Par Audrey de Montis, Maître de conférences à l’Université de Rennes

La représentation proportionnelle, c’est quoi ?

Dans une démocratie représentative, les élus sont désignés pour incarner une fonction, en application de dispositions qui déterminent l’ensemble du processus électoral. Au terme d’une campagne, les candidats sont précisément départagés grâce à des règles fixant le type de suffrage, le nombre de tours par élection, son cadre géographique ou encore les modes de scrutin qui servent à « transformer » les voix exprimées en sièges. À ce titre, ces derniers sont classiquement identifiés comme suit : le scrutin majoritaire, la représentation proportionnelle et les scrutins mixtes (qui tentent de combiner les deux premiers).   

Dans le cadre d’un scrutin majoritaire, dit simple, la victoire du vainqueur est amplifiée. Le parti politique, arithmétiquement majoritaire, remporte l’élection et ainsi, dans l’hypothèse d’un scrutin de liste, l’ensemble des sièges à pourvoir, alors même qu’une partie des voix n’a pas été exprimée en sa faveur. Le scrutin peut être organisé en un seul tour, comme en Grande-Bretagne, ou en deux tours comme pour l’élection des députés en France. En l’absence de majorité absolue au premier tour, un seuil fixé à un nombre de suffrages au moins égal à 12,5% des électeurs inscrits est prévu pour se maintenir au second tour.  

Dans le cadre de la représentation proportionnelle, les voix exprimées sont réparties entre les différentes sensibilités politiques. Le scrutin est dit complexe, car des règles techniques doivent finement être identifiées en amont pour savoir de quelle manière distribuer les voix proportionnellement aux candidats représentés. La représentation proportionnelle est dite intégrale, lorsqu’elle permet à chaque liste d’obtenir des sièges ou avec seuil obligeant ces dernières à réunir un nombre minimum de suffrages exprimés pour en recevoir. Ce mode de scrutin est envisagé soit pour l’ensemble des membres d’une assemblée, soit seulement pour une partie d’entre eux : une dose de proportionnelle peut en effet être déterminée en fonction du nombre d’habitants de la circonscription. C’est l’hypothèse actuelle mise en œuvre par le Sénat français. Précisément, une partie des sénateurs est élue au scrutin majoritaire à deux tours dans les circonscriptions désignant entre 1 à 2 sénateurs tandis que l’autre partie est élue au scrutin de liste à la représentation proportionnelle dans les circonscriptions au sein desquelles au moins trois sièges sont à pourvoir. 

La représentation proportionnelle, pourquoi ?

Les modes de scrutin sont choisis librement par chaque État, en fonction de leur culture institutionnelle et des effets supposés qu’ils sont censés produire. En France, la réflexion portant sur la réforme du mode de scrutin pour les élections des députés peut interroger dans le contexte actuel dès lors que, dans le cadre du scrutin majoritaire uninominal à deux tours, l’Assemblée nationale a vu sa composition et la représentation de l’état des forces politiques largement évoluer. Toutefois, d’autres effets escomptés de la représentation proportionnelle permettent de comprendre les enjeux d’une modification des règles.  

Les défenseurs de la proportionnelle évoquent la nécessité que l’Assemblée nationale soit plus représentative. Ce mode de scrutin est donc envisagé comme un remède à la crise de la représentation. Les électeurs se déplaceraient plus volontiers pour aller voter sachant que leurs sensibilités politiques, minoritaires dans l’opinion, pourraient tout de même s’exprimer dans l’hémicycle. La représentation proportionnelle est alors pensée comme un mode de scrutin plus juste. Lorsqu’elle est mise en œuvre, les personnalités ont tendance à s’effacer au profit des partis politiques, qui sont incités à se structurer davantage pour faire apparaître clairement les objectifs et les idées qu’ils défendent. L’élection pourrait ainsi se dépersonnaliser. Par ailleurs les députés, une fois élus, se regroupent pour constituer des groupes parlementaires qui sont amenés à désigner certains de leurs membres pour exercer des fonctions au sein d’une assemblée (présidents de commissions, rapporteurs généraux, rapporteurs sur un texte…). Du fait du scrutin proportionnel, les groupes seraient plus facilement reconnus comme légitimes pour exercer, en aval, ces différentes fonctions précisément à proportion des suffrages exprimés au moment de l’élection

En France actuellement, alors que des accords peuvent se nouer entre les deux tours afin d’éviter les triangulaires et pour apparaître comme le candidat le mieux placé, les coalitions, dans le cadre du scrutin proportionnel, se formeraient plutôt après l’élection. En conséquence, les partis politiques seraient plus libres au cours de la campagne électorale. La consécration du Nouveau Front Populaire, au lendemain de la dissolution du 9 juin 2024, a en effet pu réduire, d’une certaine manière, l’autonomie des partis ayant formé cette coalition. En adoptant le scrutin proportionnel, les négociations pour constituer une majorité, organisées dans ce cas de figure après l’élection, se dérouleraient, au final, dans l’enceinte parlementaire. En définitive, la représentation proportionnelle pourrait favoriser un retour au Parlement et du Parlement.  

En tout état de cause, le scrutin majoritaire pour l’élection des députés, longtemps envisagé pour assurer la stabilité gouvernementale, fait partie, pour l’heure, de la culture institutionnelle et politique française. Le remettre en question suscite de prime abord, une certaine appréhension et impose un changement complet de paradigme. Le contexte peut toutefois faciliter l’évolution car les deux dernières élections législatives, à droit constant, ont déjà permis de composer une Assemblée plus diversifiée et sans majorité absolue.  

La représentation proportionnelle : comment ?

Les propos du chef de Gouvernement prononcés devant l’Assemblée nationale le 1er octobre 2024 sont prudents : « J’ai […] indiqué notre ouverture à la prise en considération des travaux relatifs au scrutin proportionnel que votre assemblée a réalisés » […]. Je suis prêt […] à une réflexion et à une action sans idéologie s’agissant du scrutin proportionnel […] ». Ces dernières années, plusieurs partis se sont prononcés en ce sens. Parmi les propositions les plus récentes et les plus abouties figurent celles de la présidente de l’Assemblée nationale au printemps dernier et de Jean-Luc Mélenchon en de mars 2021 (Doc. AN n° 4013). Tandis que Yaël Braun-Pivet a envisagé d’introduire une dose de proportionnelle fixée à 25% de députés, l’Insoumis évoquait, lui, une représentation proportionnelle intégrale.

Pour ce faire, nul besoin de réviser la Constitution car les modes de scrutin n’y figurent pas. L’adoption d’une loi ordinaire modifiant le code électoral suffirait, sans exigence de majorité qualifiée. Au cours de la Ve République, un seul précédent peut être identifié pour les élections législatives, observé au cours du premier septennat de François Mitterrand. La loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 avait en effet modifié l’article L. 123 du code électoral prévoyant que : « Les députés sont élus, dans les départements, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Le département forme une circonscription ». Il fut prêté à l’ancien Président de la République des intentions stratégiques précises, à savoir la limitation de la victoire des partis de droite aux élections législatives. Les résultats avaient permis l’entrée de députés du FN au Palais Bourbon, comme suit : RPR (155) ; UDF (131) ; Soc. (212) ; Com. (35) ; FN (35). Au mois de juillet 1986, la loi fut finalement abrogée et l’article rétabli dans sa version d’origine. Par ailleurs, ce qui relevait de la tradition républicaine est désormais fixé par l’article L. 567-1 A du code électoral indiquant qu’il ne peut être procédé à une modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin, afin de garantir la sincérité du scrutin et la sécurité juridique.  

La réforme du mode de scrutin peut-elle faire partie des sujets transversaux permettant de recueillir l’accord d’une majorité de députés d’abord, puis des sénateurs ensuite ? Quoi qu’il en soit, la représentation proportionnelle, si elle est adoptée, pourrait aussi conduire à affecter l’usage du droit de dissolution présidentiel. Lorsque le chef d’État recourt à cette disposition, et notamment dans le cadre du scrutin majoritaire, il demande au corps électoral de se prononcer pour trancher et, en l’occurrence, pour dégager clairement une majorité, une opposition, ce qui permet, en définitive, une certaine alternance. Le scrutin majoritaire peut favoriser cela, la représentation proportionnelle bien plus difficilement (voir la dissolution de 1955). Toutefois, la dissolution du 9 juin 2024, inédite à bien des égards, a démenti cette présentation trop simpliste des effets des modes de scrutin et illustré au final, que ceux-ci accompagnent peut-être davantage la composition qu’ils ne les déterminent en réalité.