Par Vincent Dussart, Professeur à l’Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou

Peut-on modifier les crédits après l’adoption d’une loi de finances initiale ?

Les lois de finances sont traditionnellement votées après un long processus administratif, puis parlementaire, qui prend près d’une année (voire plus pour la loi de finances pour 2025 !). Elles sont largement fonction du contexte économique et financier global. Or, il s’avère parfois nécessaire de modifier les autorisations budgétaires qui sont contenues dans ces lois en raison, par exemple, de la prise en compte d’un moindre taux de croissance économique, comme c’est le cas en ce printemps 2025 (0,7 % contre 1,1 % initialement prévu dans le projet de loi de finances pour 2025). Le Gouvernement dispose de plusieurs moyens pour adapter la loi de finances adoptée par le Parlement. Il peut déposer (autant de fois qu’il le souhaite) un projet de loi de finances rectificative (LFR) appelée parfois « collectif budgétaire ». La dernière LFR de l’année porte désormais le nom de « loi de fin de gestion » depuis la loi organique du 28 décembre 2021. Une LFR peut venir modifier l’équilibre budgétaire primitivement voté comme les plafonds de dépenses initiaux. Elle peut également procéder à l’annulation de crédits. L’article 14-II de la Loi organique relative aux lois de finances du 1er aout 2001 (LOLF) prévoit d’ailleurs que les crédits, dont l’annulation est proposée par un projet de LFR ou de fin de gestion, sont gelés à compter de son dépôt jusqu’à l’entrée en vigueur de ladite loi ou, le cas échéant, jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel interdisant la mise en application de ces annulations.

Si la procédure d’adoption des LFR est plus légère que celle des lois de finances initiales, il n’en reste pas moins qu’elle s’avère compliquée, tout particulièrement en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement peut alors utiliser des outils réglementaires plus souples. On parle alors généralement de régulation budgétaire. L’une des techniques les plus connues consiste, en application de l’article 14-I de la LOLF, à annuler par décret des crédits ouverts par une loi de finances initiale. Il existe aussi d’autres moyens pour modifier à la hausse des crédits au moyen de décrets d’avance qui devront être ratifiées dans la plus prochaine lois de finances. Il est également possible de modifier par voie réglementaire la répartition des crédits ou leur affectation.

L’encadrement nécessaire de l’annulation des crédits

La LOLF a encadré la régulation budgétaire et particulièrement les pratiques d’annulation de crédits. Il est prévu à l’article 14-I de la LOLF qu’afin de « prévenir une détérioration de l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l’année concernée, un crédit peut être annulé par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances ». Il est également disposé qu’un crédit devenu sans objet peut être annulé par décret. L’encadrement politique reste mineur. En effet, les décrets d’annulation doivent être transmis pour information, et non pour avis, aux commissions des finances et aux commissions concernées des deux assemblées. Enfin, le montant cumulé des crédits annulés par ce moyen ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours. Le décret du 25 avril 2025 a annulé près de 3,1 milliards d’euros de crédits. On se rappellera qu’en 2024, ce sont 10 milliards d’euros que le Gouvernement avait annulé par un décret du 21 février 2024. Il reste encore une marge d’annulation importante au Gouvernement et ce n’est sans doute pas le dernier décret d’annulation qui devrait intervenir au cours de l’exercice 2025 !

La régulation budgétaire heurte le cartésianisme juridique issu de la hiérarchie des normes

Le pouvoir exécutif peut donc, par voie réglementaire, modifier les autorisations de dépenses adoptées par le Parlement. Cette procédure d’annulation de crédits n’est pas une nouveauté de la LOLF. En effet, elle était déjà inscrite à l’article 13 dans l’Ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Cependant, elle était moins encadrée qu’à l’heure actuelle et faisait l’objet de critiques importantes, tant des parlementaires que de la Cour des comptes pour son usage peu encadré. L’existence de ce pouvoir particulier du Gouvernement tient aussi au fait qu’il n’est absolument pas obligé de dépenser les crédits inscrits en loi de finances. Dès lors, le Gouvernement peut s’abstenir de dépenser des crédits ouverts. Mais leur annulation va plus loin dans le sens où les crédits vont purement et simplement disparaitre. On peut, dès lors, se demander quelle est la portée de l’autorisation parlementaire si le Gouvernement peut à sa guise la modifier. Un décret vient faire obstacle à l’application d’une loi (de finances). C’est évidemment un moyen bien plus rapide et efficient pour agir rapidement sans se trouver dans l’obligation de faire voter une loi de finances rectificative. Le risque politique reste mineur. Quant au risque juridique, il est tout autant réduit, comme l’a montré la décision du Conseil d’État du 29 janvier 2025 contre le décret d’annulation de crédits du 21 février 2024. Le juge y a refusé notamment « de contrôler le choix des pouvoirs publics du montant global des crédits devant être annulés ». La jurisprudence en la matière semble solidement établie et les annulations de crédit par réglementaire pourront se poursuivre à l’avenir.