Thon en boîte contaminé au mercure : le cadre règlementaire est-il vraiment « laxiste » ?
L’étude publiée par Bloom et Foodwatch, le 29 octobre, sur la contamination du thon au mercure a renforcé l’inquiétude des consommateurs sur leur alimentation. Le titre du rapport est alarmant : « Du poison dans le poisson- chronique d’un scandale de santé publique ». Pour autant, comme le dénoncent les auteurs, la réglementation en ce domaine est-elle « laxiste » ?
Par Marine Friant-Perrot, Maître de conférences à la faculté de droit de Nantes
Quelle est la réglementation sur la teneur en mercure du thon ?
Le mercure présente un risque majeur pour la santé. Considéré par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme l’une des dix substances chimiques les plus préoccupantes pour la santé publique mondiale, ce neurotoxique présente des risques graves pour l’organisme humain et plus particulièrement pour le développement cérébral des fœtus et jeunes enfants. Par effet de la pollution chimique des eaux due à la combustion du charbon, l’extraction minière et à certaines activités industrielles comme la fabrication du ciment, ce métal lourd se retrouve dans le thon qui est l’un des principaux contributeurs de l’exposition alimentaire au mercure.
Pour prévenir ce risque connu, la présence de ce contaminant dans le poisson est règlementée au niveau européen par le Réglement (UE) 2023/915 de la Commission du 25 avril 2023 qui fixe des teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires. La valeur établie est de 1,0 mg/kg pour les différentes espèces de thon frais. En dépit de ce texte, le rapport édité par Bloom révèle que, sur 148 boîtes de thon testées, « plus d’une boîte testée sur deux dépasse la teneur maximale en mercure la plus restrictive définie pour les produits de la mer (0,3 mg/kg) », et « plus d’une boîte sur dix dépasse la teneur définie pour le thon frais ».
Quelles sont les incohérences et les zones d’ombre de cette réglementation ?
Ce que l’étude pointe du doigt, ce sont les incohérences de la règlementation qui applique des seuils de contamination différents pour une même catégorie d’aliments : ceux issus des produits de la pêche et les mollusques. La limite maximale en mercure le plus stricte définie pour les poissons est de 0,3 mg/kg, mais elle ne concerne pas tous les produits de la mer. Des taux plus élevés peuvent s’appliquer : 0,5 mg pour les crustacés, mollusque, et 1mg/kg pour certaines espèces de poissons comme le thon ou l’espadon. La concentration en mercure du thon peut donc être trois fois plus élevée que pour le maquereau ou la sardine, alors même que le risque sanitaire est identique. Une autre incohérence existant avant 2017 peut être relevée. Jusqu’à l’adoption du règlement (UE) 2017/2229, les teneurs maximales en mercure des coproduits et sous-produits destinés aux aliments pour animaux de compagnie étaient inférieures à celles applicables au thon destiné à la consommation humaine. Ce seuil a été rehaussé en invoquant la pénurie engendrée par cette limite maximale plus exigeante. Ainsi la pâtée pour chat ou chien au thon a pu par le passé être moins contaminée au mercure que le thon que nous consommons !
Outre ces incohérences, ce sont également des zones d’ombre qui sont dévoilées. La règlementation fixe des teneurs maximales en mercure pour le thon frais. Qu’en est-il des seuils applicables pour le thon en boîte qui est cuit et déshydraté ? Pour le thon en boîte (de même que pour toute denrée alimentaire séchée, diluée, transformée et/ou composée), conformément à l’article 3 du Règlement, (UE) 2023/915, il faut appliquer des facteurs de transformation afin de pouvoir comparer ces valeurs avec la teneur maximale qui s’applique au produit s’il avait été prélevé à l’état frais. Or, les professionnels qui procèdent à la transformation de ces denrées sont les seuls en capacité d’indiquer ces facteurs spécifiques, liés à la recette utilisée. Si de manière globale, le processus de mise en boîte du thon entraine une augmentation de la concentration en mercure en lien avec la déshydratation du produit, cette augmentation varie selon les produits et les marques, ces différences tenant à la cuisson ou l’ajout d’ingrédients comme le sel ou le citron. En principe, les exploitants devraient donc fournir aux autorités publiques les facteurs spécifiques de transformation pour permettre un contrôle des produits finis, mais en pratique, ces données ne sont pas transmises. Cette thèse est corroborée par une instruction technique de la DGAL du 10 janvier 2022 relative au Plan de surveillance des contaminants chimiques du milieu aquatique dans les produits de la pêche qui précise qu’il est préférable pour l’opérateur de réaliser des autocontrôles sur la chair de poisson plutôt que sur les conserves. Ainsi, du côté des exploitants soumis à une obligation d’auto-contrôle, comme du côté de la DGAL lors des contrôles officiels, le respect des limites maximales de contaminants n’est pas garanti pour le thon en boîte, dès lors que le passage du frais à la conserve constitue une boîte noire quant à son effet sur la concentration en mercure.
Mêmes risques sanitaires et règles différentes : quelles sont les perspectives d’abaissement des seuils de contamination au mercure ?
La variabilité des mesures de gestion du risque selon les espèces de poissons et selon le processus de transformation constitue une incohérence à laquelle il conviendrait de remédier. Quels sont les obstacles à l’alignement des limites maximales en mercure du thon sur les autres poissons comme le lieu jaune, le cabillaud ou le maquereau ? Le thon est le poisson le plus consommé sur le territoire européen et si l’on renforce les normes sanitaires applicables pour la pollution au mercure, la ressource sera impactée. Cela implique une transition vers des modes de consommation alimentaire plus respectueux de la santé et de l’environnement, conformément à l’ambition affichée par la Commission européenne dans sa Stratégie de la Ferme à la Table en 2020. En cela, une approche « One health » s’impose : la protection de la santé publique passe par la protection de nos océans et des poissons contre la pollution au mercure.