Par Pauline Türk, Professeur de droit public à l’Université de Nice – Côte d’Azur

Quelles sont les obligations qui pèsent sur les personnes convoquées par une commission d’enquête parlementaire ?

Les commissions d’enquête, prévues par l’article 51-2 de la Constitution et organisées par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, se multiplient, contribuant à l’information du parlement et à sa fonction de contrôle et d’évaluation. Elles sont formées pour recueillir des éléments d’information sur des faits déterminés ou sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. Elles peuvent se faire communiquer tout document utile et bénéficient d’importants moyens de contrôle sur pièces et sur place, notamment exercés par le rapporteur. Mais l’un de leurs moyens d’information privilégiés consiste à auditionner des personnalités pour recueillir leur témoignage, lumières et explications concernant l’objet des investigations.

La liste des personnes auditionnées fait l’objet de discussions approfondies, de façon à multiplier les points de vue et à entendre les principaux acteurs et observateurs des affaires concernées. La convocation pour audition est donc obligatoire et toute personne est tenue d’y déférer. Pour l’y contraindre, au besoin, le président de la commission peut recueillir l’assistance d’un huissier ou d’un agent de la force publique. Devant la commission, la personne convoquée doit prêter serment, à l’exception des mineurs de seize ans. Le refus de comparaître, de déposer ou de prêter serment devant une commission d’enquête est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. Le tribunal peut y ajouter une interdiction, totale ou partielle, d’exercice des droits civiques, pour une durée maximale de deux ans. Tout cela figure dans l’ordonnance précitée de 1958, plusieurs fois révisée. Il en résulte que les personnes dont l’audition est jugée utile sont non seulement tenues de se présenter devant la commission et de prêter serment, mais qu’elles ont pour obligation de dire la vérité et de répondre de façon précise et circonstanciée aux questions qui leur sont posées, afin de contribuer à la bonne information de la représentation nationale. Pourtant, dans quelle mesure sont-elles obligées de tout dire ? Et comment sont appréhendés les éventuels oublis, erreurs, dissimulations ou mensonges ? La portée de l’obligation qui pèse sur les personnes auditionnées de livrer des réponses sincères, utiles et complètes se trouve précisée progressivement, grâce au développement et à la médiatisation des enquêtes parlementaires, depuis la réforme constitutionnelle de 2008 qui a consacré les commissions spéciales dédiées, et renforcé la participation des groupes d’opposition et minoritaire à leur création et à leur fonctionnement.

Quels risques et quelles conséquences en cas de faux témoignage ?

Un témoignage mensonger constitue une violation du serment prêté et peut conduire à des poursuites. Une affirmation erronée ou une omission, si elles sont volontaires, relèvent du qualificatif de « faux témoignage », délit sanctionné, comme la subordination de témoin, sur le fondement des articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal (répression du « témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire »). Les poursuites sont exercées sur requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, du bureau de l’assemblée concernée. Les transmissions au procureur, via l’article 40 du code de procédure pénale, se succèdent, et les dispositions relatives à la répression pénale des faux témoignages commencent à être appliquées, les peines pouvant aller jusque 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. Commettre un « parjure » devant une commission d’enquête est donc encore plus lourdement sanctionné que le fait de refuser de se présenter devant elle.

En 2018, un médecin pneumologue de l’AP-HP, Michel Aubier, a été condamné par la Cour d’appel à 20.000 euros d’amende pour avoir dissimulé ses liens avec le groupe pétrolier Total lors de son audition, en 2016, par la commission d’enquête du Sénat sur la pollution de l’air. La sanction avait été allégée en appel, l’avocat du médecin ayant plaidé l’erreur plutôt que le mensonge délibéré, à raison d’une méconnaissance de la notion de conflit d’intérêts…D’autres témoignages, considérés comme lacunaires ou mensongers ont été régulièrement pointés, sans conséquences significative à ce jour. C’est le cas de ceux de plusieurs collaborateurs du chef de l’Etat (le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler et le directeur de cabinet Patrick Strzoda notamment) lors de leur audition devant la commission des lois du Sénat dotée des pouvoirs spéciaux d’enquête dans « l’affaire Benalla » en 2018. Le parquet, saisi par le Bureau via l’article 40 du Code de procédure pénale, avait finalement classé sans suite. Un faux témoignage a également été reproché à un dirigeant d’une filiale du cabinet MacKinsey, qui aurait menti à propos des impôts payés en France par sa société (audition en 2022 par la commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil), et à Marine Le Pen, qui n’aurait pas dit toute la vérité concernant les liens de son parti avec la Russie (audition par la commission d’enquête de l’Assemblée relative aux ingérences politiques, économiques, financières de puissances étrangères en 2023).

En 2025, l’attention portée au contenu des auditions est encore accrue et les poursuites se multiplient : soupçons de faux témoignage devant la commission de l’Assemblée, présidée par Sandrine Rousseau, sur les violences dans le milieu culturel à l’Assemblée (audition de Gaël Sanquer, directeur de NRJ, et des dirigeants de la maîtrise des Hauts-de-Seine) ; refus de la PDG de Nestlé Waters, Muriel Lienau, de préciser ses propos ou de divulguer des noms devant la commission du Sénat chargée d’enquêter sur le scandale des eaux en bouteille  ; poursuite de la ministre Aurore Berger devant la Cour de justice de la République pour faux témoignage devant la commission d’enquête de l’Assemblée sur les crèches privées ;  attentes autour de l’audition du Premier ministre François Bayrou par la commission d’enquête sur la prévention des violences dans les établissements scolaires, notamment à Bétharram ce 14 mai, à la suite de ses propos tenus précédemment dans l’hémicycle lors de séances de questions au gouvernement en février.

Les poursuites pour « mensonge sous serment » se multiplient. Les stratégies de contournement, en conséquence, se diversifient… autour des droits que les auditionnés peuvent invoquer.

Quels sont les droits de la personne entendue par une commission d’enquête parlementaire ?

Les personnes auditionnées peuvent avoir différents statuts : certaines sont convoquées, tandis que d’autres sont invitées (personnalités étrangères ; anciens présidents Sarkozy et Hollande, en 2023, par la commission sur la souveraineté énergétique). Certaines témoignent sous serment, d’autres n’y sont pas assujetties (mineurs de moins de 16 ans ; personnalités étrangères). Les auditions n’ont pas toutes la même tonalité, selon que les auditionnés sont entendus comme témoins ou experts, ou qu’ils sont directement ou indirectement mis en cause dans les faits ou dysfonctionnements étudiés.

On connaissait déjà le droit de ne pas déférer à la convocation reconnu aux chefs d’Etat et à leur épouse (précédents des « avions renifleurs » en 1984 et des « infirmières bulgares » en 2007). On note, désormais, l’extension de ce droit à un nouvel élément de l’entourage du chef de l’Etat, en la personne du Secrétaire général de l’Elysée. C’est sur le fondement de la séparation des pouvoirs qu’a été rendue la décision du parquet de Paris, le 6 mai 2025, de classer sans suite le signalement, par le bureau de l’Assemblée nationale, du refus d’Alexis Kohler de se présenter devant la commission des finances dotée des pouvoirs d’enquête sur le dérapage budgétaire. Il a été rappelé que « le Parlement contrôle le gouvernement mais non l’exécutif dans son ensemble », ce qui semble permettre au Secrétaire général de l’Elysée, qui a déjà accepté d’autres convocations par le passé, de décider de s’y soustraire, sans conséquence pénale.

Pour le reste, les personnes qui sont tenues de déférer à la convocation et d’être auditionnées sous serment bénéficient également de droits. Ceux-ci résultent de quelques dispositions visant à concilier l’efficacité de la commission d’enquête et certains impératifs, liés à quatre types de considérations.

D’abord, et même si le principe de publicité des travaux des commissions d’enquête peut faire l’objet d’exceptions pour assurer la confidentialité de certaines dépositions (art 6-IV de l’ordonnance de 1958), les personnes auditionnées se voient reconnaître le bénéfice des dispositions du code pénal relatives au secret professionnel (art. 226-13), notamment en matière médicale. La levée du secret professionnel ne sera préconisée que dans certaines hypothèses (atteinte à un mineur ou une personne vulnérable par exemple, en vertu de l’art. 226-14 du code pénal, communications d’information par les juridictions financières dans les conditions prévues aux articles L. 132-5 et L. 143-4 du code des juridictions financières).

Ensuite, les personnes auditionnées bénéficient, depuis 2008, des dispositions de l’article 41 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse modifiée, selon lequel « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi ».

Également, la Cour européenne des droits de l’homme a soulevé quelques points d’attention liés au droit de se taire et à celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination, découlant de l’article 6 § 1 de la Convention (CEDH 19 juin 2015 Corbet /France). Elle avait été saisie de l’atteinte causée au droit à un procès équitable résultant de l’obligation faite au PDG d’Air lib, Jean-Charles Corbet, de témoigner devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les causes économiques et financières de la faillite d’Air Lib en 2003. Le rapport de la commission avait, en effet, été transmis au ministère public, ce qui avait abouti à des poursuites pénales à son égard, et finalement à une condamnation.

Enfin, et non sans lien, au titre du principe de séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, « il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter » (art 6-I de l’ordonnance de 1958 précitée). Cette disposition, visant à éviter les interférences entre investigations politiques et judiciaires, est instrumentalisée par certains conseils : c’est bien l’un des arguments avancés par la PDG de Nestlé Waters, en mars 2025, à l’appui de ses réticences à s’expliquer devant les parlementaires.

Malgré ces garde-fous, le niveau d’exigence vis-à-vis des personnes auditionnées apparaît fortement réhaussé : le seuil de tolérance des parlementaires au mensonge et à la mauvaise volonté semble atteint. Les signalements devraient se multiplier, et les suites qui leur seront données par la justice devront être attentivement étudiées…