Par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR à l’Université de Strasbourg

Qu’est-ce que le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) ?

Le HCSF est l’autorité macroprudentielle française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. Les dispositions législatives relatives au Haut Conseil de stabilité financière figurent aux articles L. 631-2 et suivants du Code monétaire et financier.

Ces dernières années, le HCSF a publié deux recommandations cherchant à éviter une « surchauffe » sur le marché du crédit immobilier à une période où les taux d’intérêts étaient bas (Recomm. n° R-HCSF-2019-1 du 20 déc. 2019. – Recomm. n° R-HCSF-2021-1 du 27 janv. 2021). Ainsi, depuis la seconde recommandation, il est demandé aux prêteurs, en matière de crédits immobiliers, de respecter un taux d’effort de 35 % (contre 33 % en 2019), avec la possibilité cependant de s’en écarter dans 20 % des dossiers tous les 3 mois. Le HCSF prohibe également les crédits dont la durée de remboursement dépasse 25 ans (sauf projet de construction ou d’achat sur plan, avec un prêt pouvant aller sur 27 ans pour couvrir la période de travaux).

Par la suite, le Haut Conseil de stabilité financière a décidé de reprendre ces mêmes exigences dans une décision juridiquement contraignante, adoptée sur le fondement du 5° de l’article L. 631-2-1 du Code monétaire et financier (Décis. n° D-HCSF-2021-7 du 29 septembre 2021 relative aux conditions d’octroi de crédits immobiliers). En procédant de la sorte, le HCSF a chargé l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de contrôler (et éventuellement de sanctionner) la bonne mise en œuvre de cette décision et des exigences qu’elle comprend. Les règles en question sont ainsi devenues des normes juridiquement contraignantes pour les établissements prêteurs.

Si, depuis ce dernier texte, quelques légers ajustements ont été opérés (HCSF, déc. n° D-HCSF-2023-2, 29 juin 2023. – HCSF, communiqué, 4 décembre 2023), force est de constater que les exigences dégagées par le Haut Conseil de Stabilité financière font régulièrement l’objet de critiques, et plus particulièrement la limite du taux d’effort à 35 %.

Que prévoyait, à l’origine, la « proposition de loi Causse » ?

Une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale le 23 janvier 2024, par plusieurs députés et notamment M. Lionel Causse, afin de compléter utilement le droit applicable. D’une part, ce texte projetait de compléter la composition du HCSF d’un député et d’un sénateur. Une telle présence était présentée comme de nature à renforcer les discussions autour des mesures à privilégier et, partant, l’aspect démocratique du processus d’adoption de ces dernières. D’autre part, et surtout, l’article 2 de la proposition de loi visait à encadrer le pouvoir du HCSF d’élaborer des normes macroprudentielles, en facilitant l’accès au crédit aux personnes ne présentant pas un risque d’endettement excessif. L’idée était alors de permettre aux établissements prêteurs de s’affranchir de la règle du taux d’effort de 35 % lorsqu’ils étaient en mesure de démontrer que les concours concernés ne présentent pas de risque d’endettement excessif.

La charge de la preuve aurait ainsi pesée sur les établissements prêteurs qui auraient pu démontrer l’absence de « risque » lié au crédit en s’appuyant sur différents calculs utiles, et notamment le « reste à vivre » du bénéficiaire du concours.

Quel est finalement le contenu du texte en voie d’adoption ?

La proposition de loi précitée a encouragé l’exécutif à s’associer à cette idée de faire évoluer les textes applicables au HCSF (M. Heilmann, Crédit immobilier : Bruno Le Maire favorable à une réforme du HCSF : Les Échos, 13 mars 2024, p. 27). Le mercredi 10 avril 2024, la commission des Finances de l’Assemblée nationales a cependant notablement modifié cette proposition de loi (Th. Madelin, Crédit immobilier : les députés mettent la pression sur la Banque de France : Les Échos, 11 avr. 2024, p. 26). En effet, les députés ont introduit un amendement de nature à neutraliser les objectifs de la réforme envisagée.

Plus précisément, le nouveau texte indique que « le HCSF, en fixant les conditions d’octroi de crédit, devra veiller à préserver la capacité du système financier à assurer une contribution soutenable à la croissance économique ». Surtout, « sur proposition du gouverneur de la Banque de France, il devra fixer les conditions dans lesquelles les banques pourront déroger à ces décisions, en tenant compte des variations d’offre et de demande de crédit ». Ce pouvoir donné au Gouverneur de la Banque de France, pourtant largement hostile à toute réforme à l’égard du HCSF (Crédit immobilier : le gouverneur de la Banque de France opposé à un changement des règles : MoneyVox et AFP, 16 mars 2024), est de nature à vider d’une partie de sa substance l’objectif initial de la proposition de loi.

L’évolution envisagée ne devrait pas donc pas changer notablement les pouvoirs du HCSF en matière de crédit immobilier. Ce résultat est, en conséquence, bien décevant. On notera d’ailleurs que les associations professionnelles de courtiers qui s’étaient associées au projet de réforme dans sa version originaire ont dénoncé le texte finalement modifié.

Quid de la présence d’un député et d’un sénateur ? Cette idée n’est pas, pour sa part, remise en cause, mais elle doit faire l’objet d’une consultation de la Banque centrale européenne (BCE). Quant au texte lui-même, il sera soumis au vote, en séance plénière, le 29 avril prochain. Il sera ensuite soumis au Sénat. Dès lors, si des modifications sont encore possibles avant l’adoption définitive de ce texte, on peut penser que tout retour à la version initiale de la proposition est aujourd’hui bien peu vraisemblable…