Vers un « pacte de non-censure » ?
La proposition d’un pacte de non-censure est largement évoquée alors que le gouvernement de Michel Barnier a été renversé par une motion de censure déposée par La France Insoumise et adoptée le 4 décembre dernier par 331 députés. Décryptage.
Par La rédaction.
Qu’est-ce qu’un pacte de non-censure ?
Trois mois après sa nomination, Michel Barnier a remis sa démission au Président de la République après le vote de la motion de censure par les députés de l’Assemblée nationale, lequel en « a pris acte ».
Afin d’éviter que cette situation ne se reproduise trop souvent à l’avenir et pour garantir une stabilité politique, l’idée d’un « pacte de non-censure » semble faire son chemin : les députés approuvant cet accord s’engageraient à ne pas censurer le gouvernement en place et à chercher des compromis.
Quelle serait la valeur juridique d’un tel accord ?
Pour Armel Le Divellec, Professeur de droit public à l’Université Paris Panthéon-Assas « un pacte de non-censure relève en réalité du comportement politique ; juridiquement, cela ne vaut rien. Un député est libre de voter une motion de censure ». Le Professeur souligne qu’il s’agirait d’un « accord très précaire ».
Jean-Pierre Camby, Enseignant à l’université de Versailles Saint-Quentin, ajoute que « malgré l’emprunt au langage juridique (on peut parfois lire qu’il s’agirait d’un contrat à durée déterminée), il n’y a aucune portée juridique. Cet accord aura une portée morale qui ne vaudra que tant que ses signataires décideront de le respecter. » Il poursuit son propos en s’interrogeant : « Quelle serait d’ailleurs la sanction en cas de non-respect de l’accord, sur quels textes, ou quelle composition du gouvernement porterait-elle ? » Il conclut : « Et que se passerait-il si des parlementaires changeaient de groupe politique ou se désolidarisaient d’une décision au cours de cette « durée déterminée » ? »
Enfin, Denys de Béchillon, Professeur de droit public à l’Université de Pau et membre du Club des juristes, rappelle que l’article 27 de la Constitution dispose que « Tout mandat impératif est nul ». Le Professeur explique que « c’est l’idée selon laquelle chaque député est un représentant de la nation, qui dispose de son autonomie de jugement et doit pouvoir la conserver ». Selon Denys de Béchillon, « s’il devait y avoir un pacte collectif, cela ne pourrait être ni contraignant en fait, ni en droit. On ne peut contraindre un député à quoi que ce soit dès lors qu’il doit conserver une autonomie de décision pleine et entière ». In fine, « cet accord aurait une signification politique profonde, mais pas juridique ».
Le pacte de non-censure a-t-il déjà fait ses preuves à l’étranger ?
Les pays nordiques, traditionnellement, peuvent avoir recours à cette forme de pacte pour garantir une meilleure stabilité politique. Le Professeur Armel Le Divellec rappelle qu’en 2019, « la Suède a trouvé une issue à la crise politique que le pays traversait à la suite des élections législatives de septembre 2018 avec un accord de ce type ».
En effet, le Premier ministre Stefan Löfven avait réussi à former un gouvernement grâce à un compromis entre les principaux partis. À l’époque, le parti social-démocrate était largement minoritaire. Toutefois, pour adopter la loi de finances, les sociaux-démocrates et les Verts avaient conclu un accord avec les partis libéraux, centristes et de gauche.
Le Professeur Armel Le Divellec souligne « qu’il ne s’agissait pas d’un accord de participation, mais simplement de soutien au gouvernement ». Il ajoute que ce type d’accord « suppose une véritable volonté des groupes » et « ne peut pas durer toute une législature ».
Pour conclure ses propos, le Professeur Le Divellec souligne qu’il faudrait « tordre le cou à l’idée que, parce que le Président de la République nomme le Premier ministre, il détermine les contours de la coalition. En réalité, les groupes parlementaires de l’arc central peuvent tout à fait choisir de prendre une initiative et la présenter au Président de la République en vue de mettre fin à cette crise. Si les groupes, se mettant d’accord, réunissent la majorité absolue des sièges, ils auraient le moyen, de facto, d’imposer une formule de gouvernement, voire même un Premier ministre au Président de la République ».