Meurtre de Louise : que dit le droit sur la non-dénonciation d’un crime ?
Un suspect a été arrêté dans le cadre du meurtre de la petite Louise, 11 ans, à Epinay-sur-Orge. Ses parents ainsi que sa petite amie ont été placés en garde à vue pour non-dénonciation de crime ou délit. Quelle est cette infraction ? Peut-elle s’appliquer à un membre de la famille ?
Par Charlotte Dubois, Professeur en droit privé à l’Université Paris-Panthéon-Assas
Qu’est-ce que le délit de non-dénonciation ?
L’histoire de l’infraction n’est pas glorieuse ! C’est pendant l’Occupation, plus précisément avec la loi du 25 octobre 1941, que l’infraction a été créée. L’idée était alors claire dans l’esprit des collaborateurs : lutter contre la Résistance et obliger la population à dénoncer les attaques dont elle aurait eu connaissance. Aujourd’hui, on trouve le délit à l’article 434-1 du Code pénal qui sanctionne « le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ». L’infraction trouve sa place dans un chapitre consacré aux atteintes à l’action de la justice, plus précisément dans les entraves à la saisine de la justice.
La non-dénonciation est un délit d’omission : l’infraction sanctionne la passivité de l’agent qui aurait dû porter le crime à la connaissance des autorités. Les conditions posées par le texte (doit être en jeu un « crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés ») éloignent le délit de la complicité. En effet, la complicité suppose un acte antérieur à l’infraction ou, à tout le moins, un acte qui a été l’objet d’une entente antérieure, là où la non-dénonciation peut n’intervenir que postérieurement au crime commis. De plus, la complicité suppose par principe un acte positif (une aide ou assistance, une provocation ou une fourniture d’instructions) ; ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la complicité par omission est admise. À l’inverse, on l’a dit, la non-dénonciation réprime une omission. Ainsi, les conditions de la complicité sont différentes de celles de la non-dénonciation. La répression est également distincte puisque le complice encourt la même peine que s’il avait été auteur (ainsi, le complice d’un homicide sur mineur de quinze ans encourt la même peine que l’auteur principal, soit la réclusion criminelle à perpétuité), alors que le délit de non-dénonciation est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Peut-on condamner un membre de la famille pour non-dénonciation ?
Le droit pénal connaît un système très particulier d’immunités familiales, hérité du droit romain. Les immunités, prévues pour certaines infractions, empêchent les poursuites ou la condamnation du proche parent de l’auteur de l’infraction. Elles peuvent être de deux types : d’ordre patrimonial (par exemple, le vol n’est pas réprimé entre proches parents) ou d’ordre moral. Les délits de recel de criminels ou encore d’omission de témoigner en faveur d’un innocent prévoient de telles immunités d’ordre moral.
Pour ce qui nous intéresse, l’article 434-1 du code pénal consacre une telle immunité morale au profit des « parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime » et du « conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ». Autrement dit, celui qui ne dénonce pas son enfant criminel, son frère criminel, son conjoint criminel, etc. ne tombe pas sous le coup de la loi. Cette immunité vise à permettre le jeu d’une solidarité familiale ; elle repose sur l’idée d’un devoir d’ordre moral d’entraide, d’assistance, entre proches parents. La famille doit être un refuge car elle est traditionnellement perçue comme un cercle protecteur au sein duquel l’autorité publique est largement rejetée.
Pourquoi l’immunité familiale ne s’applique-t-elle pas ici ?
Les proches parents du suspect du meurtre de Louise font pourtant l’objet d’une garde à vue prononcée sur le fondement de ce délit. Comment le comprendre ? En réalité, le champ d’application des immunités familiales n’est pas général. On constate même qu’il ne cesse de se restreindre au fil des évolutions législatives. C’est ainsi que, depuis la loi du 3 juin 2016, l’immunité ne joue pas en cas d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ou d’acte de terrorisme (article 434-2 du Code pénal). Pour ce qui nous concerne, l’article 434-1 du Code pénal exclut du bénéfice de l’immunité celui qui ne dénonce pas un crime sur un mineur. Là encore, on note une extension de la répression : auparavant, le bénéfice de l’immunité n’était écarté qu’en cas de meurtre sur un mineur de moins de 15 ans ; depuis une réforme de 2016, le proche parent doit dénoncer l’auteur d’un crime sur mineur, la victime aurait-elle plus de 15 ans. Dans l’affaire au cœur de l’actualité, la jeune Louise était âgée de 11 ans. On comprend ainsi pourquoi les parents et la compagne du suspect ne peuvent pas bénéficier de l’immunité familiale. On ne peut que saluer l’exclusion de cette immunité familiale dans une telle hypothèse : si la solidarité familiale est une valeur digne de protection, elle doit s’effacer devant des enjeux supérieurs, en particulier lorsqu’est en jeu un crime sur mineur.