L’article 49, alinéa 3, de la Constitution dans le viseur de la Commission de Venise ?
Lors de sa 143ème session plénière, la Commission de Venise a adopté un avis sur l’article 49, alinéa 3, de la Constitution française. Compte tenu des polémiques qu’a pu susciter en France l’utilisation de la procédure qu’il met en place, il n’est pas sans intérêt d’examiner attentivement le contenu de cet avis.
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Par Corinne Luquiens, Secrétaire général honoraire de l’Assemblée nationale, ancienne membre du Conseil constitutionnel.
Quel est le rôle de la Commission de Venise et comment a-t-elle été saisie ?
La Commission européenne pour la démocratie par le droit – dite Commission de Venise – est une instance consultative créée en mai 1990 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, après la chute du mur de Berlin, afin notamment d’assister les pays du bloc soviétique à se doter de système légal et constitutionnel démocratique. Comprenant aujourd’hui 61 membres, dont 15 extérieurs au Conseil de l’Europe, elle s’est progressivement transformée en un organe dont le rôle, selon ses statuts, est de promouvoir l’Etat de droit et la démocratie et d’examiner les problèmes posés par le fonctionnement, le renforcement et le développement des institutions démocratiques. Les membres de la Commission de Venise sont, le plus souvent, des juges constitutionnels, des magistrats ou des professeurs de droit. Nommés par le Gouvernement de leur pays, ils en sont cependant indépendants. Outre diverses activités de coopération et l’attention particulière qu’elle porte sur le bon déroulement des élections, la Commission peut être consultée, notamment, par les pays eux-mêmes ou par divers organes statutaires du Conseil de l’Europe. Elle ne peut, en revanche s’autosaisir.
S’agissant de l’avis qui vient d’être rendu, la Commission de Venise a été saisie le 28 avril 2023 par le président de la Commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à l’initiative de parlementaires français de l’opposition, « sur la pratique établie permettant au Gouvernement de forcer l’adoption d’un projet de loi sans vote à l’Assemblée nationale, sauf si celle-ci adopte une motion de censure ». On ne peut manquer d’observer que cette saisine faisait suite à l’adoption, après usage de l’article 49-3, de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme des retraites. Il faut ajouter qu’elle intervenait également après l’examen de cette loi par le Conseil constitutionnel, lequel avait notamment eu à se prononcer sur l’utilisation de l’article 49-3.
La Commission de Venise a pris en compte ces circonstances particulières. D’abord, elle a désigné sept rapporteurs, contre trois habituellement, et elle a choisi des personnalités aussi incontestables que possible. Surtout, elle n’a pas souhaité se prononcer en plein cœur de la polémique qui faisait encore rage en France. Après avoir rendu un avis intérimaire en juin 2023, elle a décidé de procéder à une étude comparative de procédures similaires pouvant exister dans d’autres Etats membres. Son avis final n’a donc été rendu que plus de deux ans après sa saisine.
La Commission émet sur la procédure un avis nuancé mais ne la condamne pas en elle-même
L’avis relève d’abord que la procédure de l’article 49, alinéa 3, a été introduite dans la Constitution pour remédier à l’instabilité gouvernementale qui affectait la IVème République et faciliter l’adoption de lois importantes pour la politique que souhaite conduire le Gouvernement en cas de majorité incertaine. Tout en affirmant que la pierre angulaire de la démocratie est la participation de la population, par l’intermédiaire de ses représentants, à l’élaboration de la loi au travers de débats et de l’examen d’amendements émanant de la majorité comme de l’opposition, la Commission observe cependant qu’il existe divers mécanismes dans la plupart des régimes parlementaires permettant aux Gouvernements de contraindre une majorité réticente ou fragmentée à adopter un texte. Elle analyse les différents mécanismes de questions de confiance qui peuvent exister mais souligne que le système français est pratiquement unique en ce qu’il permet, lorsque le Gouvernement engage sa responsabilité sur le vote d’un texte, que celui-ci soit adopté sans vote, sauf si une motion de censure est adoptée.
Il faut, à cet égard, rappeler que, sous la IVème République nombre de gouvernements n’ont eu d’autre choix que de se retirer, sans y être constitutionnellement contraints, parce que l’Assemblée nationale, sans choisir de les renverser, rejetait un texte sur lequel ils avaient posé la question de confiance. L’article 49-3 lie, au contraire, l’adoption d’un texte à la responsabilité du Gouvernement afin d’obliger les députés à la cohérence. Si le Gouvernement indique à l’Assemblée nationale qu’il juge l’adoption d’une loi essentielle pour la conduite de sa politique, ceux-ci doivent clairement choisir entre le rejet du texte, entrainant la démission du Gouvernement, ou son maintien en fonction, qui a pour conséquence l’adoption du texte, sans vote explicite sur celui-ci.
Dans son avis, la Commission de Venise souligne d’abord que l’article 49-3 ne peut être mis en œuvre que devant l’Assemblée nationale, ce qui implique que le texte sur lequel il a été invoqué doit bien être voté par le Sénat. Par ailleurs, elle observe que la procédure n’est applicable que lors de l’examen en séance publique, le texte ayant auparavant fait l’objet d’un examen et d’un vote par la commission à laquelle il a été préalablement renvoyé. Elle relève, enfin, que l’article 49-3 n’est pas nécessairement enclenché dès la première lecture. Elle en conclut que son usage « n’entraine pas l’effacement mais une réduction potentiellement significative du contrôle du Parlement sur le contenu de la loi ». En conséquence, elle ne condamne pas la procédure elle-même et juge « qu’elle n’est pas en soi contraire aux principes d’un Etat démocratique, en particulier, au principe de la primauté du pouvoir législatif ».
La commission estime cependant que la procédure devrait faire l’objet d’aménagements pour éviter qu’il n’en soit fait un usage excessif…
La Commission juge d’abord que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel reste limité au strict respect de la procédure de l’activation de l’article 49-3, « ce qui limite la garantie de primauté du pouvoir législatif ». Elle l’incite à contrôler l’usage de la procédure au regard du principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire Néanmoins, le respect de la hiérarchie des normes, qui est le fondement même de l’Etat de droit, ne saurait permettre au Conseil, face à une disposition qui ne prête pas à interprétation, d’ajouter au texte même de la Constitution, pour la mise en œuvre d’une procédure, des conditions qu’elle n’a pas prévues.
Ainsi, la suggestion de la Commission de prévoir que l’article 49-3 ne puisse être invoqué qu’après la discussion générale pour permettre aux groupes politiques de présenter leurs arguments en séance publique, impliquerait une révision de la Constitution.
Il conviendrait également de la modifier pour exclure la possibilité de combiner l’application de l’article 49-3 avec la procédure particulière d’examen des lois de finances. Mais c’est parce que ces textes apparaissent essentiels pour la conduite de la politique du Gouvernement que le Constituant, en juillet 2008, alois qu’il limitait la possibilité pour le Gouvernement de faire usage de l’article 49-3 à un texte par session, a exclu les lois financières de cette limitation.
Il n’a pas davantage, lors de cette même révision, jugé utile, comme le suggère la Commission, de n’autoriser l’engagement de l’article 49-3 que pendant les sessions ordinaires.
On peut, en définitive, s’interroger sur l’opportunité de saisir la Commission de Venise sur une procédure constitutionnelle en vigueur depuis 67 ans et qui n’a été modifiée, il y a déjà 17 ans, que pour être mieux encadrée. Il ne fait pas de doute que son avis peut être précieux dans le cours d’une procédure d’élaboration d’une réforme constitutionnelle mais il apparait plus discutable s’agissant de dispositions constitutionnelles en vigueur.
En dépit des critiques qui leur sont parfois faites, il est pleinement justifié que les cours constitutionnelles censurent des dispositions législatives qu’elles jugent contraires à la Constitution, dès lors qu’il s’agit de faire respecter la hiérarchie des normes. Mais il en va différemment lorsque c’est l’autorité même de la Constitution qui est remise en cause. La légitimité d’un avis, autre que de doctrine, sur un texte dont les conditions d’élaboration et de révision, au moins en France, exprime la souveraineté même de la Nation, semble beaucoup plus contestable.