Par Fr. Joseph-Thomas PINI, Professeur ordinaire à la Faculté Libre de Droit – Institut catholique de Toulouse

Collégialité maximale et pouvoirs restreints

Tant le régime de la vacance à la tête de l’Église universelle (Sede Apostolica vacante), que celui de l’élection, antique et singulière, de son chef traduisent nettement des caractères fondamentaux de l’Église et de la charge de Pontife romain. Ces deux régimes sont aujourd’hui, pour l’essentiel, fixés par la constitution apostolique Universi Dominici gregis de février 1996 de Jean-Paul II, modifiée en 2007, 2013 par Benoît XVI, et en 2024 par François. Cette dernière venait remplacer, dans l’ère contemporaine, la constitution apostolique Romano Pontifice eligendo de Paul VI d’octobre 1975. Celle-ci actualisait un document analogue de Pie XII de décembre 1945, qui abrogeait une constitution de Pie X. Le nombre et la fréquence des modifications et ajustements, après des siècles de pratique, mais aussi de tensions, disent bien le caractère délicat de la matière.

Un premier élément dominant du régime de transition du fait de la vacance de l’office est la mise en avant de la collégialité. De par ce qu’elle considère comme sa constitution divinement établie, l’Église catholique compte, étrangement au regard de la logique institutionnelle laïque, deux sujets du pouvoir suprême : le Pape (cf. canon 331 du Code de droit canonique de 1983 – CIC) et le Collège des Evêques (canon 336 CIC), dont le premier est membre et chef. Le second agit (sous diverses formes spéciales, et de manière générale) au soutien du premier, qui demeure maître de ce qui doit être décidé collégialement ou non (c. 333 § 2 CIC).

Parmi les aides du Pontife romain, les cardinaux occupent une place prépondérante, œuvrant en un collège particulier, et individuellement dans les charges qui leur sont confiées et sont toujours exercées au nom du premier. L’un d’entre eux acquiert un rôle prépondérant et singulier au moment de la vacance du Siège apostolique (par décès ou démission) : le camerlingue. Il est chargé de la conduite de la transition, assisté des autres cardinaux. Cette assistance se fait par les « congrégations générales », réunion de tous les cardinaux présents à Rome (déjà là et au fur et à mesure de leur arrivée ; obligatoire pour tous les cardinaux électeurs dans la mesure où ils ne sont pas empêchés canoniquement de voter, elle est facultative pour les autres).

Le camerlingue est aussi assisté par une « congrégation particulière », également quotidienne. Celle-ci est formée de trois membres du Collège cardinalice, tirés au sort tous les trois jours. Ils se réunissent autour du camerlingue pour prendre les mesures adéquates au bon fonctionnement et à la continuité du gouvernement suprême de l’Église.

Un autre est appelé à des tâches d’importance durant cette période : le cardinal doyen du Sacré Collège, à qui il revient de présider les funérailles du Pape, et, par la suite, de conduire le déroulement du conclave (si toutefois il est électeur, ce qui ne sera pas le cas pour l’assemblée qui se tiendra à partir du 7 mai prochain – ni même pour le vice-doyen : la tâche reviendra alors au plus ancien parmi les cardinaux-évêques électeurs).

C’est dans les pouvoirs dévolus au Collège des cardinaux que se manifeste le second trait du régime de la vacance apostolique de la primauté du Siège Apostolique qui caractérise le gouvernement de l’Église. Ainsi, les cardinaux, quel que soit leur format de réunion, ne peuvent prendre, à peine de nullité, aucune décision relevant en temps normal du Pontife romain. Leur compétence se limite, d’une part aux affaires courantes, d’autre part à l’organisation de l’élection (notamment en arrêtant la date d’ouverture du conclave). Un principe général de droit canonique, applicable, exige aussi que « sede vacante nihil innovetur » (durant la vacance du siège, il ne faut innover en rien : cf. c. 335 CIC ; pour le cas de l’Evêque, cf. c. 428 § 1er CIC).

L’élection : confiance en Dieu et défiance envers les hommes

La désignation de l’Evêque de Rome maintient, de manière originale, l’antique tradition de l’élection par le clergé et le peuple, mais corrigée d’une pratique plus « impériale » de désignation par un collège de type princier.

Une phase critique

La prépondérance, laborieusement acquise dans l’histoire et conservée avec vigilance par la discipline canonique, fait du temps de la vacance du Siège Apostolique un moment critique de la vie de l’Église catholique, qui présente des originalités par rapport aux institutions civiles nourrissant aussi rumeurs et fantasmes qui alimentent les gazettes et ont pourvu les arts, des Promenades dans Rome de Stendahl en 1829, au récent et rebondissant Conclave d’Edward Berger, en passant par le quasi prémonitoire The Shoes of the Fisherman, de Michael Anderson en 1968 (d’après le roman éponyme de Morris West de 1963), pour ne s’en tenir qu’à des exemples récents. L’histoire elle-même a su, lors de quelques fameux épisodes, entretenir la légende des intrigues et retournements.

Si, comme indiqué, un dispositif institutionnel prévoit bien le traitement des affaires urgentes, le caractère électif de la charge d’une part, et la durée viagère de cette dernière d’autre part, excluent, par hypothèse, la succession immédiate. Ladite charge, qui ne se voit attribuer aucun adjoint ou substitut, ne devient vacante que par décès ou renonciation, la question hautement sensible et débattue de l’éventuelle déposition étant désormais enfouie, et curieusement et quoiqu’évoquée au passage dans le c. 335 précité, celle de l’empêchement (tel que défini par le c. 412 pour les Evêques diocésains en général) étant largement impensée.

Dès lors que le siège pontifical devient vacant, toutes les fonctions et charges des chefs de dicastère de la Curie romaine, qui exercent un pouvoir vicaire du Pontife romain, sont alors suspendues jusqu’à remplacement ou confirmation par le nouvel élu ayant pris sa charge (c’est-à-dire, de manière exceptionnelle en droit canonique, dès l’acceptation de son élection). Les effets singuliers de la vacance expliquent en bonne part, les très précautionneux rites de constatation et de proclamation de la vacance, des premiers rites funèbres à la destruction publique et codifiée du sceau pontifical (l’« Anneau du pêcheur ») en passant par de multiples scellés. Si le cérémonial des funérailles, progressivement et encore très récemment simplifié, correspond en grande part à celui d’un Evêque, ce sont cette neutralisation et cette suspension qui marquent la plus grande originalité du régime en cours, et dont l’issue rapide et calme est toujours souhaitée.