La limitation des mandats présidentiels dans le temps : respiration démocratique ou restriction de la liberté électorale ?
Par Anne-Charlène Bezzina – Maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen – Membre du CUREJ de Rouen – Membre associée de l’IRJS de Paris I
Après que dans un entretien au Figaro, l’ancien Président de l’Assemblée nationale R. Ferrand ait déclaré regretter « ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire : la limitation du mandat présidentiel dans le temps … », une polémique a suivi autour de l’opportunité de limiter ou non le mandat présidentiel dans le temps. Une telle réforme pourrait-elle s’appliquer au mandat de l’actuel Président et à quelles conditions ? Retour sur les conditions constitutionnelles d’un retour en arrière peu probable au vu de l’état actuel des forces politiques parlementaires et de l’orientation de l’opinion publique.
Comment la Constitution organise-t-elle le mandat présidentiel et sa limitation dans le temps ?
Le mandat correspond à la durée maximale d’exercice d’une fonction élective. Dans toutes les grandes démocraties, le régime du mandat présidentiel résulte directement de la Constitution.
Il est déterminé en France par l’article 6 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui, dans sa version initiale, disposait que le Président de la République était élu pour sept ans – le septennat – sans indication de nombre maximum de mandats. La Constitution de la Vème République reprenait en cela une tradition perpétuée depuis une loi du 20 novembre 1873 qui avait établi le septennat par défaut afin d’attendre le décès du Conte de Chambord, sous la présidence de Patrice de Mac Mahon, afin de faciliter le choix d’un successeur entre les branches légitimiste et orléaniste de la monarchie française.
Le 2 juin 2000, une première réforme constitutionnelle menée en période de cohabitation fit passer par référendum le mandat du Président de la République de 7 à 5 ans – le quinquennat – avant que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 ne vienne limiter le nombre de mandats présidentiels à « deux mandats consécutifs ». Sous la Vème République, aucun Président n’est, en pratique et sans y avoir été contraint, allé au-delà de deux mandats consécutifs (seuls F. Mitterrand et J. Chirac ont accompli deux mandats).
À ce jour, compte tenu de ces deux réformes successives, la durée maximale du mandat d’un Président de la République est donc de dix ans.
La réflexion sur le renouvellement des mandats est très actuelle puisqu’en 2018, le projet de réforme des institutions de la majorité présidentielle proposait un non-cumul des mandats dans le temps (limité à trois) pour les parlementaires.
Le Président de la République en titre pourrait-il exercer un troisième mandat ? Faut-il nécessairement passer par une modification de la Constitution ?
Pour revenir à une non-limitation des mandats successifs dans le temps du Président de la République, il faudrait nécessairement passer par une réforme constitutionnelle pour modifier l’article 6 de la Constitution.
À cette fin, une seule procédure est prévue par la Constitution, celle de l’article 89, qui se déroule en trois phases :
- La phase d’initiative, qui peut être soit présidentielle sur proposition du Premier ministre, soit parlementaire,
- La phase de discussion, où les deux assemblées doivent voter le texte de la réforme dans les mêmes termes,
- Et la phase de ratification, qui se décline en deux procédures : la procédure normale par la voie d’un référendum auprès des Français et la procédure exceptionnelle impliquant la réunion des deux assemblées du Parlement en Congrès à Versailles (soit les 577 députés et les 343 sénateurs) votant à une majorité des 3/5ème des suffrages exprimés.
Aussi, pour rétablir la non-limitation des mandats présidentiels dans le temps, il faudrait nécessairement parvenir à faire s’entendre les deux assemblées sur un tel projet, à moins que le Président de la République décide de passer directement par la voie d’un référendum de l’article 11 de la Constitution, ce que le Général de Gaulle n’a pas hésité à faire deux fois sous la Cinquième République (en 1962, précisément pour modifier l’article 6 de la Constitution pour faire élire le Président de la République au suffrage universel direct et en 1969) alors même que cette procédure n’est pas respectueuse des formes constitutionnelles.
Quant à l’application d’une telle réforme pour une éventuelle troisième candidature d’Emmanuel Macron, si et seulement si cette réforme constitutionnelle était votée avant la fin de l’actuel mandat du Président, ce dernier pourrait se représenter dès 2027, bénéficiant de l’application du principe général du droit suivant lequel les lois nouvelles régissent les situations juridiques nouvelles. Le nouveau mandat issu de la nouvelle élection serait placé sous le régime juridique de la nouvelle version de la Constitution.
Quels sont les arguments en faveur et en défaveur de cette limitation de la durée du mandat présidentiel dans le temps ?
La déclaration de R. Ferrand laisse entendre que cette modification de la Constitution de 2008 aurait limité « la libre expression de la souveraineté populaire ».
Pourtant, N. Sarkozy avait présenté la réforme du mandat en des termes favorables au renouvellement démocratique, en considérant que « l’énergie que l’on met à durer, on ne la met pas à agir » (Discours d’Épinal du 12 juil. 2007) ; la réforme s’inspirait directement du modèle américain où les mandats présidentiels sont limités à deux.
Aujourd’hui encore, cette limitation temporelle des mandats semble être privilégiée. Ainsi, l’organe du Conseil de l’Europe dédié à la surveillance de l’État de droit, la Commission de Venise dite de la « démocratie par le droit », a considéré dans ses recommandations que les réformes constitutionnelles visant à revenir sur les limitations temporelles de mandat constituent de véritables régressions démocratiques. En effet, en droit comparé, la révision de la Constitution pour parvenir au rallongement du mandat présidentiel applicable aux Présidents en titre a été majoritairement utilisée par des régimes autocratiques, donnant ainsi une mauvaise image aux réformes constitutionnelles d’application immédiate (cf. les exemples récents de la Turquie et la Russie).
À l’inverse, dans l’histoire constitutionnelle française, la limitation dans le temps du nombre de mandats présidentiels a paradoxalement favorisé les coups d’États (cf. l’exemple de la Constitution de la IIème République qui limitait le mandat du président à un seul qui conduisit au coup d’État de Napoléon III). Dans le même sens, une telle restriction est parfois considérée comme limitant la liberté du vote (c’est le sens des propos de R. Ferrand pour s’opposer à la limitation des mandats parlementaires) et privant les électeurs de la possibilité d’élire sur une longue durée de grandes personnalités politiques (comme ce fut le cas sous la 3ème République d’un Gambetta ou d’un Clémenceau).
En définitive, cette question mériterait sûrement de faire partie du débat sur la réforme des institutions bien qu’elle puisse être perçue comme un retour en arrière au vu de l’état de l’opinion concernant le renouvellement de la vie politique et parlementaire (près de 90% des Français étaient favorables à la limitation dans le temps du mandat parlementaire en 2018).