Par Charles-Edouard Bucher, Professeur agrégé de droit privé et Directeur de l’Institut de recherche en droit privé de l’Université de Nantes.

Pourquoi le vote de ce texte était-il nécessaire ?

La loi s’inscrit dans le cadre d’une vaste réflexion éthique sur le contenu des collections publiques. Cette réflexion a notamment conduit à l’adoption, le 22 juillet dernier, d’une loi portant sur la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites, entre 1933 et 1945. La lumière doit désormais être faite sur la provenance des œuvres. Cette réflexion est également menée, depuis plusieurs années, sur les restes humains conservés dans les établissements publics (musées, universités…). 23 665 restes humains figurent ainsi, par exemple, dans les collections du Muséum national d’histoire naturelle. Ce ne sont pas des biens culturels comme les autres. Ils doivent être « traités avec respect, dignité et décence » (C. civ., art. 16-1-1 al. 2). Il importe, par ailleurs, de prendre en compte les croyances, la culture et les traditions de leur terre d’origine. À cet égard, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 reconnaît à ces peuples un « droit au rapatriement de leurs restes humains ».

Mais les restes humains qui ont intégré les collections publiques sont protégés par le principe d’inaliénabilité des biens du domaine public. Toutefois, ce principe n’a qu’une valeur législative. Une loi peut donc être adoptée pour en autoriser la sortie. Ce fut fait en 2002 pour restituer à l’Afrique du Sud la dépouille de Saartjie Baartman, la “Vénus hottentote” et, en 2010, pour remettre à la Nouvelle-Zélande des têtes maories. Plusieurs demandes sont, à ce jour, pendantes : l’une porte sur le crâne du roi Toera décapité en 1897 et réclamé par Madagascar ; une autre, sur la dépouille du fils d’un chef amérindien dont la tombe avait été profanée en 1896, réclamée par l’Argentine ; enfin, une dernière, formée par l’Australie, concerne des restes d’aborigènes et d’indigènes. Afin d’éviter la multiplication de lois d’espèce, l’idée d’adopter un cadre général a été formulée. La loi du 26 décembre 2023 la concrétise en instaurant une dérogation générale au principe d’inaliénabilité des biens du domaine public aux articles L. 115-5 à L. 115-9 du Code du patrimoine.

Quelle procédure a été instituée ?

La sortie des collections publiques de restes humains identifiés comme étant issus d’un État étranger sera désormais prononcée par le Premier ministre. Le décret, en Conseil d’État, sera pris sur rapport du ministre de la Culture. Lorsque le propriétaire est une collectivité territoriale, son organe délibérant devra approuver la restitution. En cas de doute sur l’identification des restes humains, un comité scientifique sera mis en place. Ce comité, composé de représentants de l’État demandeur et de la France, devra tenter de les identifier, au besoin après analyse de leurs caractéristiques génétiques. Comme le soulignait la sénatrice Catherine Morin-Desailly, à l’initiative avec deux autres sénateurs de la proposition de loi, le travail qui pourrait être réalisé

au sein de ce comité « fournit une opportunité de jeter les premières bases de l’écriture commune du récit de notre histoire passée » et permettra « de développer des coopérations culturelles et scientifiques avec les États demandeurs ».

Pour quelles fins et à quelles conditions ?

La procédure instituée est finalisée et conditionnée. La restitution des restes humains n’est possible qu’à des fins funéraires. Cela exclut donc qu’ils puissent être exposés dans leurs pays d’origine. Néanmoins, cela ne signifie pas forcément qu’ils devront être inhumés ou incinérés. Pierre Ouzoulias, l’un des porteurs de ce texte, relevait que le terme « funéraire » renvoie au funus, c’est-à-dire à un rituel romain qui célébrait autant le corps du défunt que sa mémoire. L’hommage rendu aux morts pourra ainsi être opéré selon la tradition du pays en question (réalisation d’un mémorial, par exemple).

S’agissant des conditions posées par le texte, la demande doit émaner d’un État, lequel peut agir au nom d’un groupe humain demeurant présent sur son territoire et dont la culture et les traditions restent actives. Par ailleurs, les restes humains concernés sont ceux de personnes mortes après l’an 1500. Les momies, reliques et ossements archéologiques plus anciens ne sont donc pas visés. Enfin, il importe que les conditions de leur collecte portent atteinte au principe de la dignité de la personne humaine (ex. : pillages, profanations de sépulture…) ou que leur conservation dans les collections contrevienne au respect de la culture et des traditions du groupe humain dont ils sont issus. Ces strictes conditions limitent considérablement le nombre de restes humains restituables. Ainsi, seuls 700 des 23 665 restes humains conservés au Muséum national d’histoire naturelle ont été collectés à l’étranger et, le plus souvent, à l’occasion de fouilles archéologiques.

On fera remarquer que le texte n’envisage que les restes humains « étrangers », conservés dans les collections publiques. Ceux qui sont entre des mains privées ne sont donc pas concernés. Il en va de même pour ceux qui sont originaires de territoires ultramarins. Or, la question de la restitution de ces derniers se pose (v. en Guyane, la quête des descendants des victimes des zoos humains parisiens : « On a eu des morts, ils sont où ? », Le Monde, 7 août 2023). La loi du 26 décembre 2023 engage néanmoins la réflexion. Son article 2 prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement d’ici un an un rapport qui recensera les solutions envisageables pour mettre en place une procédure pérenne de restitution des restes humains originaires de territoires ultramarins aux Outre-mer.