Par Yvonne Muller, Professeure de droit pénal, Université Paris Nanterre

Que dit précisément le texte adopté par l’Assemblée nationale sur cette nouvelle incrimination de « contrôle coercitif » ?

La proposition de loi n° 669 du 3 décembre 2024 visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, prévoyait (art. 3) de définir le contrôle coercitif dans le code pénal comme une forme particulière de violence psychologique. Le texte était toutefois jugé peu clair et trop étroit (v. AN Rapport n° 845 de la députée Maud Brégeon ; ég. Le club des juristes, 11 déc. 2024). Profondément remanié à la suite d’un amendement (amendement n° 29 de la députée Sandrine Josso), le texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 janvier 2025 (Texte adopté n° 34) s’inspire à la fois de la doctrine et des arrêts novateurs rendus par la CA de Poitiers le 31 janv. 2024.

Dans sa forme amendée, le texte propose d’insérer dans le code pénal un nouvel article relatif aux violences (art.222-14-3-1) aux termes duquel « sans préjudice de l’application des articles 223-15-3 et 222-33-2-1, le fait d’imposer un contrôle coercitif sur la personne de son conjoint, du partenaire auquel on est lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin par des propos ou des comportements, répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d’actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques ou de toute autre nature, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail ». Les mêmes peines sont encourues lorsque l’infraction est commise dans le cadre d’une relation passée (…)

Ce texte, qui poursuit désormais son parcours législatif au Sénat, est-il perfectible ?

S’il faut se réjouir du travail législatif réalisé en quelques semaines pour porter la création d’une infraction de contrôle coercitif, il demeure nécessaire, comme l’ont souligné de nombreux députés, de continuer la réflexion indispensable à l’amélioration du texte afin d’éviter qu’il ne soit trop long et d’une complexité inutile. De là, quelques observations sur le texte adopté.

La définition adoptée nous semble amputée d’un élément essentiel qui caractérise le contrôle coercitif et que l’on retrouve clairement dans la doctrine et la jurisprudence (Poitiers, 2024) : l’existence d’un schéma global de coercition (une stratégie) mis en place par l’auteur. Les arrêts de la Cour d’appel de Poitiers retiennent par exemple « un schéma de conduite calculé » ou « un cadre global de contrôle ». Dans tous les cas, le schéma mis en place a pour même objectif de contrôler et/ou dominer la victime. Ce schéma a un objectif et un résultat, l’un et l’autre ne devant pas être confondus.

L’objectif permet de révéler l’intention de l’auteur – élément caractéristique de l’infraction de contrôle coercitif – entendue comme la volonté de dominer et/ou contrôler la vie privée et/ou sociale de la victime. Les actes réalisés par l’auteur peuvent alors, parce qu’ils répondent à cette intention unique, être reliés les uns aux autres. Or, si le texte adopté vise des propos ou comportements répétés ou multiples de l’auteur, il mentionne immédiatement ses conséquences (« portant atteinte à » ou « instaurant » chez la victime etc..) sans aucune indication de l’intention unique de l’auteur de contrôler et/ou dominer la victime au travers de ces actes réguliers.

Le résultat du schéma coercitif mis en place par l’auteur est d’assujettir la victime en la plaçant – autre élément caractéristique du contrôle coercitif – dans un état de peur (voire de « terreur », CA Poitiers). Le texte adopté distingue, de façon étonnante, selon que les actes de l’auteur portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime ou qu’ils instaurent chez elle un état de peur ou de contrainte. La conjonction « ou » qui indique une alternative ne nous paraît pas opportune. Le schéma global coercitif de l’auteur doit placer la victime dans un état de peur ou contrainte, celui-ci étant caractéristique de la violence subie. Et c’est le cumul du schéma coercitif de l’auteur et de l’état de peur ou contrainte de la victime (paralysant toute réaction) qui permet de déduire que le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains de la victime.

Il est également étonnant que la définition du contrôle coercitif soit donnée « sans préjudice de » l’application du délit de harcèlement conjugal (C. pén. art. 222-33-2-1) alors que celui-ci serait englobé, lorsqu’elle serait caractérisée, dans la qualification de contrôle coercitif.

Enfin, s’agissant de la peine, le contrôle coercitif, pourtant présenté comme une infraction grave parce que permettant de relier entre eux plusieurs actes de violence de nature et de gravité différentes (v. la doctrine et la jurisprudence CA Poitiers, préc.), est puni, en l’absence de circonstances aggravantes, des mêmes peines que le harcèlement conjugal. En outre, alors même que sont visés comme actes du contrôle coercitif des actes « de toute nature », donc de nature sexuelle, la gradation dépend de l’existence ou non, et de son degré, d’une ITT. Il nous semble indispensable que la peine soit adaptée à la nature des actes caractérisés dans le contrôle coercitif. Cela éviterait que le crime de viol englobé dans une qualification plus globale de contrôle coercitif ne soit « correctionnalisé ». Différentes circonstances aggravantes sont prévues selon l’ITT causée sur la victime, son état de vulnérabilité ou la présence d’un mineur au moment des faits. La formulation de certaines des circonstances aggravantes ne manquera pas de soulever des questions comme celle relatives à l’existence « d’un contexte » de résidence habituelle du mineur « au domicile de la victime ou de l’auteur », ou encore de la facilitation des faits par l’usage de dispositifs ou d’institutions tel que des actions en justice, des lieux de soins, des dispositifs administratifs ou des mesures de protection de l’enfance. De même, est embarrassante la référence à l’existence ou l’absence d’une ITT sans que soit mentionné le retentissement psychologique des faits sur la victime. Les travaux de la psychologue clinicienne F. Le Griguer qui portent spécifiquement sur le contrôle coercitif seraient ici très utiles. Enfin on s’étonnera de la notion nouvelle, au titre du préjudice, de « situation de handicap temporaire ou permanent », là où le droit pénal retient classiquement les termes d’incapacité de travail temporaire, de mutilation ou d’infirmité permanente.

La proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale a été transmise au Sénat (Texte n° 279) le 29 janvier dernier et sera discutée en séance publique le 3 avril. S’ouvre ainsi une nouvelle phase de réflexion et de débats particulièrement nécessaire. Nul doute que les travaux de la sénatrice Dominique Verrien qui a déjà travaillé sur la notion dès 2023 à l’occasion de la rédaction, avec la députée Émilie Chandler, du rapport Plan rouge vif (Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, mai 2023) seront ici particulièrement précieux. Faut-il rappeler que la rédaction du texte pénal doit satisfaire au principe constitutionnel de la légalité, c’est-à-dire être clair et précis et éviter les notions et formules trop générales ou abstraites.