Par Sophie Corioland, maître de conférences à l’Université polytechnique Hauts-de-France, co-directrice de l’Institut d’études judiciaires de Valenciennes.

De quoi exactement est accusée la députée, et quels sont les soupçons pesant sur elle ?

Procédons à un rapide décryptage à la lumière des éléments dont la presse s’est fait l’écho. En 2017, Sophia Chikirou, conseillère en communication, est nommée directrice de campagne du candidat Mélenchon, dont elle est proche. En parallèle, elle est aussi à la tête d’une société de communication Médiascop, créée en 2011, dont elle est la cofondatrice et l’unique actionnaire. Or, c’est en raison de cette double casquette – qu’on pourrait considérer comme un conflit d’intérêts – qu’elle est aujourd’hui sommée de rendre des comptes.

On rappellera pour mémoire que ce financement est dans le viseur des enquêteurs depuis plusieurs années et a donné lieu à divers actes d’investigation, notamment des perquisitions pour le moins houleuses au siège du parti politique du mouvement et au domicile de certains de ses membres dès 2018 (Perquisitions chez Jean-Luc Mélenchon et au siège de la France insoumise).

En effet, en sa qualité de conseillère en communication du candidat à l’élection présidentielle, Mme Chikirou a fait réaliser diverses prestations de communication par le biais de sa société. Elle est soupçonnée, en sa qualité de dirigeante de Médiascop, d’avoir largement surfacturé celles-ci afin de se les faire rembourser par l’État. Au total, la facture acquittée par LFI s’élèverait à plus d’un million d’euros pour la campagne de 2017. Sur le plan matériel, les soupçons sont étayés par différents éléments : d’une part, ils reposent sur une analyse des marges réalisées par sa société qui semble démontrer que lesdites marges sont bien supérieures à celles pratiquées par les autres professionnels du secteur (Pourquoi la justice enquête sur la députée LFI Sophia Chikirou) ; d’autre part, il ressort des investigations que Mme Chikirou s’est reversée l’essentiel des bénéfices réalisés par sa société cette année-là, sous forme de prime ou de dividendes, ce qui lui a permis de s’enrichir personnellement.

Ces agissements sont-ils constitutifs d’une escroquerie ?

L’escroquerie consiste « soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, [à] tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » (C. pén., art. 313-1). Lorsque ces faits sont commis avec une circonstance aggravante, les peines encourues sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende (C. pén., art. 313-2).

De façon schématique, l’escroquerie suppose la commission d’actes intentionnels en vue de parvenir à la remise d’un bien par la victime. Les manœuvres ou procédés employés peuvent être très variés, pourvu qu’ils ne consistent pas en de simples omissions, comme des mensonges ou des réticences. Le plus souvent, ils seront caractérisés par l’intervention d’un tiers, une mise en scène ou la production de documents écrits (C. MASCALA, Rép. Pénal Dalloz, « Escroquerie » ; pour un exemple ancien de condamnation reposant sur la production d’une facture majorée ou fictive, voir Crim. 18 avril 1858, Bull. crim. n° 312). Cette relative imprécision permet aux juges de retenir le délit d’escroquerie assez facilement. Quant au bien remis, le texte permet également d’appréhender une multitude de situations – la formule « bien quelconque » n’étant que peu circonscrite – bien qu’il s’agisse fréquemment de sommes d’argent.

Que risque-t-elle ?

Dans l’affaire qui nous occupe, il est reproché à Mme Chikirou d’avoir délibérément sur-facturé diverses prestations comme la mise en ligne de discours ou un projet de livre (manœuvres frauduleuses), ce qui aurait permis à la société de se faire remettre indûment d’importantes sommes d’argent (bien remis) par LFI – il est question de plus d’un million d’euros – ensuite remboursées par l’État, conformément au dispositif de financement des campagnes électorales.

En conséquence, après ce rapide examen des faits (et sous réserve qu’ils soient avérés), Sophia Chikirou pourrait bien être mise en examen pour escroquerie aggravée.

Désormais députée, son statut d’élue de la République complexifie toutefois la procédure. En effet, aucune arrestation ni aucune autre mesure privative ou restrictive de liberté (comme une mesure de contrôle judiciaire, par exemple) ne pourrait être décidée par la Justice sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée, conformément au régime de l’inviolabilité des députés en exercice (Constitution, art. 26). Une telle disposition implique qu’avant de pouvoir exécuter certains actes procéduraux, comme une garde à vue, par exemple, le bureau de l’Assemblée nationale serait amené à se prononcer. La violation de ces règles est prescrite à peine de nullité des opérations. Un refus, paralysant les poursuites, est donc tout à fait possible. Deux précisions peuvent alors être apportées. D’une part, si refus il y a, il ne peut durer que le temps du mandat du parlementaire, l’inviolabilité n’étant pas perpétuelle. D’autre part, le domaine d’application de cette autorité préalable demeure limité, puisque les crimes et délits flagrants en sont exclus, tout comme les condamnations, et ne sont visés que les seuls actes procéduraux privatifs ou restrictifs de liberté.

Une procédure complexifiée mais non paralysée. Affaire à suivre donc…