Article 68 : La procédure de destitution du président de la République, comment ça marche ?
L’article 68 prévoit la procédure de destitution du Président de la République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Si cette notion n’est délibérément pas définie afin de parer à des circonstances imprévues, les conditions qui encadrent la mise en œuvre de la procédure la rendent, à bon droit, tout à fait exceptionnelle.
Par Anne Levade, Professeure de Droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Que prévoit l’article 68 de la Constitution ?
L’article 68 de la Constitution prévoit les conditions dans lesquelles le Président de la République peut être destitué. Il n’est pas inutile de rappeler d’emblée que le dispositif est récent puisqu’il a été introduit par la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution et remplaçait et supprimait ainsi le régime de responsabilité pour « haute trahison » hérité de la IIIe République.
Dès l’alinéa premier, le cadre est posé en des termes restrictifs. D’une part, « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » ; c’est la conséquence nécessaire du principe, énoncé à l’article 67, selon lequel « Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ». D’autre part, le caractère exceptionnel de ce que l’on peut considérer comme une forme de responsabilité institutionnelle du chef de l’État justifie la compétence d’une institution dédiée : « La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour ».
Les trois alinéas suivants fixent, dans les grandes lignes, le déroulement de la procédure. D’abord, une initiative parlementaire consistant en une « proposition de réunion de la Haute Cour » qui, adoptée par l’une des chambres, « est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours ». Ensuite, la Haute Cour qui, présidée par le président de l’Assemblée nationale, statue, à bulletins secrets, sur la destitution dans un délai d’un mois et dont la décision – quelle qu’elle soit – est d’effet immédiat. Enfin, les conditions communes aux différents scrutins : majorité qualifiée des deux tiers, interdiction des délégations de vote et recensement des seuls votes favorables à la convocation de la Haute Cour ou à la destitution, les abstentions étant réputées valoir vote défavorable. Outre qu’elle place les deux chambres du Parlement sur un strict pied d’égalité, la procédure témoigne de bout en bout d’un subtil équilibre entre célérité et solennité.
Pour le surplus, le dernier alinéa de l’article 68 renvoie à une loi organique la fixation de ses conditions d’application ; celle-ci ne fut adoptée qu’à la fin de l’année 2014 (loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution).
Comment interpréter la notion de « manquement à ses devoirs » prévue par l’article 68 ?
Là est évidemment la question essentielle en même temps que la plus délicate qui exige de revenir à l’esprit de la révision constitutionnelle de 2007. Lorsque, à partir des travaux de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par Pierre Avril en 2002, il fut décidé de réécrire intégralement les articles 67 et 68 de la Constitution, le parti pris fut de clarification. Pour le dire simplement, l’objet du statut constitutionnel du Président de la République est d’assurer la protection de la fonction présidentielle.
Dans cette logique, l’article 67 énonce une irresponsabilité présidentielle de principe, qui protège la fonction, et par conséquent son titulaire, contre les tiers tandis que, par exception, l’article 68 permet, si nécessaire, d’assurer la protection de la fonction présidentielle contre son titulaire lui-même. Dans ce dernier cas de figure et pour reprendre les termes du rapport de la commission Avril, « il s’agit en quelque sorte de savoir si celui qui incarne un pouvoir politique en est arrivé à rompre le lien qui l’identifiait à ce pouvoir ».
L’appréciation du manquement susceptible de conduire à une destitution a donc été conçue comme purement politique, l’esprit de la réforme étant de permettre qu’il fût mis fin au mandat de celui qui, par son comportement, compromettrait la dignité de la fonction présidentielle. C’est la raison pour laquelle ni la nature, ni la gravité du manquement ne sont définies, le seul critère pertinent tenant à son incompatibilité, dûment constatée par les deux tiers des parlementaires, avec la poursuite du mandat. Dit autrement, la notion de « manquement à ses devoirs » est délibérément imprécise afin de ne pas faire obstacle à une destitution qui, dans une situation donnée, s’imposerait avec la force de l’évidence.
En l’état actuel, une initiative visant à destituer Emmanuel Macron pourrait-elle aboutir ?
Indépendamment de ce qui vient d’être dit sur l’appréciation politique que pourraient porter les parlementaires sur l’existence d’un manquement justifiant destitution, la loi organique a fixé des conditions d’application de l’article 68 qui sont autant de garde-fous à la mise en œuvre d’une procédure qui, par nature, doit demeurer exceptionnelle.
D’abord, l’initiative de la procédure prend la forme d’une proposition de résolution motivée, « justifi[ant] des motifs susceptibles de caractériser un manquement » au sens de l’article 68 et signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée, dont la recevabilité est vérifiée par le bureau de l’assemblée en cause. Là est le premier obstacle que, en novembre 2016, une proposition de résolution visant François Hollande n’était pas parvenue à franchir, le bureau de l’Assemblée nationale ayant estimé qu’elle était irrecevable.
Ensuite, si la proposition était déclarée recevable, les conditions requises pour son adoption par chacune des assemblées sont exigeantes puisque, outre l’exigence d’une majorité des deux tiers, elle ne peut faire l’objet que d’une seule lecture, le rejet de la proposition par l’Assemblée ou le Sénat mettant un terme à la procédure.
Enfin, dans l’hypothèse où il serait décidé de réunir la Haute Cour, c’est, à peine de dessaisissement, dans un délai d’un mois que, au terme d’un examen en commission puis d’un débat public en séance, celle-ci pourrait décider à la majorité des deux tiers de la destitution du Président.
Rien d’impossible donc mais, et c’est là l’esprit de l’article 68, à la condition que les parlementaires considèrent que, politiquement, la poursuite du mandat présidentiel est inenvisageable.