Pour un contrôle effectif du fonctionnement des EHPAD
Par Eric Senna, ancien Maître de conférences associé, Chargé d’enseignement des Universités de Montpellier et d’Aix-Marseille, Président de chambre à la cour d’appel de Montpellier
La parution de l’enquête journalistique Les Fossoyeurs menée par V. Castanet a provoqué une large prise de conscience sur les défaillances affectant la prise en charge en institution de nos aînés en situation de dépendance.
L’ampleur des dysfonctionnements mis au jour au sein du secteur marchand des EHPAD a suscité de nombreuses réactions.
Les pouvoirs publics ont annoncé plusieurs mesures immédiates en diligentant au niveau ministériel des enquêtes de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances. Du côté du Parlement, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a débuté un cycle d’auditions autour du groupe Orpea et une mission d’information a aussi été créée au Sénat sur le sujet du contrôle des EHPAD.
Pourquoi les contrôles existants ne parviennent-ils pas à corriger les défaillances qui sont dénoncées ?
La question de la surveillance de l’activité de ces établissements et de l’évaluation d’une prise en charge adaptée des personnes qui y sont hébergées apparaît centrale.
Tout d’abord, il faut avoir présent à l’esprit que les personnes âgées qui sont accueillies dans ces établissements sont dépendantes et souffrent à des degrés divers d’une perte d’autonomie et d’un affaiblissement de leurs facultés physiques et cognitives, en sorte qu’elles sont rarement en mesure de pouvoir critiquer par elles-mêmes les défauts de la prise en charge dont elles doivent bénéficier, ni être en mesure de dénoncer la maltraitance institutionnelle dont elles peuvent être victimes.
Ensuite, avec 21 % des personnes de plus de 85 ans en EHPAD, soit plus de 600.000 personnes, la France est l’un des pays d’Europe qui affiche l’un des plus forts taux d’institutionnalisation alors que celui-ci est plus faible dans la plupart des pays européens où il atteint en moyenne 14 % et ne dépasse pas 8 % en Italie et en Espagne.
Dans ce contexte, les audits internes sous forme d’auto-contrôle, ou externes confiés à des consultants, tout comme les contrôles effectués par les organismes publics financeurs ARS et conseils départementaux, sont notoirement insuffisants à double titre. D’abord dans leur fréquence : ces contrôles ont lieu tous les cinq ans en moyenne, seulement 10 % des EHPAD faisant l’objet d’un contrôle annuel des ARS, avec des différences selon les régions. Ensuite au regard des suites effectives qui y sont données par les gestionnaires. Surtout, ces contrôles ne sont pas axés principalement sur la qualité de vie des résidents et le respect de leurs droits fondamentaux. Les agents s’attachent plus à vérifier la conformité des équipements, le respect formel des droits des usagers, l’organisation des soins, la gestion des risques et l’organisation générale de l’EHPAD.
Quant aux inspections ministérielles, celles-ci sont ponctuelles et les rapports remis au ministre de tutelle ainsi que les recommandations qui y figurent, ne sont pas en principe rendus publics.
Dans ces conditions, s’agissant d’un univers ségrégatif peu ouvert sur l’extérieur, ce qu’a confirmé le premier confinement, qui peut comporter des unités fermées où la pratique de l’isolement ou de la contention existe, il peut régner dans certains établissements mal pilotés, une opacité sur des pratiques habituelles contraires à la dignité humaine et au droit à la santé.
Quels devraient être l’objet et la finalité du contrôle ?
S’il existe bien un cadre normatif applicable aux établissements médico-sociaux et en particulier aux EHPAD, qui leur font obligation de respecter la dignité humaine et d’assurer des soins conformes à l’état de santé sans aucune discrimination (Cf. Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées ratifiée en 2010, art.L 311-3 code de l’action sociale et des familles, charte des droits et des libertés de la personne accueillie), la difficulté réside ici en ce qu’il faut des plaintes de la famille rapportant des faits graves pour qu’un contrôle soit provoqué. Autrement dit, le quotidien de la vie en EHPAD n’est pas ausculté, ni évalué sous ce prisme alors que ces structures sont toutes financées par des fonds publics et par les résidents.
Ce qui est inacceptable, c’est que l’institution puisse organiser son activité en faisant prévaloir des considérations financières susceptibles de générer des atteintes systémiques à la dignité humaine, comme par exemple le rationnement du personnel soignant, la précarisation des emplois permanents, la limitation des fournitures et des équipements nécessaires ou la privation ou les restrictions abusives de la liberté d’aller et venir des résidents.
Ce qui fait donc défaut ici, c’est un contrôle centré sur les besoins des personnes, qui s’assure que leur prise en charge est conforme à la dignité humaine et au respect de leurs droits fondamentaux, dont elles ne peuvent être privées par leur séjour dans un lieu collectif. Le fait que l’autorisation d’exercer soit soumise à un agrément de l’autorité publique rend possible l’exercice d’un contrôle par une autorité administrative même dans une structure de droit privé.
Dans le rapport que la Défenseure des droits a consacré en avril 2021 aux droits fondamentaux des personnes accueillies en EHPAD, celle-ci a constaté que sur six ans, les saisines pour atteinte des droits du patient provenaient à 80 % de ces établissements.
Aussi, même si on doit s’interroger, comme l’a fait la mission d’information parlementaire BONNE-MEUNIER dans son rapport du 17 mars 2021 sur le modèle même des EHPAD et promouvoir une diversification des modes d’hébergement favorisant le maintien d’une autonomie partielle des personnes âgées, ce type d’institution reste nécessaire lorsque la dépendance est importante en fonction de la classification de la grille « Autonomie gérontologie groupes iso-ressources » qui mesure les six degrés de la perte d’autonomie. Cela rendra d’autant plus indispensable l’évaluation régulière de leur fonctionnement menée de manière indépendante sur la base de visites inopinées.
Quelles pourraient être les caractéristiques d’une surveillance proactive ?
La garantie que des dérives aboutissant à des négligences graves ou répétées ne se répètent pas réside dans le fait que ceux qui ont la responsabilité de ces structures et ceux qui y travaillent, se savent soumis à tout moment à une évaluation de leurs pratiques professionnelles au regard des exigences des droits fondamentaux.
C’est aussi, la possibilité donnée pour tout intéressé et notamment aux associations intervenant dans ce domaine d’alerter un organisme indépendant sur toute situation contraire aux droits humains et permettre un contrôle rapide, sur le terrain et non uniquement sur pièces, intégrant des auditions de résidents, de salariés et des membres de la famille et de tout autre intervenant.
Amener de la transparence dans la gestion de ces établissements en autorisant la publicité des rapports d’évaluation tout en respectant l’anonymat des personnes et le secret médical, conduirait à promouvoir aussi ce qui fonctionne dans de nombreux EHPAD et à diffuser un référentiel de bonnes pratiques.
Autrement dit, le scandale qui a éclaté autour du livre enquête de V. Castanet, devrait amener non à un simple renforcement des contrôles administratifs existants mais à la mise en place d’une véritable instance indépendante de contrôle qui serait composée pour partie de médecins et pouvant se déplacer sur site en y demeurant une durée suffisante.
En effet, ce n’est que sur plusieurs jours que la parole de ceux qui sont confrontés aux difficultés de la perte d’autonomie et de ceux qui les accompagnent, peut se libérer en étant mis en confiance et qu’il est possible aux contrôleurs d’appréhender précisément le climat qui règne dans l’établissement visité.
Le gouvernement ayant annoncé vouloir prendre des mesures rapides, le contrôle des EHPAD doit absolument être modernisé afin de garantir que toutes les prises en charge quel que soit le mode de gestion public, associatif ou commercial, soient conformes à la dignité des personnes âgées et au respect de leurs droits fondamentaux.