Non à la « fast-fashion » !
La montée en puissance de nombreuses enseignes dites de « fast‑fashion », ou « mode éphémère » (Shein, Temu…), est lourde de conséquences environnementales, sociales et économiques. La proposition de loi n°2129, visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, déposée à l’Assemblée nationale le 30 janvier 2024 sera débattue devant la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée le 7 mars.
Par Marie Malaurie-Vignal, Professeur à l’Université de Paris Saclay (Versailles-Saint-Quentin en Yvelines)
Quelles sont les nouveautés introduites par cette proposition de loi ?
La proposition de loi part du constat que le secteur de la mode est devenu l’une des activités les plus polluantes au monde avec l’essor de la fast fashion au début des années 2000 ». À l’échelle mondiale, l’industrie textile « génère désormais plus de gaz à effet de serre que les vols internationaux et le trafic maritime réunis, et consomme 4 % de l’eau potable du monde », selon le ministère de la Transition écologique (communiqué, 25 nov. 2022). Cette industrie est responsable d’environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre, sans compter les impacts multiples sur l’environnement en matière de pollution des sols et des eaux, et subséquemment en matière d’érosion de la biodiversité marine et terrestre. L’exposé des motifs de la proposition de loi signale d’ailleurs que le coton est la première culture consommatrice de pesticides, 20 % de la pollution des eaux est imputable à la teinture et au traitement des textiles et le lavage des vêtements synthétiques entraîne le rejet de microfibres plastiques.
La proposition de loi déposée par Antoine Vermorel-Marques, député LR de la Loire, a pour objectif de de mettre en place un système de bonus-malus sur les achats de vêtements en fonction de l’empreinte environnementale des marques, en s’inspirant de ce qui existe déjà dans la filière automobile avec des malus écologiques qui peuvent atteindre un pourcentage significatif du prix de vente d’un véhicule, afin de faire évoluer les pratiques des producteurs, mais aussi les comportements d’achat des consommateurs. Il est donc prévu une surtaxe (un malus) , « selon une trajectoire progressive, aboutissant à une pénalité maximale de 10 euros par produit en 2030 ». Afin d’assurer une concurrence plus équitable pour les entreprises respectant les normes environnementales, souvent françaises et européennes, les recettes générées par ces pénalités devraient permettre à l’éco‑organisme Refashion de financer la gestion de la collecte, du tri et du traitement des produits usagés et permettront de verser des primes (un bonus) aux entreprises engagées dans des démarches d’éco‑conception ou de réparation.
La proposition de loi vise aussi à renforcer l’information et la sensibilisation de l’internaute sur l’impact environnemental de la mode éphémère, ainsi que sur les possibilités de réemploi et de réparation des vêtements et accessoires à l’égard des entreprises de fast fashion, définies comme celles développant « des collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide. »
La proposition de loi interdit également toute publicité. On peut s’interroger sur la licéité d’une telle interdiction générale. Elle va beaucoup plus loin que l’interdiction du greenwashing », ou éco- blanchiment qui avait été introduit par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 (loi « climat et résilience ».)
Comment articuler cette proposition de loi avec le droit actuel ?
Le droit français soumet l’industrie textile à un certain nombre de contraintes environnementales. Dès 2009, la question des déchets issus du secteur de l’habillement a été appréhendée avec la mise en place de la filière « textiles, chaussures et de linges de maison » au titre de la responsabilité élargie des producteurs (REP). Ce régime, spécifique à la France, requiert que les producteurs et importateurs des textiles financent ou organisent la prévention et la gestion des déchets issus de ces produits en fin de vie. Ces obligations ont été renforcées avec la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi dite « AGEC). Cette loi prévoit un malus jusqu’à 20% du prix de l’article payé par le consommateur- ce qui est fort peu pour des articles de piètre qualité vendus à moins de 5 euros. Par ailleurs, la loi AGEC pose une nouvelle obligation d’information environnementale sur les produits soumis à la REP. Il est ainsi fait obligation à tout fabricant ou importateur de produits soumis au régime de mettre à disposition, sur un site internet, une « fiche produit » détaillant certaines informations sur le bien (C. envir., art. L. 541-9-1). Pour le secteur du textile, les fabricants et importateurs doivent notamment indiquer la quantité des matières recyclées incorporées aux produits et les lieux de tissage, couture et assemblage.
Pour autant, ces mesures sont insuffisantes. La proposition de loi, tout en s’inscrivant dans la continuité de la loi AGEC, renforce et précise les obligations. Elle renforce le malus (jusqu’à 10 euros par produit) et précise que ce malus dépend de l’impact environnemental et carbone des productions mais aussi d’une « pratique commerciale de collections vestimentaires et d’accessoires à renouvellement très rapide » – ce qui vise précisément la fast fashion. La proposition de loi renforce enfin l’obligation d’information environnementale (v. plus haut).
Cette proposition est-elle suffisante pour réduire l’impact environnemental de l’industrie textile ?
La proposition conduit à sanctionner les entreprises textiles qui produisent à très bas prix en inondant les marchés. Ace titre, elle s’inscrit bien dans une logique environnementale. Cependant, l’enjeu est de trouver un équilibre entre la préservation de la planète et l’accès à des vêtements abordables pour tous, sans pénaliser injustement certains consommateurs. Il faut donc accompagner les consommateurs soucieux des considérations environnementales. C’est l’objet du bonus de réparation textile et chaussures, mis en place en 2023, qui encourage la réparation plutôt que le remplacement. Une partie des frais de réparation est prise en charge par l’État (jusqu’à 60% du coût total de la réparation), afin de soutenir financièrement les consommateurs tout en réduisant l’impact environnemental de l’industrie de la mode.
Pour autant, il ne suffit pas de sanctionner par un malus , d’informer les consommateurs sur la composition des vêtements ou de financer la réparation. Il faut aussi développer l’économie circulaire pour limiter les déchets. La France par son Ministère de l’économie et l’Europe (EU strategy for sustainable and circular textiles) s’y attellent.