraient plus concernées par l’article 101 du Traité. L’arrêt Diarra devrait encourager la World Leagues Association et la FIFPRO, représentant, pour l’une, les ligues professionnelles et clubs, pour l’autre, les joueurs, à intensifier leurs échanges et à initier de réelles négociations.

Enfin, il serait erroné de croire que seules les règles applicables au football sont concernées par cette décision. D’autres fédérations internationales prévoient dans leurs règlements un tel droit du travail transnational, d’origine privée, visant à limiter drastiquement la mobilité des sportifs pendant la durée de leur contrat. Pour elles aussi, l’arrêt du 4 octobre 2024 est riche d’enseignements.