La chute du gouvernement Barnier. Et après ?
L’adoption de la motion de censure, le 4 décembre 2024 (331 suffrages pour 288 requis) a conduit, le lendemain, le Premier ministre Michel Barnier, en application de l’article 50 de la Constitution du 4 octobre 1958, « à remettre au Président de la République la démission du Gouvernement ». En insistant sur le caractère exceptionnel de la situation (jusqu’ici l’unique précédent remontait au 5 octobre 1962 avec le renversement du gouvernement Pompidou) il convient ici de s’interroger sur les suites institutionnelles et politiques.
Par Jean-Eric Gicquel, Professeur à l’Université de Rennes
Combien de temps le gouvernement Barnier pourrait-il rester en place ?
L’article 50 de la Constitution fixe une obligation expresse (le Premier ministre « doit remettre » sa démission ») tout en restant muet sur les considérations temporelles. L’esprit de la règle veut que la remise de cette démission intervienne le plus rapidement possible – soit dans les 24 heures suivantes. En remontant dans le passé, on notera que suite à l’adoption de la motion de censure le 5 octobre 1962 à 4h 45 du matin (JOAN, déb., 2e séance du 4 octobre 1962, p. 3258), la démission du Gouvernement a été remise au Général de Gaulle le 6 octobre à 11 heures étant précisé qu’elle avait été retardée en raison de l’absence du chef de l’Etat à Paris le 5 octobre (P. Viansson-Ponté, « La chute du ministère Pompidou entraînera la dissolution de l’Assemblée », Le Monde, 6 octobre 1962. La comparaison s’arrête là. Chacun sachant que le Général de Gaulle décida de dissoudre l’Assemblée nationale le 10 octobre 1962, le Gouvernement Pompidou resta concrètement en fonction jusqu’au 28 novembre 1962, une fois passées les élections législatives de 18 et 25 novembre pour être ensuite reconduit. Il en ira différemment dans la présente séquence principalement en raison de l’impossibilité de prononcer la dissolution du Palais Bourbon jusqu’en juillet 2025.
Une période de transition pourrait-elle durer plusieurs mois ?
Tout dépendra ici de l’aptitude politique du président de la République à pouvoir nommer, dans un délai raisonnable, un nouveau Premier ministre puis, sur la proposition de celui-ci, les membres du Gouvernement (art. 8 al. 1 de la Constitution) en capacité de travailler avec une Assemblée nationale morcelée entre plusieurs blocs et qui vient de démontrer sa capacité (que d’aucuns pensait virtuelle depuis 1962) à renverser un Gouvernement. La situation risque d’être d’autant plus tendue que soumis pendant 62 ans à une V° République leur imposant des corridas institutionnelles sans mise à mort, les députés viennent de reprendre goût au sang.
Sur le strict plan du droit, rien n’interdirait une reconduction de Michel Barnier mais, nul besoin d’être un grand expert de la chose publique, pour se rendre compte qu’une telle opération serait très hasardeuse politiquement car constituant un casus belli pour l’Assemblée nationale. En tout état de cause, à l’instar de la séquence de juillet-septembre 2024, on pressent les difficultés à trouver le bon profil du nouveau locataire de Matignon (au bail de plus en plus précaire) au vu des différences exigences, résistances et blocages des groupes parlementaires. Cette quête risque de nécessiter de longues journées et pourquoi pas quelques semaines.
Le gouvernement Barnier peut-il gérer les affaires courantes à l’instar du gouvernement Attal ?
En attendant son remplacement officiel, le Gouvernement Barnier assurera l’expédition des affaires courantes. L’usage établi sous la IV° République a été maintenu sous la V°. Ainsi, comme l’a énoncé le Conseil d’Etat en 1962, il résulte d’« un principe traditionnel du droit public » que « le Gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu’à ce que le Président de la République ait pourvu par une décision officielle à son remplacement, pour procéder à l’expédition des affaires courantes » (Ass. 19 octobre 1962, Brocas, Rec. 553). En conséquence, la durée de cette période dépendra de la célérité avec laquelle le Président de la République sera en capacité de trouver la perle rare susceptible d’obtenir, à défaut du soutien de l’Assemblée nationale, au moins la signature d’un pacte provisoire de non-agression.