Dissolution : des problèmes juridiques pourraient-ils conduire à annuler ou reporter les législatives ?
Le décret n°2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale les 30 juin et 7 juillet prochains pose des problèmes juridiques, notamment de respect des délais. Mais sont-ils de nature à provoquer l’annulation ou le report des élections législatives ?
Par Romain Rambaud, Professeur à l’Université Grenoble Alpes
Le non-respect des dispositions du code électoral dans le cadre des élections législatives anticipées pose-t-il problème, comme on a pu le voir soutenu ici ou là ?
En effet, certains juristes ont rapidement fait valoir que des élections législatives organisées les 30 juin et 7 juillet poseraient des problèmes, en tant que le délai prévu par le code électoral pour le dépôt des déclarations de candidatures à l’article L. 157 ne pourrait pas être respecté : « Les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin ». En réalité, c’est le décret de convocation des électeurs, adopté sur le fondement de l’article 12 de la Constitution qui prévaut, notamment en matière de dates de dépôt de candidatures ou de campagne électorale. Ce point a déjà été jugé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 juin 1981, n° 81-1 ELEC, Delmas, considérant que les « dispositions de nature constitutionnelle prévalent nécessairement, en ce qui regarde les délais assignés au déroulement de la campagne électorale et au dépôt des candidatures, sur les dispositions législatives du code électoral, qui d’ailleurs, ne concernent point le cas d’élections consécutives à la dissolution de l’Assemblée nationale ; que les termes des décrets du 22 mai 1981 ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 12 de la Constitution et ne comportent pas de prescriptions de nature à porter atteinte à la liberté et à la sincérité du scrutin ». Il a confirmé cette solution dans une décision du 4 juin 1988, n° 88-5 ELEC, Gallienne et autres… Il avait été à l’époque saisi notamment par Jean-Marie Le Pen. Cet argument ne peut donc pas être retenu.
Existe-t-il cependant des risques concernant les dates des 30 juin et 7 juillet 2024, retenues par le Gouvernement dans le décret de convocation des électeurs ?
Toute question de délai n’est pas complètement à exclure, et on peut estimer que le Gouvernement était bien conscient du danger en déclarant l’urgence et donc l’entrée en vigueur immédiate du décret n°2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée Nationale. L’article 12 de la Constitution prévoit que « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Jusqu’alors, le délai le plus resserré entre la dissolution et le premier tour des élections était en 1988 et il y avait entre la publication du décret de dissolution et le premier tour de l’élection 20 jours francs, pleins. Ici ce ne serait pas le cas. Beaucoup de questions peuvent alors se poser. Quelle est la date de dissolution à retenir : celle de la signature du décret (le 9 juin) ou celle de sa publication (le 10 juin) ? Comment computer les délais : s’agit-il de 20 jours francs ou non francs ? Quid des opérations électorales prévues le samedi 29 juin à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, en Polynésie française et dans les bureaux de vote ouverts par les ambassades et postes consulaires situés sur le continent américain ? En fonction de la réponse à ces questions, le Conseil constitutionnel pourrait juger le délai de 20 jours au moins respecté ou non respecté. D’un certain point de vue, il faut espérer que l’exécutif ait sondé en amont le Conseil constitutionnel sur ce point, pour ne pas jouer excessivement aux aventuriers.
Existe-il un risque de contentieux concernant ce décret ?
En effet, le Conseil constitutionnel est compétent pour examiner cet acte préparatoire, comme il l’a indiqué, dans la décision Delmas. Par principe, si « la mission ainsi confiée au Conseil constitutionnel s’exerce habituellement, conformément aux dispositions des articles 32 à 45 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par l’examen des contestations élevées contre les résultats acquis dans les diverses circonscriptions », il n’en reste pas moins que lorsque, « les griefs allégués (…) mettent en cause les conditions d’application de l’article 12 de la Constitution et, à cet égard, la régularité de l’ensemble des opérations électorales telles qu’elles sont prévues et organisées par les décrets du 22 mai 1981 et non celle des opérations électorales dans telle ou telle circonscription ; qu’il est donc nécessaire que, en vue de l’accomplissement de la mission qui lui est confiée par l’article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel statue avant le premier tour de scrutin ». Le Conseil se reconnait donc compétent dans cette hypothèse. Il peut donc vérifier que « les termes des décrets du 22 mai 1981 ne contreviennent pas aux dispositions de l’article 12 de la Constitution et ne comportent pas de prescriptions de nature à porter atteinte à la liberté et à la sincérité du scrutin ». La question pourrait être soulevée au regard de cette dissolution express.
Le Conseil constitutionnel a en effet été saisi de trois recours contre le décret de convocation (n°2024-32 ELEC, 2024-33 ELEC et 2024-34 ELEC). Outre la question de la date évoquée ci-dessus, des requérants pourraient faire valoir que les modalités prévues par le décret de convocation ne garantissent pas le principe de liberté et sincérité du scrutin. C’est le cas notamment du recours déposé par La France Insoumise qui se prévaut du gel des listes électorales à partir du décret. Si ces recours étaient reçus, le Conseil constitutionnel pourrait annuler le décret de convocation des électeurs, mais pas celui de dissolution, de sorte que les élections législatives ne pourraient être que repoussées et non annulées en application même de la Constitution. Cependant, en opportunité, un report serait très problématique en raison de la date du 2nd tour – le 14 juillet – et des Jeux Olympiques, et le Conseil constitutionnel pourrait en tenir compte, entre autres paramètres. En effet, en vertu de l’article 12, « L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours », ce qui nous conduirait au 18 juillet. Un report d’une semaine conduirait à la réunion de l’Assemblée nationale le 25 juillet, soit la veille de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris.