Par Norbert Foulquier, Professeur à l’Université Paris Panthéon Sorbonne

Ces dérogations n’auraient pas été efficaces sans les aménagements également du droit de l’expropriation, de la réquisition, de l’assainissement, du domaine public, de la publicité extérieure, de la police de la circulation, de la location des logements estudiantins des CROUS, ou encore du droit de la construction sociale. Mais arrêtons-nous sur le droit de l’urbanisme qui, depuis le ZAN, concentre toutes les attentions.

Ces dérogations sont-elles nombreuses et originales ?

En réalité, la loi du 26 mars 2018 n’a créé que trois dérogations au droit de l’urbanisme. Preuve que celui-ci n’empêche pas les grands projets comme cela lui est reproché. Il faut dire que sur certains points, le législateur a aussi fait le choix de modifier le droit commun, comme par exemple, en autorisant que la décision qui valide le périmètre et le programme d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) approuve également l’aménagement et l’équipement de celle-ci, ce qui est un moyen de gagner du temps.

La première n’a rien d’extraordinaire puisqu’elle consiste à élargir la liste des constructions dites temporaires, qui de ce fait échappent à l’obligation de faire l’objet d’une autorisation d’urbanisme. Cet élargissement est double car, d’une part, il ouvre cette dispense à tous les constructions, installations et aménagements directement liés à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des Jeux ayant un caractère temporaire. D’autre part, sont considérés comme temporaires les projets devant être supprimés dans un délai de 18 mois et non pas seulement de 12 mois, comme le prévoient les articles L. 421-5 et R. 421-5 du code de l’urbanisme.

La seconde dérogation porte sur la procédure intégrée de modification des documents d’urbanisme. Elle n’est pas non plus originale Ce mécanisme existe depuis 2013 : il permet de modifier, rapidement, en une fois, l’empilement des documents (PLU, SCOT, documents de protection du patrimoine, plans environnementaux, plan de prévention des risques, SDRIF) quand ceux-ci s’opposent à la réalisation d’un projet entrant dans la liste des catégories (logement, industrie, etc.) que le législateur a estimées suffisamment d’intérêt général pour bénéficier de cette procédure qui est déjà dérogatoire au régime de l’évolution de ces documents. Jusqu’à présent, son champ d’application ne comprenait pas les équipements pour les JO. Le législateur n’a fait que les intégrer dans cette liste.

La troisième dérogation est certainement la plus originale. Il s’agit de la création du « permis à double état ».  Elle vise à organiser l’évolution des ouvrages nécessaires aux Jeux et ainsi à éviter qu’après la cérémonie de clôture, ils soient laissés à l’abandon, faute d’utilité : cette mutabilité facilitant évidemment leur financement. Alors qu’en principe, pour transformer un ouvrage en en changeant la destination (par exemple, d’hébergement à bureaux), le propriétaire doit obtenir une nouvelle autorisation, la loi du 26 mars 2018 permet qu’un même permis autorise un état provisoire du bâtiment, puis sa transformation dans son état définitif après les Jeux. Et comme c’est l’état définitif de l’ouvrage qui importe au regard du PLU, le permis, pour ce qui concerne l’état provisoire, peut bénéficier de dérogations aux règles d’urbanisme (par ex., celles relatives aux places de stationnement). C’est aussi le moyen pour ne pas à avoir à modifier le PLU de façon temporaire. Et pour éviter que le provisoire ne dure, la transformation du bâtiment dans son état définitif devra se réaliser dans les 3 ans à compter de la fin des Jeux Paralympiques.

Ces dérogations survivront-elles aux JO ?

Dit autrement, y aurait-il un risque de dépendance à ces dérogations ? Ces dérogations sont par nature provisoires car spécifiques aux Jeux. Mais cela ne signifie pas qu’elles ne laisseront pas des traces dans le droit commun de l’urbanisme. D’aucuns pourraient tirer argument de l’extension des constructions dites temporaires pour tenter de nouveau l’expérience de la suppression des autorisations d’urbanisme, mais ceux qui l’ont vécue au début des années 1970 savent qu’elle a été un échec. Quant à la procédure intégrée pour modifier les documents d’urbanisme, le législateur n’a pas attendu les JO pour en étendre le champ d’application.

En revanche, beaucoup souhaiteraient voir pérenniser et généraliser le permis à double état, car il a au moins deux mérites. Tout d’abord, il encourage à penser l’évolution des constructions dès leur conception, ce qui permet d’en augmenter la longévité, leur adaptabilité aux besoins de leur propriétaire, donc leur valeur et de faire l’économie de leur démolition-reconstruction en cas de changement d’utilisation. Ecologiquement, cette adaptabilité est évidemment un progrès. Juridiquement, ce permis à double état permet d’échapper aux procédures de changement de destination et garantissent au propriétaire qu’il pourra y procéder malgré une évolution du PLU.

Mais la généralisation du permis à double état, surtout si le délai entre les deux états est long – or, c’est ce que souhaitent les promoteurs immobiliers –, n’est pas évidente car elle priverait les communes ou les EPCI d’une part importante de leur pouvoir de faire évoluer leur PLU en fonction des besoins de la population, des nouveaux enjeux et du renouvellement de leurs choix politiques. Les excellentes solutions pour traiter l’éphémère et le temporaire peuvent en effet devenir malheureuses pour gérer le pérenne, si la greffe n’est pas bien pensée.