Par Laurence Mauger-Vielpeau, Professeur à l’Université de Caen

Quel statut pour l’expert en art ?

Il faut rappeler que le statut d’expert n’est pas règlementé par notre droit. Toute personne se prétendant experte en meubles, ou autres, de telle ou telle époque, peut se présenter ainsi. Le titre comme la fonction ne font l’objet d’aucune réglementation. Pour remédier à cette carence et aux risques qu’elle engendre, le législateur avait créé, dans la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, des experts agréés par le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Etaient visés les experts auxquels pouvaient avoir recours « les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, les huissiers de justice, les notaires et les commissaires-priseurs judiciaires ». Le Conseil établissait une liste d’experts agréés dans chaque spécialité. Tout expert agréé devait être inscrit dans une spécialité dont la nomenclature était établie par le Conseil, maximum deux sous réserve de spécialités connexes. Le Conseil pouvait aussi prononcer le retrait de l’agrément d’un expert en cas d’incapacité légale, de faute professionnelle grave, de condamnation pour faits contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs. En définitive, ce fut un échec car très peu d’experts ont demandé cet agrément. La loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques les a donc supprimés. Elle a, toutefois, maintenu un cadre juridique lorsque l’opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, les commissaires de justice et les notaires veulent s’assurer du concours d’experts, quelle qu’en soit l’appellation, pour les assister dans la description, la présentation et l’estimation des biens mis en vente (art. L. 321-29 et s. C. com.).

Quels sont les autres acteurs du marché de l’art ?

En présence d’une vente aux enchères publiques, l’expert est solidairement responsable avec l’organisateur de la vente pour ce qui relève de son activité et doit contracter une assurance garantissant sa responsabilité professionnelle. De même, il ne peut décrire, présenter, estimer, ni mettre en vente un bien lui appartenant (sauf exception), ni se porter acquéreur directement ou indirectement pour son propre compte d’un bien dans les ventes aux enchères publiques auxquelles il apporte son concours. Bien entendu, l’organisateur de la vente doit veiller au respect de ces exigences. Or, rien de tel n’est prévu pour des ventes de gré à gré comme celles qui ont eu lieu en l’espèce. Les antiquaires et les créateurs de faux, y compris l’expert, ont pu agir sans aucun contrôle. On peut toutefois s’étonner que les prestigieux acquéreurs, notamment le château de Versailles, aient été dupés, d’autant que pour ce dernier, les acquisitions sont soumises à une procédure spécifique et relèvent d’une commission dédiée…

Faut-il réformer la loi Bardoux ?

Cette affaire permet aussi de revenir sur la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, dite « loi Bardoux », qui vise essentiellement l’utilisation d’une fausse signature d’artiste. Elle concerne seulement certaines catégories d’œuvres (peinture, sculpture, dessin, gravure, musique) et au sein de celles-ci, celles qui ne sont pas tombées dans le domaine public et sont signées. Elle est devenue insuffisante pour appréhender toutes les situations frauduleuses et prévoit des peines trop limitées (2 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende).

Après avoir été adoptée au Sénat, une proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, n° 109, a été déposée le mardi 23 juillet 2024 à l’Assemblée nationale. Elle prévoit notamment des peines de 5 ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende (avec aggravation à 7 ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle ou au préjudice de l’État ou d’une collectivité territoriale, ou de l’un de leurs établissements publics et à dix ans d’emprisonnement et 1.000.000 d’euros d’amende en bande organisée) en cas de réalisation par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre d’art ou d’un objet de collection, dans l’intention de tromper autrui sur l’identité de son créateur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition et de la transmettre à titre onéreux en connaissance de son caractère trompeur. Ce fléau, qui a toujours entaché le marché de l’art, doit enfin être puni plus largement et plus sévèrement.